L'abbé d'Aubignac écrivait en 1657 dans sa Pratique du théâtre: Les poètes tragiques prennent de l'Histoire ce qui leur est à propos et y changent le reste pour en faire leurs poèmes, et c'est une pensée bien ridicule d'aller au théâtre pour apprendre l'Histoire. Discuter cette théorie et examiner si elle s'applique au théâtre de Corneille ?
Publié le 08/12/2021
                            
                        
Extrait du document
Une autre critique régulière du Cid stigmatise l'effet de surcharge créé par la condensation d'une intrigue de plusieurs années en une seule journée de crise. Le naturel historique se fait incongru sur une scène, et vice-versa. III : Pour une histoire non factuelle _Sous l'Histoire mythique et mythifiée, le spectateur d'une pièce de Corneille reconnaît les enjeux de sa propre époque. De ce point de vue, Le Cid, est écrit dans le contexte de la fin de la guerre franco-espagnole. De même les metteurs en scène d'aujourd'hui relient volontiers la guerre contre les maures menée par Rodrigue, et les problématiques propres au Moyen-Orient moderne. Le théâtre est un langage symbolique, aussi peut-il servir d'ossature à une réflexion historique de n'importe quelle époque. _Le théâtre en général, et tout particulièrement celui de Corneille, est à l'âge classique un lieu privilégié de l'expression politique, en ce qu'il déplace les circonstances historiques du problème traité, tout en respectant la problématique que celle-ci soulève. Ainsi, la tragédie de Nicomède traite de manière implicite mais très claire les infortunes du prince de Condé, enfermé pour son soutien à la Fronde de Paris. _Enfin, de façon quelque peu ironique, Corneille est lui-même devenu un sujet d'Histoire (sa bibliographie est marquée par la création de l'académie, protection, puis la brouille avec Richelieu, la prise de position dans la querelle entre jésuites et jansénistes, le soutien à Mazarin au cours de la Fronde...) Ce n'est plus le sujet de la pièce, c'est la pièce elle-même qui devient matière historique.
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                                                                                                                            Introduction _Le propos ici tenu par l'Abbé d'Aubignac, s'il n'en fait pas mention explicite, n'en est pas moins étroitement lié à l'œuvrede Corneille.
                                                            
                                                                                
                                                                    En effet, d'Aubignac a fait  partie du comité de lecture  chargé de la première lecture d'	Horace	, à  connu	personnellement Corneille, et son essai est largement et inspiré par l'expérience du théâtre cornélien.
                                                            
                                                                                
                                                                    De fait, l'accueil dudramaturge par le public français s'est accompagné d'une vive controverse visant à déterminer jusqu'à quel point le styletragique  se doit de correspondre  aux données  historiques qu'il traite, et inversement,  dans quel mesure l'exigencepoétique autorise  l'auteur à se libérer du  principe de fidélité historique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Cette problématique, toutefois, doit-elle êtrecomprise de la même manière chez un contemporain de Corneille tel que d'Aubignac, et chez un spectateur moderne ? I : Le théâtre cornélien, un théâtre historique _En effet, le lecteur ou le spectateur de Corneille ne doit pas oublier l'Histoire n'est pas à proprement parler une séried'évènements : c'est une  discipline, et jusqu'à un certain point, un exercice d'écriture et de mise en scène.
                                                            
                                                                                
                                                                    De fait, lapoésie et le théâtre ont longtemps assumé auprès du public la fonction qu'on attribue aujourd'hui à la discipline historique.Le travail de documentation qui sous-tend les principales tragédies de Corneille est à ce titre révélateur : l'auteur indiqueainsi précisément dans sa préface à 	Polyeucte	 les sources à partir desquelles il a déterminé l'intrigue de sa pièce, afin, dit-	il, que le lecteur puisse « démêler la vérité d'avec ses ornements »._L'affirmation même de d'Aubignac, selon laquelle apprendre l'Histoire au théâtre est ridicule, prouve bien la tendance dupublic à traiter l'œuvre historique sur le même pied que l'historiographie.
                                                            
                                                                                
                                                                    De façon plus nette encore, le réflexe classiqueest de valoriser la tragédie historique ou mythique, au détriment des comédies de l'auteur telles que 	L'Illusion comique	 ou	La Place Royale	, dont l'intrigue  se situe dans le Paris  du XVIIe siècle.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ainsi   le genre historique est reconnu  comme	« sérieux », et doit inspirer au spectateur des sentiments nobles, contrairement aux faits quotidiens, jugés plus propresau ton léger.
                                                            
