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« Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde le notre nous le voyons se multiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux autant nous avons de mondes à notre disposition ….? » (Proust)

Publié le 02/12/2021

Extrait du document

Ci-dessous un extrait traitant le sujet : « Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde le notre nous le voyons se multiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux autant nous avons de mondes à notre disposition ….? » (Proust). Ce document contient 1 mots soit pages. Pour le télécharger en entier, envoyez-nous un de vos documents grâce à notre système gratuit d’échange de ressources numériques. Cette aide totalement rédigée en format PDF sera utile aux lycéens ou étudiants ayant un devoir à réaliser ou une leçon à approfondir en: Echange.


 

 

Consigne: réflexion restreinte à la littérature. Développer une réflexion qui traite l’histoire littéraire dans son ensemble et l’ensemble des genres littéraires. 

 

«Artistes originaux«: art véritable qui suppose une création, une originalité. C’est dans son aptitude à créer un tel monde que l’artiste fait la preuve de son originalité.

Mondes ≠ vision de mondes ou représentation de mondes: selon Proust le monde que nous donne à voir l’artiste c’est un monde qui lui est propre. Le problème n’est pas celui de la représentation mais de la présentation, de la création. 

 

Thèse: Il faut examiner la réalité dans les œuvres littéraires, en sachant qu’une œuvre c’est un autre monde que le notre. Les artistes originaux seraient capables de multiplier la notion d’un monde. La science, la vie ordinaire nous installe dans la certitude qu’il y a un monde la même dans tous les tous. Les artistes tendraient à nous faire découvrir une pluralité de mondes. 

 

Objection: face à cette création, nous ne serions que spectateurs. Elle nous serait offerte sans effort. Pouvons-nous nous contenter de découvrir ces mondes? On peut nous livrer tous les outils toues les méthodes de la création, ce n’est pas pour autant qu’on peut en faire le même usage que l’artiste. Ces nouveaux mondes ne sont pas tant à notre disposition mais plutôt pour nous égarer, pour faire la preuve de son pouvoir créateur à nos dépends. 

La question de la lecture, et du lecteur peut se poser. Le lecteur ne parviendra jamais à y rentrer. Baudelaire: le monde que le poète crée est d’avantage conçu pour exclure le lecteur, que pour s’offrir à lui. Dépassement quasi héroïque de lui-même pour se montrer digne de cette lecture. 

 

Problématique: Ces mondes, on les découvre peu dans ces œuvres, sont-ils vraiment mis à notre disposition? L’originalité même de ces mondes tend davantage en nous en exclure qu’a nous y introduire. Le monde le plus étrange, n’est qu’une simple transposition imaginaire. Le problème n’étant pas tant que l’imaginaire puisse transformer le réel mais que nous voyons des mondes étrangers là où en réalité l’écrivain nous parle du notre. La peau de chagrin: monde fantastique. Balzac ne fait rien d’autre que peindre la réalité de son époque. 

 

Plan

 

   Certes, l’originalité de l’écrivain semble se mesurer à la singularité et à la diversité des mondes auxquels il nous fait accéder:

 

   L’écrivain est un passeur

 

Capacité de faire passer d’un univers à l’autre. C’est ainsi que se conçoit la littérature et la fonction de l’écrivain. 

 

Exemples: illusion comique de Corneille, soit la mise en abîme que cette aventure que suppose l’entrée du lecteur dans l’œuvre d’art. Ou encore Rabelais dans Pantagruel. Rabelais à travers cette allégorie plaisante pose à la fois la question de la relativité des mondes et des idées qui y sévissent. Rabelais se moque de l’ethnocentrisme qu’on manifester les européens à la découverte des Amériques. Tout être contient en lui-même une infinité de possibles. 

 

L’homme est sans doute une partie du monde, mais pour peu qu’on s’attache à le découvrir il est lui-même un monde. Pour Giono, un monde c’est un système dans lequel existe une certaine combinaison de référence qui influence la totalité du système. La fonction de l’écrivain s’est à la fois d’être passeur, franchir les limites entre les mondes, mais celui qui fait surgir cette limite et par la même nous oblige à nous faire sortir du notre.

 

B) Il fait surgir des mondes là où nul n’irait de la nature et de la raison

 

L’écrivain c’est celui qui fait surgir des mondes là où personne n’aurait vu un monde possible. 

