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Le langage, notion du bac de philosophie

Publié le 10/05/2025

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« 1)Dans quel but parle-t-on ? En se posant cette question, on se propose d’explorer les usages sociaux de la parole, les éventuels effets de pouvoir qui en résultent, ou encore la nature du processus de communication. a)Parler, est-ce le contraire d’agir ? -Un préjugé tenace veut que parler, ce soit moins qu’agir.

En parlant on ne fait rien, voire on couvre son inaction.

On parle pour ne pas agir, pour échapper aux efforts ou aux responsabilités qui sont inhérents au fait d’agir. -A l’encontre de ce préjugé, la théorie des actes de langage (=speech acts) tente pourtant de montrer que la parole est elle-même une forme d’action.

Le point de départ de cette théorie, c’est le livre How to do things with words (= en français, “Quand dire, c’est faire”) du philosophe anglais JL Austin (1960).

On parle aussi de performativité du langage. -Indépendamment de cette théorie, on connaît des cas où les paroles proférées par un orateur particulièrement éloquent ont changé le cours de l’histoire.

Voir, dans le b) ci-dessous, quelques exemples de grands discours. -Il y a aussi le cas intéressant de ce qu’on appelle les prophéties autoréalisatrices: l’exemple le plus célèbre est celui de la prophétie qui prévoit qu’Oedipe tuera un jour son père et épousera sa mère =la chose n’aurait jamais eu lieu (si on en croit le mythe, bien sûr) si elle n’avait pas été annoncée. Le domaine dans lequel on parle de prophéties autoréalisatrices (self fulfilling prophecies) est souvent celui de l'économie ou de la finance.

Pour un personnage influent, annoncer un krach boursier; c’est le provoquer. -L'intérêt de la théorie des actes de langage, c’est de généraliser et de démocratiser en quelque sorte la notion d’un pouvoir attaché à la parole.

Il n’est pas nécessaire de disposer d’une autorité au sens institutionnel du terme pour être en mesure d’agir sur les autres par sa parole. Pour autant, il ne faut pas penser que les actes en question débouchent obligatoirement sur des effets spectaculaires.

Dans “acte de langage”, on doit comprendre la notion d’acte comme renvoyant à une manière d’entrer en interaction avec les autres par les moyens du langage. Il est clair par exemple qu’on ne “fait” pas exactement la même chose quand on s’exprime au moyen de l’indicatif ou de l'impératif. 1 On se sert de l’indicatif pour transmettre une information (on dit à l’autre “je ne suis pas content”, “je t’aime”, ou encore “il a plu toute la nuit”); on se sert de l'impératif pour influer sur les actes de l’autre par le moyen d’une demande, d’un ordre, d’une prière, etc. L'originalité de la théorie des actes de langage, c’est cependant de nous montrer que même des énoncés purement descriptifs en apparence servent également à prendre position, à se situer par rapport à ce qu’on dit, voire à agir sur son interlocuteur. Ainsi, lorsqu’on dit à l’autre “je t’aime”, on ne vise pas seulement à l'informer de la nature des ses propres sentiments (auquel cas la réponse appropriée serait “je te remercie de me faire part de cette information”, ce qui peut paraître légèrement absurde), mais on annonce en même temps une intention (celle de réaffirmer la valeur d’une relation qui existe déjà, celle de créer une relation dans le cas de la déclaration d’amour, etc.) et ce faisant, on crée aussi une situation nouvelle. En déclarant son amour à l'autre, on ne l’informe pas seulement sur les sentiments qu’on ressent à son égard, mais on s’ouvre à lui ou à elle entièrement … D'où la valeur rituelle de la phrase “Je t’aime” supposée consacrer la réalité d’une relation amoureuse si ce n’est initier celle-ci. Cependant, en déclarant son amour à l'autre, on souhaite peut-être le ou la forcer, aussi, à sortir d’une sorte d'ambiguïté.

Si je dis à l’autre que je l’aime, alors il ou elle ne pourra pas faire comme si cela n’avait pas été dit, ni comme s’il (ou comme si elle) ne le savait pas.

Il ou elle devra prendre position, en explicitant par exemple la nature de ses sentiments à mon égard. Lorsque l’autre me dit qu’il ne m’aime pas, ce n’est peut-être pas ce que j'espérais au départ, mais cela n’en est pas moins mon acte = acte consistant ici à faire en sorte qu’il (ou qu’elle) se positionne face à la situation nouvelle créée par la déclaration. -Dans la théorie des actes de langage, on appelle “acte locutoire” celui qui consiste à transmettre une information (sur le temps qu’il fait, sur un événement d'actualité, sur la nature de ses sentiments, etc.) Mais cet acte locutoire est souvent en même temps un acte illocutoire, c’est-à-dire un acte par lequel on se positionne, ou par lequel on définit ou redéfinit la nature de la relation entre l’autre et soi-même.