                                                                                
                                                                    II : Le poème tragique, une nécessaire distorsion de la matière historique _Dans 	Le Cid	, le  thème  de la Reconquista  espagnole n'est effectivement  qu'un prétexte  pour aborder  un dilemme	psychologique posé par l'articulation du devoir politique et du devoir courtois.
                                                            
                                                                                
                                                                    De même, l'Histoire de Rome n'est qu'unprétexte littéraire à partir duquel la tragédie d'	Horace	 oppose le désir amoureux au désir héroïque.	_Il est  donc  indubitable  que l'enjeu  d'une valeur  historique de la tragédie  cornélienne  en dissimule  un autre,  plusessentiel, qui  est celui de la valeur morale du récit historique.
                                                            
                                                                                
                                                                    La célèbre querelle qu'avait soulevé la présentation  duCid portait  à priori  sur un problème  spécifiquement  scénique, à savoir  la légitimité  d'un écart  entre le vrai  et levraisemblable.
                                                            
                                                                                
                                                                    Aux attaques de Scudéry qui accuse Corneille de l'immoralité de Chimène épousant l'assassin de son père,l'auteur se  défend au nom de la vérité  historique...
                                                            
                                                                        
                                                                    Manifestement, les critiques  adressées au 	Cid n'étaient pas tant	soulevées par la liberté prise par Corneille vis-à-vis de son sujet, que par la moralité douteuse qui s'en dégageait._Il faut  donc  en conclure,  conformément à  l'exigence des opposants à  Corneille, que  la règle  historique ne  sauraits'adapter à la règle littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le respect des unités de lieu, de temps et d'action, dans la tragédie Cornélienne, apparaîtcomme une contrainte  qui pousse  obligatoirement  le dramaturge  à modifier  profondément  les données  historiques,toujours nées de mille phénomènes indépendants et étalées dans le temps et l'espace.
                                                            
                                                                                
                                                                    Une autre critique régulière du Cidstigmatise l'effet de surcharge créé par la condensation d'une intrigue de plusieurs années en une seule journée de crise.Le naturel historique se fait incongru sur une scène, et vice-versa.
                                                            
                                                                                
                                                                    III : Pour une histoire non factuelle _Sous l'Histoire mythique et mythifiée, le spectateur d'une pièce de Corneille reconnaît les enjeux de sa propre époque.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dece point de vue, 	Le Cid	, est écrit dans le contexte de la fin de la guerre franco-espagnole.
                                                            
                                                                                
                                                                    De même les metteurs en scène	d'aujourd'hui relient volontiers la guerre contre les maures menée par Rodrigue, et les problématiques propres au Moyen-Orient moderne.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le  théâtre est un langage  symbolique,  aussi peut-il servir  d'ossature à une réflexion historique  den'importe quelle époque._Le théâtre en général, et tout particulièrement celui de Corneille, est à l'âge classique un lieu privilégié de l'expressionpolitique, en ce qu'il déplace les circonstances historiques du problème traité, tout en respectant la problématique quecelle-ci soulève.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ainsi, la tragédie de 	Nicomède	 traite de manière implicite mais très claire les infortunes du prince de Condé,	enfermé pour son soutien à la Fronde de Paris._Enfin, de façon quelque peu ironique, Corneille est lui-même devenu un sujet d'Histoire (sa bibliographie est marquée parla création de l'académie, protection, puis la brouille avec  Richelieu, la prise de position dans la querelle entre jésuites etjansénistes, le soutien à Mazarin au cours de la Fronde...) Ce n'est plus le sujet de la pièce, c'est la pièce elle-même quidevient matière historique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Après tout, l'Histoire littéraire est bien un aspect de l'Histoire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Conclusion _Dans son recueil 	Les Caractères	, La Bruyère parle ainsi de Corneille : « Il peint les romains : ils sont plus grands et plus	Romains dans ses vers que dans leur histoire ».
                                                            
                                                                                
                                                                    De ce fait, l'affirmation de l'abbé d'Aubignac s'avère plus légitime dans sasignification moderne : la tragédie cornélienne, en effet, fait de l'Histoire la scène d'affrontements héroïques entre le désir,le devoir et l'individu.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le fait historique est bien conservé dans 	Cinna	, mais sa signification se fait épique et non plus	chrétienne.
                                                            
                                                                                
                                                                    De ce point de vue, le spectateur de Corneille qui croirait s'instruire des choses passées ne s'instruit que de lapart vivante de l'écriture historique, il y apprend un langage qui n'est fait que pour être entendu par le contemporain.
                                                            
                                                                                
                                                                    Maisl'historiographie elle-même, n'est-elle pas vouée en réalité à établir un pacte de  lecture d'un type particulier entre unnarrateur et son lecteur, entre des personnages et leur public ?.
                                                                                                                    »
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