Exemple: L’huitre de Ponge. Il compare l’huitre à un galet moyen, quelque chose difficile à définir. Il n’est pas possible de décrire l’huitre par rapport à autre chose qu’elle-même. La seule façon de la comprendre c’est de la comprendre comme un monde parfaitement clos, enfermé dans son mystère et dans sa cohérence, cachant les principes, les lois qui le définisse. A l’intérieur de l’huitre: un firmament n’existe pas dans la nature mais existe dans l’huitre. Dans l’huitre les mots trouvent un nouveau sens qui nous invite à remettre en cause les notions de notre propre monde. A l’échelle de l’huitre, la mer est une mer intérieure. Métaphore: l’huitre est comparée à un livre. 

 

Il faut être un artiste particulièrement original pour aller chercher dans l’huitre un monde qui remet en cause toutes les lois de notre monde. Un monde qui pas clos et cohérent et tout aussi infini que le notre dans les perspectives qu’il nous ouvre. 

 

C-Il réinvente le nôtre, nous le rend étranger, même quand il paraît le reproduire

 

Proust nous fait découvrir dans  à l’ombre des jeunes filles en fleurs¸ une infinité de choses, de sens, une totalité inconnue, inexplorée. La métaphore de la serviette de bain. Celle-ci renferme dans ses plis les prémisses de tout un univers. Non seulement privé du monde, le narrateur n’en n’est pas véritablement frustré mais il se montre capable dans la solitude de la rêverie de le reconstruire, sous des modalités qui le rende totalement nouveau, totalement extraordinaire, et totalement méconnaissable. Du même coup notre monde se met à en parler d’un autre à en ressembler à un autre. 

 

II-Mais ces mondes, loin de nous être offerts, peuvent vouloir prouver l’originalité de leurs créateurs à nos dépens, en nous excluant: 

 

A-L’œuvre apparaît fréquemment comme un monde clos, autonome, indépendant des autres, et du nôtre en particulier

 

Dans Pantagruel, le narrateur nous expose des histoires totalement absurdes. Exagération, dérision. Cette œuvre tend véritablement vers un conte, soit un récit imaginaire. Ne peut se donner pour la vérité. Rabelais se moque de nous.

 

Michaux, est un poète voyageur. Le narrateur adopte un ton d’autant plus déroutant qu’il n’est pas du point de vue du lecteur le ton qui conviendrait. Ce personnage joue tout à la fois à faire état d’une certaine connaissance du monde étrange qu’il explore et en même temps curieusement le ton qu’il adopte reste dans sa froideur parfaitement incompréhensible pour le lecteur. Le texte ici fait tout pour nous tenir à distance, dans l’incompréhension double, à la fois des choses qui sont évoquée et en même temps de l’attitude du narrateur, de l’absence de toute empathie. Rien ne permet de comprendre quelle est la vraie raison du malaise du narrateur. Il n’y a pas de jugement moral. Dans un certains sens le véritable étranger à la scène est moins le narrateur qui découvre ces mondes étranges, que le lecteur qui n’a ni d’empathie possible avec le monde qui est évoquée ni avec le narrateur qui le lui fait découvrir. L'œuvre peut apparaître comme un monde clos: l'oeuvre de Michaux, le monde dans lequel l'auteur ne cesse de nous tenir à distance. Étrangeté des mœurs, étrangeté linguistique. 

 

B-Les mondes que l’écrivain prétend nous ouvrir servent souvent à nous égarer, à mieux prouver notre incapacité à en disposer sans lui.

 

Noé, un livre dans lequel l'écrivain nous ouvre ses secrets. L'auteur nous livre des confidences sur sa manière d'écrire. Introduire une dynamique romanesque dans les sujets qu'il découvre. Une espèce de fausse intimité, une fausse confidence. La «méthode« que Giono nous livre ne saurait en aucune manière être utilisée avec profit, de façon efficace, par un autre que lui-même. Ses secrets ne servent à rien, sauf à l'écrivain. Créer une impatience pour mieux la décevoir. Tromper l'attente du lecteur. Ne pas faire partager son art et ses secrets. Plus il en parle, plus il nous laisse insatisfaits.

 

Le désarroi que Beckett provoque en nous. Ponge, Pièces: «Le lézard«. Le texte tente de convaincre que nous avons affaire à un texte didactique. «Un petit texte presque sans façon«: abdiquer les conventions de la politesse, de la civilité. Faire preuve de spontanéité, de sincérité, de simplicité. Un texte sans forme, sans style? Le lézard est là pour décevoir nos certitudes. Il apparaît et disparaît. En apparence, une espèce d'art poétique où serait défini la manière d'écrire un poème. En même temps qu'il s'écrit, ce texte multiplie les raisons d'incertitude, de déception, soudain, se voit révélé un sens. Il ne nous est offert que pour se moquer de nous. Une limite, une frontière qu'il n'est pas toujours facile d'enfreindre, de dépasser. Un monde créé davantage pour nous égarer, à nous montrer notre incapacité à s'y retrouver.

