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C. E. 7 juill. 1950, DEHAENE, Rec. 426

Publié le 01/10/2022

Extrait du document

« GRÈVE DANS LES SERVICES PUBLICS C.

E.

7 juill.

1950, DEHAENE, Rec.

426 (S.

1950.3.109, note J.

D.

V.; D.

1950.538, note Gervais; R.

D.

P.

1950.691, concl.

Gazier, note Waline; J.

C.

P.

1950.11.5681, concl.

Gazier; Rev.

Adm.

1950.366, concl.

Gazier, note Liet-Veaux; Dr.

Soc.

1950.317, concl.

Gazier). En ce qui concerne le blâme : Cons.

que le sieur Dehaene soutient que cette sanction a été prise en méconnaissance du droit de grève reconnu par la Constitution; Cons.

qu'en indiquant dans le préambule de la Constitution que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois que le réglementent», l'Assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l'intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte; Cons.

que les lois des 27 déc.

1947 et 28 sept.

1948, qui se sont bornées à soumettre les personnels des compagnies républicaines de sécurité et de la police à un statut spécial et à les priver, en cas de cessation concertée du service, des garanties disciplinaires, qe sauraient être regardées, à elles seules, comme constituant, en ce qui concerne les services publics, la réglementation du droit_ de grève annoncée par la Constitution; Cons.

qu'en l'absence de cette réglementation la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit comme à tout autre en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public; qu'en b'état actuel de la législation, il appartient au Gouvernement, responsable du bon fonctionnement des services publics, de fIXer lui-même, sous le contrôle du juge, en ·ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue desdites limitations; Cons.

qu'une grève qui, quel qu'en soit le motif, aurait pour effet de compromettre dans ses attributions essentielles l'exercice de la fonction p,éfectorale porterait une atteinte grave à l'ordre public; que, dès lors, le gouvernement a pu légalement faire interdire et réprimer la participation des chefs de bureau de préfecture à la grève de juillet 1948; ·Cons.

qu'il est constant que le sieur Dehaene, chef de bureau à la préfecture d'Indre-et-Loire a, nonobstant cette interdiction, fait grève du 13 au 20 juillet 1948; qu'il résulte de ce qui précède que cette attitude, si elle a été inspirée par un souci de solidarité, n'en a pas moins constitué une faute de nature à justifier une sanction discipli- naire; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui infligeant un blâme le préfet "d'Indre-et-Loire a excédé ses pouvoirs; ... (Rejet). OBSERVATIONS I.

- Le 13 juillet 1948, un mouvement de grève à l'origine duquel se trouvaient des revendications d'ordre professionnel se déclenchait parmi les fonctionnaires des préfectures.

Le ministre de l'intérieur fit savoir, le jour même, que tous les agents d'autorité - plus précisément les agents d'un grade.

égal ou supérieur à celui de chef de bureau - qui -se mettraient en grève devaient être immédiatement suspendus.

La majorité des agents a:insi visés cessa néanmoins le travail, et ne le reprit qu'une semaine plus tard, lorsque leur syndicat leur en eut donné l'ordre.

Les préfets prononcèrent, le 13 juillet, la suspension des chefs de bureau en grève; lors de la reprise du travail, la suspension fut remplacée par un blâme. Six chefs de bureau de la préfecture d'Indre-et-Loire formèrent un recours contre la sanction dont ils étaient frappés, soutenant que l'exercice du droit de grève reconnu par le préambule de la Constitution ne pouvait constituer une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire. II.

- La législation française est demeurée longtemps muette au sujet de la grève des fonctionnaires.

Un seul texte pouvait être considéré comme régissant cette matière : c'est l'art.

123 du code pénal aux termes duquel « Tout concert de mesures contraires aux lois pratiqué soit par la réunion d'indi'vidus ou de corps dépositaires de quelque partie de l'autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d'un emprisonnement ...

».

Jèze observait en 1909 (R.

D.

P. 1909.500) que ce texte, qui n'avait jamais été appliqué sous les régimes monarchiques et sous l'Empire, ne le serait jamais sous la IIIe République.

Il ne se trompait que de fort peu, l'art.

123 n'ayant été appliqué qu'une seule fois (Trib.

corr.

de la Seine, 4 déc.

1934, D.

1935.2.57, note Waline).

C'est donc à la jurisprudence qu'il revint d'élaborer les règles de droit relatives à la grève des agents publics.

