Humour et comique dans Le Chevalier à la charrette, de Chrétien de Troyes

« Q U E S T 0 N S T R A T É E S Il Humour et comique A priori, les romans de Chrétien de Troyes ne sont pas essentiellement des œuvres comiques ; pourtant, un certain nombre de passages prêtent à sou­ rire, voire à rire pour le lecteur moderne.

Comment cela est-il possible? 1 -QU'EST-CE QUI EST COMIQUE? Le comique et l'humour sont parmi les notions qu'il est le plus difficile d'analyser et de percevoir dans un texte littéraire.

Ce qui semble faire rire le public contempo­ rain de l'œuvre peut rester absolument impénétrable pour le public moderne.

Inversement, certains passages paraissent irrésistiblement comiques au lecteur du xxe siècle, alors qu'ils étaient perçus comme tout à fait sérieux à l'époque de Chrétien de Troyes.

À cette catégorie ressortissent entre autres tous les anachro­ nismes, et les exagérations des scènes courtoises.

Il -COMIQUE DE SITUATION Il est clair cependant que Chrétien lui-même prend souvent un malicieux plaisir à placer ses personnages, et en particulier Lancelot, dans des situations extrêmes qui ne peuvent que susciter le rire: c'est le cas, entre autres, lorsque le malheu­ reux chevalier se trouve contraint de partager la couche de la demoiselle entrepre­ nante, et se terre dans un coin du lit, raide comme un morceau de bois.

Un même motif peut d'ailleurs être traité de différentes manières, tantôt sérieuse­ ment, tantôt de façon franchement comique, tantôt avec une légère ironie : ainsi de la réaction extatique de Lancelot chaque fois qu'il aperçoit la reine ou un objet qui lui a appartenu.

Lorsque ce genre d'extase se produit pendant un combat contre Méléagant, cela ne saurait prêter à rire, car les enjeux sont graves.

En revanche, montrer Lancelot près de s'évanouir parce qu'il contemple quelques cheveux de la reine abandonnés sur son peigne, cela ne peut que susciter un sourire chez le lecteur.

Ill -LES COMMENTAIRES DU NARRATEUR Le plus souvent d'ailleurs, celui-ci n'est pas livré à lui-même dans sa lecture : le narrateur intervient très fréquemment, pour fournir un commentaire suivi des évé­ nements et des émotions des personnages.

Or, Chrétien éprouve, comme il le dit clairement dans son Prologue, certaines réti­ cences à l'égard de sa« matière»; au lieu de renforcer l'impact des scènes drama­ tiques qu'il relate, ses interventions d'auteur sont donc en général empreintes d'ironie, et marquent la distance de !'écrivain face à son sujet.

Ainsi par exemple, la« tentative de suicide »de Lancelot est racontée avec une malice qui en désamorce la dimension tragique, et transforme une scène pathétique en parodie* qui révèle les aspects ridicules du code courtois et chevaleresque.

Conclusion: Bien sûr, La Charrette n'est pas une œuvre comique: on ne rit jamais aux éclats en la lisant.

Mais il est bien rare qu'on ne sourie pas aux clins d'œil de l'auteur, qui superpose un commentaire ironique à un récit de facture classique.

La lecture au premier degré est impossible ; le sens de l'humour de Chrétien de Troyes se manifeste à chaque page.. »