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HLP : LE RIRE DANS LE NOM DE LA ROSE (philosophie)

HLP : LE RIRE DANS LE NOM DE LA ROSE (philosophie)
 
 
En 1327, dans une abbaye italienne, que tout l'Occident admire pour la science de ses moines et la richesse de sa bibliothèque, des frères meurent mystérieusement. En 7 jours, scandés par les heures canoniales de la vie monastique, l’abbaye bénédictine va connaître crimes, stupre, vice, hérésie et bûcher. Un moine franciscain, Guillaume de Baskerville, mène l’enquête... Le Non de la Rose est un vibrant plaidoyer pour la liberté, la tolérance et la raison, menacées par les forces nihilistes du fanatisme, de l’intolérance et de l’obscurantisme.
 
Rappelons que Le Nom de la Rose est avant tout un roman écrit par l'Italien Umberto Eco paru en 1980, souvent qualifié de thriller médiéval. Au cœur de ce récit : une bibliothèque labyrinthique, interdite d'accès, dans laquelle se trouvent les livres les plus rares voire interdits comme le second tome de la Poétique d'Aristote. Livre unique qui sera la cause de meurtres, suicide et destructions…
 
I)                   LES PERSONNAGES
 
 
Adso de Melk, le narrateur de l’intrigue : un jeune homme « ignorant » et naïf au début du film. Un novice franciscain qui accompagne Guillaume comme son secrétaire et son disciple. Issu d’une famille autrichienne au service de l'empereur contre le pape, et a été confié en ces temps troublés à Guillaume, son père spirituel. Aventures initiatiques. Passage de l’adolescence à l’âge adulte.
 
Guillaume de Baskerville : Anglais, un homme d'une grande humanité, d'une grande tolérance. Cinquantaine d’années, « vieux », franciscain, ancien inquisiteur repenti. Pour lui, « ce sont les inquisiteurs qui créent les hérétiques » et non l’inverse. Il fait penser à Sherlock Holmes, grand et mince, nez fin et aquilin. Homme d’une rare intelligence. Vif, brillant, cultivé, volontaire. Il utilise l’observation et l'expérimentation pour arriver à mettre en évidence la justesse de ses déductions logiques. Empirisme. Détective et fin logicien. Rationaliste. Disciple de Roger Bacon, d’Aristote et Guillaume D’Occam. Pédagogue. Paternaliste avec Adso. Polyglotte. Préfiguration de l’esprit de la Renaissance. Combat contre l’obscurantisme.
 
Bernard Gui ou Bernard Guidoni : a réellement existé. Inquisiteur. Personnage inquiétant. Dominicain d'environ soixante-dix ans, mince à la silhouette toute droite. Il aime à faire peur et à montrer son pouvoir. Cruel. Violent. Pervers. Sadique. Foi aveugle. Fanatique. Intransigeant. Homme à l’esprit médiéval. Croyance aux démons, à la possession satanique, à l’hérésie. Soumet des innocents à la question => https://www.topito.com/top-pires-methodes-torture-inquisition (âme sensible s’abstenir!)
 
L’abbé : « soucieux de la bonne réputation de son monastère ». Gérer son abbaye sans problème, craint la venue de Bernard Gui à cause du risque de voir son pouvoir ébranlé.
 
Jorge de Burgos : moine bénédictin, doyen, très vieil aveugle, foi rigoureuse, rigorisme, sorte de conscience et de mémoire de l'abbaye. Connait les Livres saints par cœur. Mystique. Symbole de la tradition et de l’autorité. Refus du rire et de la plaisanterie. Voix « solennelle, sévère ». Pour Jorge, par exemple, l'écrit doit être porteur de la Vérité du Christ, et donc, doit être lu avec les yeux de la foi et non ceux de la raison. Fidéisme. Il faut donc cacher (ou détruire) tout livre risquant d'entraîner les lecteurs hors de la voie de la foi chrétienne. Dogmatisme. Respect à la lettre des règles du monastère.
 
Remigio de Varagine : Le cellérier (intendant, économe) de l'abbaye est « un homme adipeux et d’aspect vulgaire » mais jovial. Ancien fanatique religieux qui a suivi Dolcino. Glouton. Licencieux. C’est avec lui que la jeune fille sans nom (rencontrée par Adso) avait commerce charnel… Par peur de la torture, il avoue des crimes hérétiques imaginaires. Condamné par Bernard Gui à être brûlé vif.
 