Elle adopta une attitude rigoureuse, en considérant que l'agent qui se mettait en grève s'excluait par là même du service et, par voie de conséquence, du bénéfice des garanties disciplinaires (v.

nos observations sous l'arrêt Winkell* du 7 août 1909). Cette jurisprudence sévère pour les grévistes appelait tout naturellement une jurisprudence favorable aux mesures prises par les pouvoirs publics pour briser les grèves de fonctionnajres ou d'agents des services concédés.

Ainsi le Conseil d'Etat jugeait-il que le rappel des cheminots pour une période.

mili- taire ne constituait pas un détournement de pouvoir alors même que cette mesure était prise dans le but de briser une grève (18 juilL 1913, Syndicat national des chemins de fer de France et des colonies, Rec.

882; R.

D.

P.

1913.506, concl. Helbronner, note Jèze) et estimait-il légale la réquisi!ion par décret des agents et ouvriers des services publics de l'Etat, des départements, des communes et des services concédés, én vue de briser une grève (5 déc.

1941, Sellier, Rec.

208; S.

1942.3.25, note Mestre). La jurisprudence devint la loi avec le statut des fonctionnaires du 14 sept.

1941, dont l'art.

17 disposait : « Tout acte d'un fonctionnaire portant atteinte à la continuité indispensable'à la marche normale du service public qu'il a reçu mission d'assurer constitue le manquement le plus grave à ses devoirs essentiels. Lorsqu'un acte de cette nature résulte d'une action collective ou concertée, il a pour effet de priver lë fonctionnement des garanties prévues par le présent statut en matière disciplinaire.» Mais cette loi a été abrogée par l'ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine. Il~.

- Les données juridiques du problème furent modifiées par le préambule de la Constitution de la IVe République, d'après lequel : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

» Or la loi du 19 oct.

1946 relative au statut des fonctionnaires leur reconnaissait le droit syndical, mais restait muette sur l'exercice du droit de grève.

Deux lois seulement étaient venues réglementer ce droit : la loi du 27 déc. 1947 sur les compagnies républicaines de sécurité qui le retirait à leurs membres et assimilait la grève à l'abandon de poste, et la loi du 28 sept.

1948 relative à la police qui disposait que « toute cessation concertée du service pourra être sanctionnée en dehors des garanties disciplinaires».

Le commissaire du gouvernement· Gazier n'eut guère de peine à convaincre le Conseil d'État que ces lois ne pouvaient constituer la réglementation d'ensemble du droit de grève. Il restait alors à apprécier la valeur juridique du préambule de la Constitution.

La doctrine lui assignait, en général, la valeur.

de règle de droit -positif, tout au moins ~ l'égard.

du pouvoir exécutif et du juge.

Elle était plus partagée sur la question de savoir si la formule du préambule était assez précise pour s'appliquer : les auteurs admettaient cep·endant, à pèu près unanimement, que le préambule réservait la matière à la loi. Le commissaire du gouvernement Gazier soutint au contraire que le préambule n'exprimait que des principes fondamentaux du droit et que le principe du droit de grève devait être concilié avec d'autres principes non moins respectables, notamment celui de la continuité du service public « Admettre sans restriction la grève des fonctionnaires, ce serait ouvrir des parenthèses dans la vie constitutionnelle et, comme on l'a dit, consacrer officiellement la notion d'un État à éclipses.

Une telle solution est radicalement contraire aux principes les plus fondamentaux de notre droit public.

» Le maintien de l'ancienne jurisprudence n'était cependant plus possible : outre qu'elle ne cadrait plus avec le préambule, elle était en divorce complet avec les faits : elle opposait radicalement les agents des services publics et les salariés de droit commun, dont la condition ne cessait de se rapprocher; d'autre part « la ligne de démarcation entre les activités professionnelles qui ne peuvent être interrompues sans atteinte profonde à la vie nationale et celles qui peuvent s'accommoder de la grève ne coïncide pas avec celle qui oppose les agents des services publics aux salariés de droit privé...

La grève des boulangers et celle des laitiers affecte plus la vie de la nation que celle des gardiens de musée ou des conservateùrs, des hypothèques ».

Il vaut donc mieux admettre que la grève n'est plus nécessairement illicite, mais que, dans l'attente des lois la réglementant, le gouvernement peut limiter: son exercice si l'ordre public l'exige. Le Conseil d'Etat a admis, dans· sa décision soigneusement motivée, le raisonnement de son commissaire et s'est, depuis lors, tenu à la jurisprudence Dehaene, malgré les critiques d'une partie de la doctrine qui estima que la matière était réservée par la Constitution au pouvoir législatif. La Constitution de 1958_ n'a pas changé les données du problème.

