L'esprit qui ne sait plus douter, dit Alain, descend au-dessous de l'esprit. Qu'en pensez-vous ?
Publié le 16/05/2020
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Introduction : Bien définir les termes du sujet :- « L'esprit » : Il s'agit ici du sens général de l'esprit entendu comme ce qui est opposé au corps, et à la matière, c'est leprincipe de la pensée et de la réflexion.
L'esprit est donc considéré comme spécifiquement humain.
- « Le doute » : Douter c'est remettre en cause, refuser d'accepter immédiatement ce que l'on nous dit, ne pas adhérer.
Ledoute est l'état d'esprit touchant la réalité d'une chose ou d'un événement, la validité d'un raisonnement.
Ne plus savoir douter, c'est ne plus être en mesure de prendre de la distance par rapport à une information pourl'examiner, et décider si on l'accepte.
- « Descendre au-dessous de l'esprit » : il s'agit ici d'un jugement de qualité, c'est ne plus exercer les fonctions de l'esprit,et donc ne plus pouvoir être considéré comme un esprit en tant que tel.
Construction de la problématique : Le sujet ne pose pas la question de la capacité initiale de l'esprit à douter – il ne s'agit pas ici de savoir quel est lerôle de l'esprit, mais plutôt de sa possible dénaturation : l'esprit ne sait plus douter.
Il ne s'agit pas d'un choix libre, d'unedécision - qui n'empêche pas à nouveau l'exercice du doute, mais plutôt d'une incapacité contractée, peut-être à la suited'un manque d'exercice.
à Cependant, si l'on admet que le doute est une caractéristique de l'esprit, et que l'esprit est une caractéristique de l'homme, alors il semble que le doute soit une caractéristique de l'homme.
Se pose donc la question de savoir sil'absence de l'exercice du doute met en danger l'humanité de l'homme.
Autrement dit, est-ce que l'homme qui ne doutepas est tout de même un homme – au sens d'être spirituel ? Plan : I/ Le doute est nécessaire à la connaissance : Si l'esprit se définit par sa capacité à douter, alors il se définit aussi par la capacité qui lui est concomitante, àsavoir celle de connaître.
C'est en effet le doute qui permet de faire avancer la science en la poussant à aller sans cesseplus loin dans ses justifications. ● C'est de cette manière que Descartes utilise le doute.
En effet, il est selon lui la méthode par excellence pour constituer une science vraie – une science qui ne se base pas sur des illusions.
Dans les Méditations métaphysiques , Descartes s'est rendu compte qu'il croyait à bon nombre de choses, et que certaines d'entre elles étaient fausses.
Ildécide donc de tout examiner, de mettre tout en doute, pour parvenir à la vérité et se libérer des illusions.
Il considèrecomme fausse toute chose qui n'est pas certaine, c'est l'évidence qui est le critère de certitude.
Le doute cartésien estradical (pas d'intermédiaire entre le vrai et le faux), rationnel (motivé par des raisons de douter) volontaire (repose surune pure décision) et vécu. ● Ce doute, par ses caractéristiques apparaît donc bien comme étant provisoire, et comme n'étant qu'un moyen pour parvenir à une véritable science ; il fonde ainsi de manière inébranlable chaque certitude.
L'esprit doit donc douterpour parvenir à la vérité, et celui qui ne sait plus douter est condamné à vivre dans le monde des apparences. II/ Le doute comme distance par rapport au monde : Le doute nécessite un objet, c'est-à-dire qu'il porte toujours sur quelque chose, que ce soit un objet extérieur, ousoi-même.
De ce fait, le doute invite à considérer le monde, et ce n'est possible que lorsque l'on se considère commedistant du monde.
● En effet, c'est seulement parce que je considère le monde comme extérieur à moi, comme différent de moi que jepeux exercer le doute.
Cette distance par rapport au monde est permise par la conscience.
En effet, comme l'expliqueSartre dans L'être et le néant , la conscience est un « néant », c'est-à-dire une puissance néantisante – capable de nier l'existence du monde, de le dire différent d'elle - qui permet le dévoilement du monde par sa mise à distance.
● Si le doute implique nécessairement comme fondement une mise à distance du monde, et si cette mise àdistance n'est possible que par le biais de la conscience, alors celui qui ne sait plus douter est celui qui ne sait plus semettre à distance du monde.
Il est engagé dans le monde, enfoncé, englué, il ne se distingue plus de lui, et n'existe doncplus en tant que conscience.
L'individu qui ne doute plus n'existe donc plus comme conscience et n'existe donc plus nonplus en tant qu'esprit.
Sa qualité d'homme peut de ce fait être remise en cause. III/ Douter comme marque de la liberté : Mais la particularité du doute cartésien, est qu'il est motivé par une tromperie.
Il s'aperçoit en effet que certaineschoses qu'il a toujours considérées comme vraies sont en réalité fausse.
Or, on pourrait considérer que le véritable doutene se contente pas de porter sur ce qui nous est révélé comme étant une illusion.
● C'est ce qu'explique Alain dans Libres propos , lorsqu'il dit « douter quand on s'aperçoit qu'on s'est trompé ou que l'on a été trompé, ce n'est pas difficile ; je voudrais même dire que cela n'avance guère.
» Ce doute là est selon lui forcé,c'est une violence qui nous est faite, et il est de ce fait une faiblesse, et caractérise plus une confiance trompée qu'uneréelle capacité de l'esprit.
Le véritable doute doit être une initiative, une décision : l'esprit doit toujours douter, c'est-à-diretoujours examiner.
● Croire, selon Alain, est un confort qui nous permet d'avoir des illusions, de vivre agréablement, mais cela fait denous des animaux.
La crédulité est l'absence de l'exercice du doute, elle nous démet de notre rang d'Homme, parce qu'elle« nous fait dormir les yeux ouverts comme font les bêtes ».
Le doute doit être pratiqué par chacun, et jamais délégué souspeine de perdre sa liberté.
En nous permettant de nous constituer notre propre jugement, le doute nous permet donc derester libres, autrement dit, de rester des hommes.
C'est la raison pour laquelle il est possible de dire avec Alain quel'esprit qui ne sait plus douter descend au-dessous de l'esprit..
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