Francis Ponge : La Guêpe
Publié le 15/05/2020
                             
                        
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Présentation du poète
Né à Montpellier  dans une famille  protestante, Francis  Ponge aime, enfant,  à se  plonger  dans le 	Littré, 	dictionnaire  de langue  qui	l'accompagnera  tout au long  de sa carrière  poétique.
                                                            
                                                                                
                                                                     Plus tard,  il adhère  au parti  communiste  (1937) et participe  activement  à laRésistance.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il quittera le parti en 1947 et sera gaulliste dans les années 70.
Son premier recueil est 	Le Parti pris des choses 	(1942) : dans des textes en prose très denses, l'auteur s'attache à décrire les objets du	quotidien (comme la bougie ou l'orange) dans une langue classique, travaillée à la manière de Malherbe.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il est le premier poète à avoirinvité ses lecteurs dans son atelier pour leur dévoiler toutes les étapes de la genèse de son oeuvre.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il publie les carnets contenant sestextes,  ses brouillons,  ses recherches lexicales  et les réflexions  théoriques que  la création lui  suggère 	(La Rage de  l'expression, 	1952).	Ponge aime à  considérer  le signe  dans toute  son épaisseur, tenant  compte de l'étymologie  et du  signifiant  (le « u » de  « cruche  »représente pour lui l'objet en question ; il avoue aussi qu'il préférerait « oiveau » à « oiseau » car le « v » serait alors à l'image des ailesdu volatile).
                                                            
                                                                                
                                                                    Ponge veut rendre aux objets leur statut originel.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il pense que la poésie peut les arracher à la gangue opaque dont l'habitudeles recouvre.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il espère ainsi rendre le monde à l'homme et changer le rapport de ce dernier à la réalité, afin qu'il devienne meilleur.
La Guêpe 	(étude d'ensemble)	
Francis Ponge ne travaille pas pour enrichir notre langue de nouveaux joyaux littéraires.
                                                            
                                                                                
                                                                    Très tôt, il a pris le parti des choses.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce sont lesréalités  les plus concrètes qui  lui importent.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il  consacre donc ses textes  à des  objets comme  le savon,  à des petits animaux  commel'oiseau ou l'insecte.
                                                            
                                                                                
                                                                     Nous nous intéressons ici au  carnet ouvert par Ponge en 1939  consacré à la guêpe.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce texte fait partie du recueilintitulé 	La Rage de l'expression.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Et c'est bien en véritable enragé que Ponge s'acharne sur la langue pour rendre les objets plus présents et	ainsi les remplir à nouveau de la substance dont l'habitude d'utiliser la langue les avait vidés.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ponge travaille à la « 	naissance au monde	humain des choses les plus simples », à « leur prise de possession par l'esprit de l'homme » 	afin qu'un jour, on retrouve l'harmonie perdue entre	les êtres  et les  choses.
                                                            
                                                                                
                                                                     Cet attachement  à un  monde  et à des  préoccupations  profanes, son rejet de toute  réflexion  métaphysiquevaudront au poète l'intérêt prononcé de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, à qui 	La Guêpe 	est dédiée.	
La guêpe a deux couleurs : le jaune et le noir.
                                                            
                                                                                
                                                                    Comme dans tout portrait, la description physique nous renseigne sur le caractère profonddu personnage décrit.
                                                            
                                                                                
                                                                    Et la guêpe est un véritable personnage.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce 	« rayon » 	(d'or et d'ombre), cette « 	dorée-noire », 	féline et « 	tigrée », 	est	à la fois très vive et très cruelle.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le jaune est la couleur de la «	frénésie » 	continuelle de l'insecte.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le noir, celle de sa « 	colère défensive », 	de	son agressivité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nous assistons, à la lecture du texte, à une véritable plongée dans l'esprit tourmenté de la guêpe ; l'auteur nous livreramême l'un de ses monologues intérieurs.
                                                            
                                                                                
                                                                    La guêpe est déséquilibrée, désaxée.
                                                            
                                                                                
                                                                    Comme Mallarmé, elle est malade des nerfs, elle est «dans un état  de crise continue  ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	L'animal est à prendre  avec des  pincettes  : elle se  vexe de peu,  ayant « 	une susceptibilité exagérée  »,	conséquence directe de « 	sa sensibilité excessive ».	
Cette forcenée tourne sa violence contre les fruits, dont elle pompe la pulpe avec ardeur.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le poète a recueilli le témoignage de la prune,après le passage de la guêpe.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce qu'elle lui confie est sans équivoque.
                                                            
                                                                                
                                                                    De l'aiguillon de l'insecte, la prune dit qu'il « 	navre » 	sa chair.
                                                            
                                                                                
                                                                    La	guêpe a un comportement « 	barbare » : 	elle viole les fruits, ce qui nous la rend fort peu sympathique.
                                                            
