Réduire certains conflits à des « replis identitaires » interdit d'en comprendre les ressorts politiques et sociaux
Publié le 09/09/2020
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«
Réduire certains conflits à des « replis identitaires » interdit d’en comprendre
les ressorts politiques et sociaux
Pourquoi cette volonté, maintes fois constatée, de réduire les conflits
politiques à des logiques supposées « sous-jacentes », religieuses ou ethniques?
Au Kosovo ou au Pendjab, en Malaisie ou en Afrique du Sud, au Rwanda ou dans le
Caucase, on rencontre une figure semblable : des clivages politiques que l’on
s’efforce d’expliquer par leur répertoire identitaire, surtout quand ils se
matérialisent violemment.
Sans doute n’est-ce pas un hasard que l’on fasse
preuve de plus de subtilité dès qu’il s’agit de clivages ouest-européens.
En
Écosse, en Catalogne, en Corse - voire en Irlande du Nord, dès que l’on échappe
à l’urgence médiatique -, on tient compte des enjeux économiques, des logiques
de concurrence électorale, des tensions au sein des élites régionales.
Le regard
« ethnicisant » distingue en effet clairement - comme, de manière
particulièrement transparente, chez Samuel Huntington -« Eux » et « Nous » [voir
« La thèse du choc des civilisations est une vision fausse de l’avenir de
l’humanité »].
Et c’est chez « Eux » que l’on trouve l’« ethnique », le « tribal
», l’« identitaire ».
On peut ainsi, d’une manière qui n’est paradoxale qu’en
apparence, à la fois se faire peur et se rassurer avec le caractère inévitable
et primordial d’un repli identitaire au mieux primitif, au pire meurtrier, mais
en tout état de cause extérieur.
Ne pas chercher l’identité dans la tête des gens
Qu’on ne considère pas, en effet, que les catégories « ethniques », «
culturelles » ou « identitaires » n’aient aucun sens, ou soient le pur produit
de théories paresseuses, ou encore qu’on puisse les réduire aux manipulations
habiles d’acteurs identifiables.
Celles-ci existent, certes.
Mais, outre que les
chantres de l’identité peuvent croire sincèrement à leur propre discours,
l’efficacité de celui-ci, fût-il cynique, suppose qu’il entre en résonance avec
des croyances réelles.
Car les descriptions que l’on donne des conflits
identitaires ne sont pas inexactes.
Les miliciens serbes qui ont massacré des
femmes, des vieillards et des enfants au Kosovo en 1999, les responsables du
génocide rwandais de 1994, les militants nationalistes hindous qui ont démantelé
la mosquée d’Ayhodya en 1992 croyaient souvent sincèrement au discours qui
servait à légitimer leur action : que les Albanais, les Tutsi, ou les Musulmans,
étaient des êtres dangereux contre lesquels aucune mesure ne serait excessive.
L’« illusion identitaire » n’est pas de prendre au sérieux ces croyances et de
chercher à les analyser, mais de considérer qu’elles sont en elles-mêmes des
clés d’interprétation valides - que ces catégories désignent des objets « déjà
là » qui auraient un statut explicatif.
L’« Albanais, le « Tutsi », l’« Hindou »
font partie du problème autant que de la solution.
Ce qui est historiquement
construit est également, ici et maintenant, parfaitement réel.
Pour comprendre,
il faut s’efforcer de conjuguer les deux regards.
Une telle approche suppose, au mépris apparent du bon sens, de ne pas chercher
l’identité dans la tête des gens.
Sans doute s’y trouve-t-elle en partie, si
l’on convient de la considérer comme tout ce qui va de soi aux yeux des acteurs,
alors même que cela pourrait ne pas aller de soi aux yeux d’autrui.
Mais cette
définition, qui renvoie à la fois à des spécificités et à la manière de les
considérer, est incomplète.
La conscience de la différence présuppose
l’interaction sociale ; l’identité est donc un rapport social au moins autant
qu’un schéma mental.
Les recherches les plus intéressantes sur les questions identitaires portent
précisément sur les processus par lesquels les frontières entre groupes sont
tracées et maintenues, et donc les identités collectives constituées.
Les «
Serbes », dans le contexte des dynamiques politiques de l’ex-Yougoslavie, sont
ainsi un produit de démarches actives de démarcation où la violence a joué un.
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