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Séquence poésie : Les mémoires d’une âme. Victor Hugo, Les Contemplations (1856) Explication de texte n°3 : « Demain, dès l’aube… », Livre IV, « Pauca Meae », poème XIV.

Publié le 01/06/2022

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« Séquence poésie : Les mémoires d’une âme.

Victor Hugo, Les Contemplations (1856) Explication de texte n°3 : « Demain, dès l’aube… », Livre IV, « Pauca Meae », poème XIV. 5 10 « Demain, dès l’aube… » Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai.

Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. 3 septembre 1847 1 Introduction : - Présentation de l’auteur : Victor Hugo : 1802-1885, poète, romancier, homme de théâtre et homme politique.

S’inscrit dans le mouvement romantique.

Célèbre en particulier pour ses romans Notre Dame de Paris (1831) et Les Misérables (1862).

Théorise le genre théâtral du drame romantique dans la Préface de Cromwell (1827), s’engage contre Napoléon III dans son recueil Les Châtiments (1853). - Présentation de l’œuvre et du texte : en 1856, Victor Hugo publie Les Contemplations, recueil autobiographique composé de deux parties, « Autrefois » et « Aujourd’hui », dont l’articulation correspond à la disparition accidentelle de sa fille Léopoldine, morte noyée dans la Seine à Villequier en Normandie, en 1843.

Nous nous proposons de faire l’explication du poème « Demain, dès l’aube », extrait du livre IV (« Pauca Meae »), constitué de trois quatrains d’alexandrins en rimes croisées, et qui raconte un pèlerinage du poète vers la tombe de Léopoldine.

Ce texte est un vibrant hommage rendu à cette dernière, où se côtoient l’amour, le deuil, le chagrin et l’espoir. - Lecture du texte - Problématiques possibles : Comment le poète fait-il face à la mort dans ce poème ? / De quoi se nourrissent les dimensions lyrique et pathétique de ce texte ? / Comment le poète parvient-il à associer la douleur et l’apaisement dans ce poème ? - Annonce du mouvement de l’explication : notre explication sera structurée en trois temps, selon l’organisation précise du poème de Hugo : la première strophe semble engager un dialogue et préparer un rendez-vous que l’on peut croire amoureux ; la deuxième strophe raconte le voyage lui-même et porte différents indices de la solitude réelle du poète et du deuil qu’il porte ; la dernière strophe évoque le point d’arrivée du pèlerinage et correspond à la révélation de la mort de l’interlocutrice. Développement : Première strophe : la programmation d’un rendez-vous entre deux personnes attachées l’une à l’autre V.1 : le poème s’ouvre sur une série de trois compléments circonstanciels de temps.

Les deux premiers occupent chacun deux syllabes ; le troisième, huit.

Cela engendre un effet d’attente : le lecteur en effet ne sait pas encore quelle action va se dérouler, il n’en connaît que les circonstances.

La dimension quelque peu redondante de la troisième information par rapport à la deuxième (« à l’heure où blanchit la campagne » peut apparaître comme une périphrase pour l’aube) renforce encore l’attente de l’énoncé de l’action principale.

En termes grammaticaux, le verbe n’est pas encore arrivé.

« Demain, dès l’aube », les premiers mots du poème, en l’absence de véritable titre, en sont devenus la désignation habituelle.

L’adverbe « demain » inscrit d’emblée le propos dans la temporalité de l’énonciateur (le poète – il s’agit d’un terme déictique, c’est-à-dire d’un terme dont le sens dépend du contexte dans lequel il est prononcé), et dans l’avenir.

D’après la date d’écriture supposée, indiquée au bas du texte, ce terme désigne le 4 septembre 1847, jour anniversaire de la disparition de Léopoldine Hugo, comme le sait le lecteur averti.

Les deux autres informations temporelles ont en commun de faire référence au début de la journée, ce qui participe, on le verra, de la structuration du poème.

Nous sommes au début de la journée et au début du poème. V.2 : L’information principale de la phrase (le sujet et le verbe) intervient au début du vers 2, sous forme de rejet (segment bref en début de vers rattaché syntaxiquement au vers précédent).

C’est l’entrée en scène du poète, et l’énoncé au futur d’un départ (« partirai »).

Le futur a une valeur de certitude : Hugo va nous livrer les éléments d’un programme, d’un emploi du temps bien défini, censé se dérouler le lendemain de l’énonciation du poème.

Ici, 2 Séquence poésie : Les mémoires d’une âme.

Victor Hugo, Les Contemplations (1856) c’est le premier jalon du déplacement qui est mentionné.

L’interlocuteur/trice entre également en scène dans ce vers : « vois-tu », « tu m’attends ».

Hors contexte, le lecteur présuppose qu’il s’agit d’une personne, puisqu’on lui parle directement et puisqu’elle est sujet d’un verbe d’action.