                                                                        
                                                                    L'auteur insiste sur le fait qu'il s'agit	là d'un véritable « 	crime ».	
Pour nous rendre la guêpe plus perceptible encore, Ponge souligne l'aspect sonore de cette surexcitation.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le bruit causé par la guêpeapparaît comme la transcription sonore de sa « 	vie intérieure » 	agitée.
                                                            
                                                                                
                                                                    Elle vibre, elle pétille, grésille et crépite : la recherche lexicale est	permanente dans 	La Rage de l'expression, 	si bien que, quelquefois, l'auteur en retranscrit les résultats : étymologie, définitions tirées du	Littré.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Cette recherche aboutit parfois à des néologismes (la guêpe est dite « 	soleilleuse » 	et « 	donjuane ») 	ou à des métaphores (la guêpe	est ainsi la « 	forme musicale du miel »).
                                                            
                                                                                
                                                                    	Cette « 	tête vibrante » 	émet	
une musique que l'auteur se propose de faire écouter lors de notre Lecture.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le caractère agressif de l'insecte est rendu par l'allitération en[r] : « 	trolley », « train », « tramway ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Son énergie vitale traverse le texte grâce à l'allitération en [s] : « 	excessive », « ténacité », « capricieux	»...
                                                            
                                                                                
                                                                    	Mais, c'est surtout le bourdonnement de la guêpe qui est omniprésent.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nombreux sont donc les mots contenant le son [z] : 	« zigzags	», « frénésie », « fusil », « grésillante », «  musarde », « soleilleuse  ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	L'animal est ainsi « 	une note majeure, diésée,  insistante, commençant	faiblement mais difficile à lâcher ».
Comme c'est souvent le cas dans les textes de Francis Ponge, l'objet qui retient son attention est comparé à d'autres objets.
                                                            
                                                                                
                                                                    Avec cetteconfrontation, ils s'éclairent l'un l'autre et des aspects jusque-là inédits se retrouvent en pleine lumière.
                                                            
                                                                                
                                                                    La guêpe est comparée à diversengins.
                                                            
                                                                                
                                                                    Lorsqu'elle pompe la pulpe du fruit, elle fait penser à un 	« alambic ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Elle a le bruit d'un « 	tramway ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Elle se déplace comme un	avion sorti de son aérodrome.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le choix des comparants est chargé de sens.
                                                            
                                                                                
                                                                    En effet, lorsque Ponge parle de l'alambic, il écrit : « 	un petit	alambic à roues  et à ailes  comme  celui qui se déplace  de ferme  en ferme  dans les  campagnes  en certaines  saisons ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Lorsqu'il  évoque les	aérodromes, il constate que les vols des guêpes s'accomplissent « 	avec offensives brusquées ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Or, le recueil fut écrit entre 1939 et 1943,	en plein exode.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ponge était à Paris en 1939, ville où évoluent tramways et autobus.
                                                            
                                                                                
                                                                    Les années suivantes, il est en Auvergne.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il séjourneen Haute-Loire, département situé en zone libre, où se trouvent des villages dans lesquels on peut voir circuler des alambics ambulants.De nombreux détails nous  laissent deviner l'intérieur  des maisons auvergnates  : la « 	tasse  mal rincée » 	sur laquelle vient  se poser la	guêpe, le 	« tablier »,le « pot de confiture », 	le « 	papier tue-mouches ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Les allusions au « 	train », 	aux « 	rails » et, 	plus loin, au « 	train-train » 	de	la guêpe  sont sans  doute  des réminiscences  du trajet  qui a conduit  Ponge en province  (ou peut-être  un souvenir  des convois  deprisonniers que l'on acheminait en Allemagne).
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce qui est sûr, c'est que la guêpe est comparée à un avion de 	la Luftwaffe.
                                                            
                                                                                
                                                                    	On nous parle	d'un 	« barbare  essaim », 	de « 	randonnées  furieuses ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Ajoutons  que le mot 	« guerre  » 	apparaît  dans le texte.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais le passage  le plus	saisissant  est celui  qui fait allusion  à l'occupation  de Paris par les nazis  : « 	Comme  une armée  qui aurait  été commandée  pour occuper	rapidement les points stratégiques d'une ville ».
Nous avons donc tenu à montrer comment le contexte historique et Le décor qui entoure le poète durant son exode viennent imprégner letexte, jusqu'à en constituer l'arrière-plan.
                                                            
                                                                                
                                                                    La guêpe de Francis Ponge pourrait être n'importe quelle guêpe, mais elle est décrite par unhomme vivant un moment historique éminemment important.
                                                            
                                                                                
                                                                    Et l'on voit que l'objet n'est pas séparable du sujet qui le considère.Comme l'écrit Wittgenstein dans son 	Tractatus : « Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde.
                                                            
                                                                                
                                                                    ».
                                                                                                                    »
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