Son préambule confirme celui de la Constitution de 1946, et l'ordonnance du 4 févr.

1959 sur le statut des fonctionnaires est tout aussi muette sur le droit de grève que la loi du 19 oct.

1946.

Tout au plus peut-ori relever que de nouvelles catégories de fonctionnaires se sont vu refuser-le droit de grève par la loi (ord.

du 6 août 1958, pour les agents des services extérieurs de l'administration pénitentiaire;.

ord.

du 22 déc. 1958, pour les magistrats; loi du 2 juill.

1964, pour certains personnels de la navigation aérienne; loi du 13 juill.

1972, pour les militaires).

Mais, pour l'ensemble des agents des services publics, c'est la jurisprudence Dehaene, complétée et précisée depuis lors ·par de nombreux arrêts, qui demeure applicable. Bien que l'entreprise soit téméraire, il n'est pas sans intérêt d'essayer d'énoncer les quelques principes qui régissent à l'heure actuelle la grève dans la fonction publique : 1° La grève des agents publics est en principe licite M.

Gazier constatait que le maintien du principe absolu de l'illégitimité de la grève était contraire à l'évolution et serait de toute façon inefficace. 2° Mais elle n'est licite que « pour la défense des intérêts professionnels» : la formule est dans l'arrêt Dehaene; la grève politique n'est donc pas légitime (cf.

18 févr.

1955, Bernot, Rec.

97; - 8 févr.

1961, Rousset, Rec.

85, concl.

Braibant; Droit ouvrier, 1961.380,- concl.

Braibant).

Mais le gouvernement n'est pas obligé de « prévoir une réglementation différente selon la nature des objectifs visés par les grévistes » (C.

E. 28 nov.

1958, Lepouse, Rec.

596; D.

1959.263, note Quermonne; R.

D ..

P.

1959.306, note Waline; A.

J.

1958.1.128, chr. Combarnous et Galabert). 3° Le droit de grève doit se concilier avec le devoir de réserve qui s'impose à tout agent publfo (C.

E.

12 oct.

1956, ' Delle Coquand, Rec.

362; l'incitation, par voie de tracts et de ·harangues, même en dehors du service, à une grève ·politique, constitue une faute disciplinaire). 4° Même lorsque la grève est licite, le gouvernement peut prendre les mesures propres à « en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public».

Il n'est pas évident que, ainsi que le soutenait M: Gazier, les sanctions soient illégales en l'absence de circulaire ou d'instruction prévenant les intéressés de l'interdiction de faire grève : l'arrêt n'avait pas à se prononcer sur ce point puisqu'il y avait eu des instructions en l'espèce. 5° L'arrêt Dehaene fait de la compétence pour limiter .le 1 droit de grève un aspect du pouvoir réglementaire du gouvernement.

Ces limitations peuvent être édictées par des circulaires ministérielles (C.E.

18 mars 1956, Hublin, Rec.117; A.

J. 1956.U.222, chr.

Fournier et Braibant; R.

P.

D.

A.

1956.84, chr. Gaudemet) et même émaner de chefs de service (C.E.

19 janv. 1962, Bernadet, Rec.

49; D.

1962.202, note Leclercq; - 4 févr.. 1966, Syndicat unifié des techniciens de la R.

T.

F., Rec.

82; D.

1966.720, note Gilli; J.

C.

P.

1966.II.14802, note Debbasch; R.

D.

P.

1966.324, concl.

Bertrand; C.

J.

E.

G.

1966.121, concl. ! Bertrand).

Il y a là une application remarquable de la jurisprudence de l'arrêt Jamart * (C.

E.

7 févr.

1936). 6° Les contours du pouvoir reconnu au &_ouvernement ~ été progressivement précisés par le Conseil d'Etat depuis l'arrêt Dehaene.

La jurisprudence paraît s'inspirer de deux considérations.

D'une part, l'ordre public doit être assuré en priorité : c'est pourquoi, généralisant la formule de l'arrêt Dehaene, l'arrêt Lepouse (précité) décide qu'« une grève, qui aurait pour effet de compromettre dans ses élém~nts essentiels l'action gouvernementale, porterait une atteinte grave à l'ordre public» et doit donc être évitée.

D'autre part, seules doivent être apportées au droit de grève les limites indispensables à la sauvegarde de l'ordre public, et le juge administratif va exercer, comme le montre l'arrêt Lepouse, un contrôle très serré à la fois sur la nécessité d'assurer telle ou telle activité en tout état de cause et sur la désignation du personnel nécessaire au 1 -\ 7 maintien de cette activité.