 

Noé, p.64-65: un homme qui monte au sommet de l'olivier pour y cueillir des olives. Une situation banale? Mais lorsque l'écrivain le fait, tout se transforme. Une redécouverte de son corps dont il énumère les membres, les muscles qui sont en train de travailler, les sens qui sont à l'affût, sa sensibilité, son esprit. Un intérêt non pas uniquement réduit à la cueillette des olives, mais quelque chose qui paraît d'abord en être totalement étranger: une aventure maritime, la navigation. 

 

Ce n'est plus la réalité mais un monde imaginaire qui ressemble moins au paysage familier de la Provence, qu'à d'autres paysages qui renvoient au monde des livres (Homère, Melville). Pourquoi ces mondes se rejoignent-ils? L'écrivain, au moment où il se met en scène, normalement n'écrit pas. Il est là dans un de ces moments de latence, où son corps, son esprit travaillent de façon plus ou moins consciente à préparer l'écriture, à s'y disposer. Il se trouve face à face avec deux univers, deux mondes dont aucun ne lui est vraiment propre. Il y a d'un côté les collines, les oliviers, un paysage familier mais qui n'est pas son monde. 

 

Ce monde ne lui appartient pas, il ne l'a pas créé, pas plus que ne lui appartient le monde d'Homère ou de Melville. Il n'a pas écrit ces livres, mais de la même façon qu'il cueille les olives, il les a lus mot à mot, il les a même traduits (Moby Dick, Melville). Ce faisant, non seulement, il s'y est introduit, il y a cherché sa place, mais finalement, à travers son expérience, à travers sa sensibilité, il les a en quelque sorte réunis, rassemblés. Ce qui en résulte, c'est un autre monde, un monde composite, un monde hybride qui n'existe pas par lui-même, mais en lui-même qui se met à apparaître dans son esprit, porté en lui, et qui est fait d'abord de la superposition de deux mondes étrangers. 

 

Cette façon de voir les collines comme la mer de Moby Dick, cette manière de trouver dans des choses que l'on croyait simples et univoques l'arbre des ambiguïtés, des équivoques, une polysémie insoupçonnée. C'est peut-être déjà le mot «arbre« qui est ici à interroger: un arbre, dans le jargon maritime, est le mât. Tous les mots sont hybrides: Le mot «œuvre« → «œuvres mortes« et «œuvres vives« → différence entre la coque et le gréement. Le mot «fatigue« → Par mauvais temps, on dit que les œuvres fatiguent. Qu'est-ce que la fatigue du navire sinon ce qui se produit quand il est en mouvement, lorsque l'ensemble du bâtiment se trouve sous la double influence de sa masse qui tendrait à le retenir, à l'immobiliser, puis de l'autre, l'énergie qui le pousse, qui le met en mouvement? 

 

Ici la métaphore du navire subit deux forces contraires. Quelque chose qui permet de transformer l'immobilité en mouvement. Il transforme le cueilleur en un aventurier, un conquérant de l'infini. Giono doit d'abord affronter l'existence de deux mondes. Le monde qu'il amasse en lui, qu'il fait naître en lui-même, comme un avare qui capitalise toutes les émotions qu'il reçoit de la vie et de ses lectures. À la fois, de le saisir, d'apprendre à le dominer, puis se l'approprier en le mêlant à autre chose comme lui-même l'a fait. Il y a d'abord un homme qui vit avec la nature, avec le monde, puis il y a un lecteur qui est capable d'entrelacer sa vie et son imaginaire tels que les livres l'ont sollicité. C'est comme cela que le texte fait apparaître une création hybride dont le centaure donne une forme parfaitement emblématique. Nous sommes incapables, comme Giono, de le mêler, d'établir une espèce d'hybridation entre ce monde et notre monde intérieur, sensible. Comme Ponge nous le montre dans le Lézard, nous sommes bernés par ce que nous croyons saisir et qui s'enfuit.

 

C-Est-ce à dire que l’écrivain prouverait moins son originalité dans le monde qu’il inventerait que dans le lecteur qu’il se créerait? 