Salvatore : sorte d’animal, de Quasimodo moyenâgeux difforme qui sourit avec « sa gueule de loup ». « Des dents noires et pointues comme celles d’un chien. ». Eczémateux. Bec de lièvre. S’exprime en mélangeant plusieurs langues à la fois : il parle « toutes les langues et aucune ». Aucune en particulier. Langue de la chute de Babel. Facétieux. Vit de rapines. Rustre. A la fois doux et brutal. Il connaît sa laideur, veut attirer les femmes du village, mais incapable de rencontrer son Esmeralda. Vie sans amour. Dans sa jeunesse, il a rejoint les dolciniens avec Remigio, son maître et protecteur. Sera torturé et condamné par l’Inquisition au bûcher pour hérésie.
 
Malachie : le bibliothécaire, tue Séverin, l’herboriste, pour lui voler le livre puis, hypocritement, va trouver le cellérier Rémigio en lui conseillant de s’enfuir car il serait soupçonné d’hérésie par l’Inquisiteur Gui. Rémigio veut fuir, mais il est arrêté par les soldats et accusé, injustement, du meurtre de Séverin. Malachie est ainsi un assassin froid et cynique qui fait accuser un innocent à sa place.

La Sauvageonne : La Rose sans nom…
 
 

II) Les différents ordres religieux.


Les Franciscains

Les Franciscains, ordre auquel appartient Guillaume, suivent la règle de saint François d'Assise, cultivent la pauvreté volontaire, et donnent la priorité à la recherche intellectuelle sur le travail manuel. Ils refusent en outre le pouvoir temporel pour eux-mêmes, comme pour l'Église. Ils veulent suivre une voie évangélique et refusent que l'Église soit riche. Pauvreté, austérité, simplicité, retraite aux frontières du monde habité et pureté.


Les Bénédictins et les Dominicains
 
Les Bénédictins est un ordre ancien, fondé au VIe siècle, qui impose aux moines le partage de leur temps entre la prière et le travail manuel. Leur devise : « Ora et labora » (« prière et travail »). Enrichissement des monastères grâce au travail et aux inventions des moines. Les bénédictins, comme le Pape, Jean XXII, défendent l’enrichissement de l’Eglise comme Grâce accordée par Dieu pour diffuser la Bonne Parole.
 
 
Les Dominicains ont contribué à lutter contre les « erreurs de la foi », et ont été les principaux apports de l'Inquisition. Les Dominicains veulent combattre l’hérésie par la prédication. Leur but principal était donc de convertir les hérétiques et de soutenir la foi des faibles. La seule parole se révélant sans doute insuffisante, les Dominicains recourront à des moyens plus efficaces de coercition comme la torture et deviendront les agents zélés de l’Inquisition : tous ceux qui douteront de la parole de Dieu, qui contesteront l’autorité de la papauté, qui critiqueront les moeurs de l’Eglise, seront pourchassés, contraints d’abjurer leurs erreurs, parfois condamnés à mort et brûlés. (Dans Le Nom de la rose, Bernard Gui, qui fait arrêter les deux moines hérétiques et la jeune paysanne soupçonnée de sorcellerie, est un dominicain, membre de l’Inquisition).
 
 
Conflit théologique entre les franciscains et l'autorité pontificale au sujet de la pauvreté du Christ.
 
Les Franciscains s’opposèrent aux traditions et aux coutumes de l’ordre bénédictin dont ils condamnaient le luxe et la prospérité.
Au cours des siècles en effet, l'Église s'est enrichie ; elle possède de nombreuses terres, des propriétés multiples, et beaucoup de biens. Elle peut en outre lever des impôts, faire travailler pour elle ... Les prêtres eux-mêmes sont souvent riches, et cette richesse s'étale lors, des cérémonies, dans le costume ... Face à cela, la misère est grande : des famines endémiques se poursuivent durant tout le Moyen Âge et les impôts de toute sorte épuisent les populations.

C'est dans ce cadre social qu'il faut resituer les querelles sur la pauvreté du Christ, dans lesquelles les Franciscains tiennent une si grande place, et dont nous voyons un exemple dans Le Nom de la rose.

L'indignation face aux inégalités a en effet gagné des prêtres franciscains, qui ont tenté de faire valoir que les biens de l'Église ne devaient servir qu'à soulager la pauvreté, et devaient donc être partagés. Pour soutenir leur thèse, ils ont eu recours aux Écritures ; le Christ, selon eux, n'a Jamais rien possédé en propre, l'Église ne doit donc rien posséder et doit partager ce qu'elle a avec les pauvres.

A l’inverse, pour les Bénédictins, le Christ n'aurait-il pas possédé au moins sa robe en ajoutant que l'Église doit être riche pour mieux exprimer la gloire de Dieu ?
 
