Paraguay (1985-1986)

« A peine les élections municipales d'octobre 1985 s'étaient-elles achevées au Paraguay, dans un climat de fraude et de répression, que le Parti colorado (89% des voix), au pouvoir, sollicitait officiellement la réélection du général Alfredo Stroessner pour la prochaine période présidentielle (1988-1992).

Cette démarche n'a fait que masquer, momentanément, les aigres conflits qui opposent, au sein des colorados, les "militants" menés par M.

Mario Abdo Benitez et les "traditionalistes", ces deux courants cherchant à imposer leur propre candidat à la succession de Stroessner. Ce dernier a fêté, en mai 1985, les trente et un ans de ce que la propagande appelle un "gouvernement en paix" mais qui constitue en réalité une dictature cruelle, de plus en plus anachronique alors que les voisins - Argentine, Brésil, Uruguay - ont renoué avec les institutions démocratiques.

On voit mal toutefois comment l'Accord national - front d'opposition constitué par le Parti libéral radical authentique, le Parti révolutionnaire fébrériste, la Démocratie chrétienne et le Mouvement populaire Colorado (MOPOCO) - parviendra à élargir son audience, encore faible dans le pays, même si le Paraguay est frappé par une dure crise économique et sociale: chute des réserves internationales, baisse des prix des principaux produits d'exportation (soja et coton), tassement des investissements publics, mauvaises perspectives pour la relance du barrage de Yacireta construit conjointement avec l'Argentine, forte inflation (40%). C'est dans ce contexte que les conflits agraires (la population, de 3,5 millions d'habitants, est essentiellement rurale), aggravés par la sécheresse, ont pris un tour aigu: 5 000 petits agriculteurs se sont rassemblés le 14 juillet 1985 à Caaguazú, en vue d'appuyer l'"Assemblée permanente des paysans sans terre", créée en 1984.

On assiste par ailleurs à un essor du Mouvement intersyndical des travailleurs (MIT, fondé le 1er mai 1985, 3 500 membres), qui s'oppose à la bureaucratie corrompue coiffant la Confédération des travailleurs paraguayens (CTP, 20 000 membres).

L'Église catholique, notamment par la voix de Mgr Melanio Medina, multiplie ses critiques envers le régime, et la presse, pourtant muselée, a dénoncé plusieurs scandales, dont celui soulevé, en décembre 1985, par une gigantesque fuite de devises (1 milliard de dollars) qu'organisaient des fonctionnaires de la Banque centrale. L'odeur de décomposition qui accompagne la fin du règne du dictateur mécontente certains milieux d'affaires, pas toujours d'accord avec l'énormité de la contrebande, et surtout inquiète Washington, qui souhaiterait un changement, fût-il de façade.

Mais, à Asunción, un slogan circule: "Le sang de Stroessner doit continuer." Est-ce à travers son fils, le colonel Gustavo Stroessner? Il y a en tout cas un rêve que le général-président n'a pu réaliser en juillet 1985: le voyage en Allemagne fédérale, patrie de ses pères.. »