Il s’agirait donc d’un trajet pour retrouver quelqu’un de cher, et quelqu’un désireux aussi de ces retrouvailles : le registre lyrique et amoureux s’installe dans le poème.

Dans ce vers, Hugo joue de la place des pronoms, de leur proximité ou de leur distance, pour exprimer l’éloignement sentimental et la proximité sentimentale des deux personnages : aux deux extrémités du premier hémistiche, puis l’un à côté de l’autre dans la séquence « tu m’attends ». V.3 : Hugo instaure ici un parallélisme de construction épousant une symétrie syllabique : J’irai… (6 syllabes) /J’irai… (6 syllabes).

Un nouveau verbe de mouvement intervient, qui signifie non plus le départ mais la phase centrale du déplacement.

Les éléments d’un paysage extérieur, celui du cadre du voyage, sont mis en place : « forêt », « montagne » : ils construisent le champ lexical de la nature.

L’équilibre du vers semble refléter une certaine sérénité, celle du locuteur qui sait exactement ce qu’il va faire et quel est son but ; le lecteur l’ignore encore. V.4 : les registres lyrique et pathétique sont convoqués dans cette fin de strophe, où le poète exprime son manque de la personne à qui il s’adresse, en correspondance avec l’attente de celle-ci (v.2).

Les deux pronoms « je » et « toi » sont cette fois chacun dans leur hémistiche, soulignant la distance qui les sépare évoquée dans le vers (« loin de toi »). Deuxième strophe : le voyage se conjugue avec la solitude et le repli sur soi V.5 : Le déroulé de programme se poursuit avec un autre verbe de déplacement au futur : « marcherai ».

Cependant, dans ce vers le champ lexical de la nature disparaît, et pour cause : le poète affirme ne vouloir regarder que ses « pensées », autrement dit ne vouloir se tourner que vers l’intérieur de lui-même.

Le complément « sur mes pensées » peut surprendre le lecteur après l’expression « garder les yeux fixés », et exprime un mouvement brusque de fermeture sur soi. V.6 : Ce vers est marqué par la négativité avec la double occurrence de la préposition « sans », qui construit un vers en deux parties parallèles comme le vers 3.

Mais cette fois, c’est la fermeture qui domine, avec la négation des deux sens de la vue (« rien voir », phénomène) et de l’ouïe (« sans entendre »).

Il s’agit là d’un premier indice du deuil au cœur du poème : Hugo se présente en quelque sorte comme un mort, signe qu’il est très affecté et qu’il se rend sur une tombe. V.7 : L’adjectif « seul » mis en évidence à l’attaque du vers 7 montre qu’il ne s’agit sans doute pas d’un rendez-vous amoureux comme on s’y attendait ; et c’est un autre indice de la révélation finale (la tombe de Léopoldine).

Le poète continue son autoportrait marqué par la négation (inconnu) et par le repli sur soi : un repli physique autant que psychique : « dos courbé », « mains croisées », qui le fait ressembler à la fois à un vieillard et à un gisant. V.8 : Les registres lyrique et pathétique se confirment avec l’adjectif « triste » appliqué au poète et mis en évidence, comme « seul », en début de vers.

Le renoncement au sens de la vue est exprimé pour la troisième fois dans cette strophe avec la mise en équivalence du jour et de la nuit.

La mention du jour est importante pour la structure du poème : « l’aube », dans la première strophe, correspondait au début du déplacement ; le « jour », dans la deuxième strophe, correspond au cœur du voyage.

On peut également remarquer que la disparition de la nature dans cette strophe s’accompagne de la disparition de l’interlocutrice (aucune occurrence de la deuxième personne).

Le poète est bien « seul », et l’absence de l’interlocutrice est un nouveau signe de sa mort. Troisième strophe : la révélation finale et l’expression du deuil mêlée à celle de la sérénité 3 Séquence poésie : Les mémoires d’une âme.

Victor Hugo, Les Contemplations (1856) V.9 : La dernière strophe commence comme la deuxième, avec une nouvelle marque de négation (le système « ni… ni ») appliqué au sens de la vue.

Une fois de plus, le poète indique qu’il ne prêtera pas attention au décor qui entourera son déplacement.

Mais étrangement, il nomme (donc il sait) ce qu’il ne verra pas, et nous avons ici le troisième jalon temporel du parcours avec « l’or du soir qui tombe » : le voyage se déroule donc sur une journée complète. V.10 : il s’agit du deuxième élément du système de coordination « ni… ni ».

C’est encore un type de construction de phrase binaire et équilibré, comme aux vers 3 et 6 ; allié à l’absence de ponctuation expressive dans le poème (pas de point d’interrogation ni d’exclamation, qui n’auraient pas déparé dans un poème lyrique et pathétique), il instaure un certain calme, une sérénité de ton.

Les mentions du monde extérieur font retour dans cette strophe, en dépit de la négation du regard : la couleur du soir, dans le vers 9, et ici les bateaux (désignés par la métonymie des « voiles » et la ville d’« Harfleur ».. »

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