 

Épigraphe pour un livre condamné, Baudelaire: ce poème montre une évolution de Baudelaire dans la conception de son œuvre. Un texte paradoxal: tout à la fois invitation au lecteur et imprécations qui tendraient à le refuser, à le rejeter, à l'interdire. Une espèce d'évolution intellectuelle et politique de Baudelaire. Le rendre lui-même conscient de l'extraordinaire originalité de son livre. 

 

Dédicace à Théophile Gauthier: suggère de façon évidente la conscience que peut avoir Baudelaire de  publier un livre qui voudrait en quelque sorte se placer sous l'autorité morale et esthétique de Théophile Gauthier. Il ne songe pas à se comparer à celui-ci. Pourtant, sauf quelques buses invétérées, tout le monde a entendu parler des Fleurs du Mal, et mis à part quelques personnes comme Giovacchini, peu seraient capables de citer des mots de Théophile Gauthier. 

 

Dans Contre Sainte-Beuve, Proust consacre toute une étude à Baudelaire, et plus spécialement à la manière dont Sainte-Beuve a lu Baudelaire ou s'est comporté envers lui:  «Un poète que tu n'aimes qu'à demi […] il n'a jamais répondu aux prières réitérées de Baudelaire de faire un article sur lui. Le plus grand poète du XIXe siècle ne figure pas dans les Lundi [...]«. «Il semble que l'originalité d'un homme de génie ne soit comme une fleur […]«. Relation que Baudelaire avait avec Sainte-Beuve: l'image de Baudelaire qui en ressort est que Baudelaire ne semble pas dans la vie quotidienne être le poète des Fleurs du Mal. Il s'avilit, il s'humilie pour gagner l'estime de poètes inférieurs à lui. L'auteur, l'écrivain, le poète n'a pas forcément une conscience claire de son originalité, de la valeur de sa création et de ce que son œuvre peut avoir de singulier ou d'unique. 

 

Épigraphe pour un livre condamné est un texte qui montre l'évolution probable de la pensée de Baudelaire sur la poésie, sur sa propre poésie. Baudelaire comprend à quel point, pour le lecteur ordinaire de la poésie, cette poésie est illisible, ce lecteur ne peut pas être son lecteur. Baudelaire parvient à cette idée que le seul lecteur capable de le lire, il doit le créer. Ce lecteur ne peut pas venir d'ailleurs que de son propre monde, il doit naître de son propre livre. Le lecteur n'est pas l'égal de l'artiste. Le lecteur est bien, malgré tout, quelqu'un d'important dans la reconnaissance du monde littéraire que l'écrivain lui adresse, dans sa constitution, dans son achèvement.

 

III-Pourtant, il s’agit moins d’autres mondes que du nôtre simplement redécouvert et reconnu à travers d’autres visions?

A-Si l’écriture est création, la lecture doit être conquête

 

La lecture ne doit pas être passive, mise à disposition, donnée, sans rien qui implique la responsabilité et l'activité du lecteur. «Les beaux livres sont écrits d'une manière étrangère. Sous chaque mot, chacun met du moins son image« (Proust, Contre Sainte-Beuve). Proust ne se contente pas là de faire de la lecture, de concevoir la lecture comme quelque chose qui comporte une part de création, qui participe au moins à la création. C'est de la lecture que doit apparaître le sens. Il légitime cette lecture quand elle paraît trahir, quand elle va à contresens de l'œuvre et donc de l'écrivain. La lecture doit se concevoir comme une appropriation. 

 

«Les beaux livres sont comme une langue étrangère«: ils ne sont pas à notre disposition, il faut les traduire. Il faudrait rappeler le statut littéraire de la traduction. Une importance capitale de la traduction. Avec l'humanisme, traduction de la Bible. La traduction déjà ne serait ce que par le rôle qu'elle joue, elle est d'une importance littéraire considérable. D'où les influences entre la littérature française, russe, japonaise. La carrière littéraire de Chateaubriand commence par celle de traducteur: traduction du Paradis Perdu de Milton, précédée d'une très longue préface dans laquelle Chateaubriand définit la traduction comme un genre littéraire. Parmi les traducteurs, il y a Baudelaire, traducteur d'Edgar Allan Poe. Traductions de Shakespeare, ou de l'Odyssée par des poètes. 