Comme l'a dit le commissaire du gouvernement Gand dans ses conclusions sur l'affaire Lepouse, « nous sommes dans un domaine où une interdiction a d'autant plus de chance d'être respectée - ce qui est l'essentiel qu:ene est limitée, précise et ne prête pas le flanc à la critique». En application de ces principes, le Conseil d'État a considéré comme légales l'interdiction de la grève faite aux personnels des P.

T.

T.

indispensables à la sécurité des personnes, à la conservation du matériel et au fonctionnement des liaisons indispensables à l'action gouvernementale (28 nov.

1958, Lepouse, précité), ou celle faite aux agents occupant des emplois indispensables au fonctionnement normal des services de sécurité aérienne (26 oct.

1960, Syndicat général de la navigation aérienne, Rec.

567; Dr.

Soc.

1961.100, concl.

Fournier; Droit Ouvrier 1961.38, concl.

Fournier, note Piquemal : ce dernier arrêt va même jusqu'à admettre la légalité de l'exigence d'un préavis individuel de cinq jours pour la grève de certains agents).

Il a considéré comme valable le refus du droit de grève aux gardiens de passages à niveau et l'interdiction des grèves tournantes aux agents de la S.

N.

C.

F., les autres grèves devant être précédées d'un préavis de cinq jours (23 oct.

1964, Fédération des syndicats chrétiens de cheminots, Rec.

484; J.

C.

P.

1965.11.14721, note Belorgey; A.

J.

1964.682, chr.

Mme Puybasset et Puissochet; R.

D.

P.

1965.700, note Waline; R.

D.

P.

1964-1210, concl.

Bertrand).

Il a estimé que le gouvernement avait valablement pu désigner par circulaire le personnel nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services du groupement des contrôles radio-électriques (4 févr.

1966, Syndicat national des fonctionnaires et agents du Rec. 80; groupement des contrôles radio-électriques, D.

1966.720, note Gilli; J.

C.

P.

1966.11.14802, note Debbasch; R.

D.

P.

1966.

324, concl.

Bertrand; C.

J.

E.

G.

1966.J.121, concl.

Bertrand).

De même c'est à bon droit que le droit de grève a été refusé par le ministre de l'intérieur à certains fonctionnaires supérieurs des préfectures et aux fonctionnaires de tout grade affectés au cabinet du préfet (16 déc.

1966, Syndicat national des f onciionnaires et agents des préfectures et sous-préfectures de France et d'outre-mer C.

G.

T.-F.

O., Rec.

662; D.

1967.105, note Gilli; J.

C.

P.

1967.11.15058, note Mme Sinay, A.

J.

1967.99, concl.

Bertrand; R.

D.

P.

1967.555, note Waline; Rev.

Adm.

1967.30, note Liet-Veaux; Dr.

ouvrier IS,67.34, note Piquemal); la même solution a été adoptée pour les « personnels d'autorité ou ayant des responsabilités importantes des services extérieurs des douanes» (21 oct.

1970, Syndicat général des fonctionnaires des impôts F.

O.

et syndicat national des agents de direction, de contrôle et de,perception des douanes de France et d'Outre-Mer, Rec.

596; A.

J.

1971.365, note V.

S.) et pour certains greffiers qui sont pour les chefs des juridictions et les magistrats auprès desquels ils sont affectés des auxiliaires indispensables à l'exercice de leurs fonctions (C.E.

21 déc.

1977, Syndicat national C.

F.

D.

T.

des cours et tribunaux).

Toutefois dans ces deux demi.ers arrêts les décisions attaquées ont été annulées en tant qu'elles refusaient le droit de grève, d'une part, à la totalité des fonctionnaires de tous grades affectés au secrétariat du secrétaire général, au bureau du cabinet et au bureau du courrier et de _la coordination et, d'autre part, à tous les inspecteurs principaux des douanes. Le Conseil d'État a également annulé une interdiction per- · manente et absolue de la grève du personnel des ateliers mécanographiques du ministère de l'intérieur (C.E.

10 juin 1959, Syndicat national des personnels des préfectures, Rec.

354), ainsi que la discrimination tentée par un ministre entre ses subordonnés selon le niveau de leur rémunération (28 nov.

1958, Lepouse, précité).

Il a de même annulé l'interdiction faite aux cheminots de recourir à des grèves locales ne résultant pas d'un concert à l'échelon national (23 oct.

1964, Fédération des syndicats chrétiens de cheminots, précité). En ce qui concerne les personnels de la Radiodiffusion et de la Télévision, le Conseil d'État a tout d'abord considéré.... »

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