III)              LE RIRE DANS LE NOM DE LA ROSE

Les Pères de l'Eglise grecque qualifiait le rire de diabolique. Jésus était le modèle de l'homme et aucun écrit ne semblait relater qu’il ait pu rire. Pour Jorge, il ne faut pas se laisser aller à déformer son visage. Celui-ci doit être impassible et grave. Le rire a une force trop subversive pour y être admis. Pour Jorge, « Le Christ n’a jamais ri ! » (Alors qu'il pleure sur Jérusalem ou sur son ami Lazare). Le rire tourne en dérision, désacralise. Jorge participe à l’évidence encore de cette spiritualité ancienne, et le rire pour lui, parce qu’il est lié au corps et au bas corporel, laisse parler en nous l’animalité.

S’abandonner au rire est par suite se faire complice du démon. Une joute oratoire s’engage alors entre Guillaume de Baskerville, franciscain et Jorge, bénédictin. Saint François ne répugnait pas à rire versus « le rire est un souffle diabolique, il déforme les linéaments du visage et fait ressembler l’homme au singe ». Le rire mettrait en cause la « majesté du pouvoir » de Dieu. Jorge affirme : « N’est pas nécessairement bon tout ce qui est le propre de l’homme. Le rire est un signe de sottise. Qui rit ne croit pas en ce dont il rit, mais non plus ne le hait. Or donc, rire du mal signifie ne pas se disposer à le combattre et rire du bien signifie méconnaître la force avec laquelle le bien se propage par sa propre vertu. » . Jorge cite Saint Benoît qui interdit le rire dans ses écrits (rire, c’est fuir le recueillement et l’humilité). Son fanatisme ira jusqu’à dissimuler le seul exemplaire restant du second livre de la Poétique d’Aristote et d’en empoisonner les pages au cyanure

A l’inverse, pour Guillaume de Baskerville : « le rire est le propre de l’homme ». Cette pensée est d’Aristote dans le Traité sur les parties des animaux, III, 10. À quelques lignes de distance, on peut lire en effet dans le texte grec que : « l’homme est le seul animal qui rit », et encore : qu’ « aucun animal ne rit sauf l’homme » (Aristote). Pour Guillaume, le rire, instrument de liberté et de vérité. Il est même curatif comme le croyait Rabelais. Le rire permet de mettre à distance nos croyances. Il est une arme contre tous les fanatismes : « Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l'unique vérité est d'apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité. » Le rire a une valeur pédagogique parce qu'il permet d'atteindre la vérité. Rire et liberté vont donc d'un même pas. Rire est une prérogative non seulement de l’homme mais de l’homme rationnel, intelligent.

Guillaume revendique ainsi le libre et plein exercice de la raison et la nécessité du doute, c’est, avant la lettre, un libre penseur : « La vérité nous rendra libres » affirme-t-il.

Tout l’enseignement que Guillaume dispense à Adso consiste d’ailleurs à rejeter les explications surnaturelles, à raisonner sur des indices objectifs et à surmonter les peurs irrationnelles.

Le film montre la victoire de la raison sur les forces mauvaises de la peur (les moines effrayés), du fanatisme (l’Inquisition) et du dogmatisme (le vieux Jorge qui craint le pouvoir des livres). En effet, Gui meurt empalé sur ses propres instruments de tortures. Le vieux Jorge se suicide en dévorant les pages empoisonnées du livre d’Aristote qui finira par brûler dans l’incendie de l’abbaye.

Pour Guillaume, le livre constitue une proclamation en faveur de l'autonomie de l'esprit humain et de la liberté contre les totalitarismes, fanatismes ou intégrismes politique et religieux de notre temps :
« L'Antéchrist peut naître de la piété même, de l'excessif amour de Dieu ou de la vérité, comme l'hérétique naît du saint et le possédé du voyant. Redoute, Adso, les prophètes et ceux qui sont disposés à mourir pour la vérité, car d'ordinaire ils font mourir des multitudes avec eux, souvent avant eux, parfois à leur place. Jorge a accompli une oeuvre diabolique parce qu'il aimait d'une façon si lubrique sa vérité qu'il osa tout, afin de détruire à tout prix le mensonge. Jorge avait peur du deuxième livre d'Aristote, car celui-ci enseignait peut-être vraiment à déformer la face de toute vérité, afin que nous ne devenions pas esclaves de nos fantasmes. Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l'unique vérité est d'apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité. » (Umberto Eco, Le Nom de la Rose, page 496).
 



 




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