Ainsi, “il fait beau aujourd’hui” peut servir à marquer un embarras (je vous parle du beau temps car je ne sais pas quoi vous dire d’autre) ou à sortir de l’embarras (je ne ne vous connais pas mais en vous adressant la parole je fais part de mes intentions bienveillantes à votre endroit). Cet acte locutoire (=visant à décrire une certaine réalité) et illocutoire (visant à définir la relation entre l’autre et moi) peut aussi être un acte perlocutoire, c’est-à-dire visant à faire effectuer quelque chose par l’autre (j’adresse la parole à l'autre dans l’attente qu’il 2 me parle aussi, mais même son silence éventuel serait sa réponse et donc mon acte … mon acte étant de l’obliger à me répondre). b)Y a-t-il un pouvoir de la parole ? Pour passer de la notion d’acte de langage à celle d’un pouvoir de la parole, il faut supposer que la parole ne soit pas seulement une manière d’agir sur l’autre, mais qu’elle possède des effets “réels” dans le monde.

Ce qui semble s’accorder au cas des grands orateurs de l’histoire, ou à la notion même selon laquelle il est possible par un discours éloquent de manipuler une foule ou, comme le dit Cicéron, “de faire basculer les passions du peuple” … N.B.

l’exemple le plus célèbre de discours qui retourne une foule est peut-être celui de Marc Antoine dans le Jules César de Shakespeare: Charlton Heston Mark Antony speech "Julius Caesar" (1970) Quant à Gorgias, sophiste et orateur grec (5e siècle avant notre ère), il attribue aux paroles de Paris un pouvoir tel qu'Hélène en fut littéralement subjuguée: dans la mesure où il était hors de son pouvoir de résister, Hélène se trouve excusée de toute infidélité conjugale.

(Et pouvoir innocenter Hélène est le but même de Gorgias dans l'éloge paradoxal qu’il lui consacre.) Ici, la parole est dotée d’un pouvoir de contraindre, son effet sur l’autre s’apparentant alors à une violence, voire à un viol: “Car le discours persuasif a contraint l'âme qu'il a persuadée, tant à croire aux discours qu'à acquiescer aux actes qu'elle a commis.” Certes, il entre sans doute une part d'exagération et d’hyperbole dans les pouvoirs que Gorgias attribue au discours.

Mais la question demeure: quel pouvoir au juste attacher à la parole ? La parole possède-t-elle un pouvoir en elle-même ou seulement par l’intermédiaire des structures politiques, institutionnelles, ou hiérarchiques à l'intérieur desquelles elle se trouve mise en scène ? Cette question pourrait par exemple s'appliquer à deux discours particulièrement célèbres dans l’histoire des Etats-Unis, l’adresse de Gettysburg, prononcée par Lincoln le 19 novembre 1863, et le discours de Martin Luther King sur les marches du Lincoln Memorial à peu près cent ans plus tard … https://www.abrahamlincolnonline.org/lincoln/speeches/gettysburg.htm https://www.marshall.edu/onemarshallu/i-have-a-dream/ 3 -Adresse de Gettysburg: on retiendra notamment la phrase qui commence par “The world will little note…”, au milieu du 3e paragraphe. Ici, Lincoln fait usage du cliché déjà signalé plus haut, celui qui consiste à opposer l'inanité de la parole à l'éclat de l’action, seule dotée de valeur.

L’action, en l’occurrence, est celle des soldats qui, quelques semaines auparavant, ont laissé leur vie sur la terre désormais sacrée de Gettysburg.

Seul le sacrifice du sang versé a le pouvoir de transformer le champ de bataille en lieu sacré, ce que, selon Lincoln, aucune parole ne serait capable de faire. Mais le discours qu’il est lui-même en train de prononcer fait précisément ce qu’il affirme qu’aucune parole n’est capable d’accomplir: car c’est par l'habileté géniale de ce discours (dont la concision même fait partie) qui transforme Gettysburg en un lieu de mémoire de la conscience américaine, lieu qui célèbre le sacrifice accompli par les soldats de chacun des deux camps, comme s’ils étaient unis par une même cause (ce qui est bien entendu le contraire de la réalité historique elle-même). Pour employer les catégories introduites plus haut, consacrer (la terre de Gettysburg) est l’acte à la fois locutoire (=il dit qu’il le fait), illocutoire (=il le fait en le disant) et perlocutoire (=ce qu’il dit est pour permettre la réconciliation de la nation) opéré par le discours de Lincoln; -On peut, de même, appliquer les concepts issus de la théorie des actes de langage au discours de MLK.

Lorsque l’orateur définit le sens du.... »

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