 

Il y a dans la traduction un geste littéraire essentiel. Une lecture et une réécriture d'un texte. Toute vraie lecture est une traduction. On ne saurait lire un texte sans le traduire (= conduire hors de). Idée d'une mise en mouvement, d'un déplacement du texte et du sens. Si la lecture est traduction et conquête, comment comprendre que n'apparaissent pas toujours immédiatement dans le monde que nous offre le livre, dans le monde de l'écrivain, le fait qu'il est presque toujours métaphore, traduction d'une autre?

 

B-Le monde de l’écrivain est toujours métaphore du nôtre, qu’il nous invite à reconnaître et à explorer comme tel

 

En attendant Godot: l'œuvre fait scandale. Ce scandale ne repose-t-il pas sur un malentendu? Le lecteur de Beckett va au théâtre non pas pour traduire, non pas pour lire une œuvre qui peut lui résister autrement, mais pour la recevoir, pour la trouver mise à sa disposition? Théâtre de boulevard: un public populaire. Théâtre du Crime: boulevard du Crime, avec tous les théâtres adressés au peuple, avec des pièces fondées sur le mélodrame, le genre du théâtre du crime. Mélodrame: une pièce fondée sur une intrigue simple et touchante. Une distraction, un divertissement. Le Théâtre de Boulevard sera aussi composé, plus tard, de la petite bourgeoisie. Le sujet est toujours l'adultère.

 

Un public habitué au théâtre de boulevard n'est pas séduit par Beckett. Première didascalie: «Route à la campagne avec arbre«. Sur-déterminer le sens qu'on leur prête et qu'on en attend. On s'adresse à un public habitué aux stéréotypes. Ici, tout le texte et toute l'œuvre se conçoivent sur la base d'une «stratégie déceptive« (terme militaire), donc destinée à décevoir: une manœuvre qui tend à égarer l'ennemi. Le dramaturge accumule les éléments sur lesquels le besoin naturel de recevoir du sens du lecteur ou du spectateur va forcément être tenté. Tout en suggérant la possibilité d'une telle lecture. Cela ne crée aucun sens. 

 

Faut-il se fâcher? N'y-a-t-il pas de sens? Schopenhauer: «De toutes les illusions, la plus durable et la plus dangereuse est celle qui consiste à nous faire croire que nous sommes nés pour être heureux«. C'est parce que l'on croit que la vie a un sens que l'on suppose que le théâtre et la littérature doivent faire apparaître ce sens. Ce que Beckett dit, c'est qu'il n'y a pas de sens, que la route ne va nulle part, sinon du côté cour ou du côté jardin (scène). Nous refusons de comprendre que ce monde est le nôtre.

 

C'est la vacuité de ce théâtre qui est véritablement métaphore de notre monde. Valeur de la chose qui nous paraît la moins singulière, la plus commune et qui est peut-être malgré tout, le lieu même, l'élément essentiel de l'étrangeté du monde de l'écrivain.

 

C-Mais l’univers le plus étrange que nous révèle l’écrivain n’est-il pas l’infini qu’il creuse au cœur du langage, c'est-à-dire dans ce qui nous semble le plus proche et le plus commun? 

 

Mallarmé: mise en page; Pas de ponctuation, de caractères, etc. le sens d'un tel texte suppose qu'on réapprenne le sens dans lequel il faut le lire. «J'aimerais qu'on ne lut pas cette note [...]« (Préface). Que retient-on d'essentiel de cette note? Apprend elle à lire le texte? Elle apprend à lire les blancs. L'élément le plus important, le plus significatif ce sont les blancs, leur disposition, leur façon de mettre le texte en ordre, de le versifier. Imposer aux phrases et aux mots une disposition qui ne correspond pas aux normes prosaïques de la mise en page: on a une versification qui es aussi un défi à toutes les conceptions de ce que l'on peut avoir de ce qu'est une strophe, de ce qu'est un poème. Cette impression d'étrangeté, d'égarement, qui nous rend soudain conscients que, face à ce texte inattendu, nous ne savons même plus lire, nous avons perdu jusqu'à la compétence élémentaire du lecteur. Finalement, le poète nous fait découvrir que l'étrangeté commence précisément là où nous ne l'attendions pas, là où nous étions persuadés d'être au plus intime de ce qui nous est familier. Là où nous étions persuadés de trouver un pont solide entre nous-mêmes et le texte littéraire. On peut construire une phrase grammaticale et cohérente. Mais cette phrase ne nous mène nulle part. Quoi de plus anodin qu'une page blanche? Là, nous ne la reconnaissons pas. Le monde de l'écrivain nous oblige fatalement, pour peu que nous acceptions de l'affronter, à revenir dans le notre.

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