??Il la pressa longtemps de les lui apprendre sans pouvoir
Publié le 17/05/2020
Extrait du document
«
……
Il la pressa longtemps de les lui apprendre sans pouvoir l'y obliger
; et, après qu'elle se fut défendue d'une manière qui augmentait
toujours la curiosité de son mari, elle demeura dans un profond
silence, les yeux baissés ; puis tout d'un coup prenant la parole et
le regardant :
« Ne me contraignez point, lui dit-elle, à vous avouer une chose
que je n'ai pas la force de vous avouer, quoique j'en aie eu
plusieurs fois le dessein.
Songez seulement que la prudence ne
veut pas qu'une femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite,
demeure exposée au milieu de la Cour.
- Que me faites-vous envisager, Madame, s'écria Monsieur de
Clèves.
Je n'oserais vous le dire de peur de vous offenser.
»
Madame de Clèves ne répondit point ; et son silence achevant de
confirmer son mari dans ce qu'il avait pensé :
« Vous ne me dites rien, reprit-il, et c'est me dire que je ne me
trompe pas.
- Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je
vais vous faire un aveu que l'on n'a jamais fait à son mari ; mais
l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la
force.
Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la Cour et
que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les
personnes de mon âge.
Je n'ai jamais donné nulle marque de
faiblesse et je ne craindrais pas d'en laisser paraître si vous me
laissiez la liberté de me retirer de la Cour ou si j'avais encore
Madame de Chartres pour aider à me conduire.
Quelque
dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie
pour me conserver digne d'être à vous.
Je vous demande mille
pardons si j'ai des sentiments qui vous déplaisent ; du moins je ne
vous déplairai jamais par mes actions.
Songez que pour faire ce
que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari
que l'on n'en a jamais eu ; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et
aimez-moi encore, si vous pouvez.
»
Monsieur de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, la
tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n'avait pas.
»
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