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Cyrano aveu

Publié le 02/12/2021

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age historique, qui, gêné par sa laideur et son grand nez, ne peut être aimé par une précieuse Roxane. Celle-ci aime le jeune et beau Christian. Cyrano profite alors de la beauté du jeune homme et de sa maladresse avec les femmes pour déclarer ses sentiments à Roxane sans que celle-ci se doute du subterfuge. Mais face à l’aveu de Roxane qui dit pouvoir aimer Christian même laid, Christian se laisse tuer au combat, condamnant Cyrano à un silence coupable. Quinze ans plus tard, blessé à mort dans un attentat, Cyrano vient faire son compte-rendu habituel et ses adieux à Roxane.
LECTURE
En quoi cet aveu d’amour est-il tragique ?
L’étude de la scène comme un aveu d’amour mettra en évidence que cette scène est de nature tragique.
 
En effet, le dénouement de la pièce est constitué d’une scène d’amour. Cette scène (acte V, scène 5) est la résolution de la pièce, puisque l’élément perturbateur consistait en l’impossibilité pour Cyrano de se faire aimer par Roxane et donc de ne pas pouvoir lui avouer son amour. Ici, l’importance du thème de l’amour est marquée par le nombre de termes s’y référant : l’expression qu’emploie Cyrano « amour inexprimée «est très claire sur ce point.  S’ajoutent à cela les mots «  cœur «, les différentes formes du verbe aimer « aima «, « aimiez «, « aimais « avec une alternance des pronoms qui montrent bien que ce thème est au centre du dialogue. De la même façon, les différentes désignations de Roxane traduisent ce sentiment : le premier « Roxane « est neutre mais va se créer ensuite une gradation dans ces apostrophes « Ma chère, ma chérie, mon trésor…mon amour «, traduisant ainsi de manière parfaite les véritables sentiments de Cyrano.
Néanmoins cet aveu n’est possible que parce que le protagoniste lit une lettre, moyen détourné. Rappelons que Roxane croit Christian auteur de la lettre. Le champ lexical de la lecture, présent dans le texte, montre bien l’importance de cet outil théâtral dans la révélation : le mot « lettre «, par ailleurs répété plusieurs fois est associé aux différentes formes du verbe « lire «, « lisant, lisez «.0 L’usage des guillemets met en place un double niveau d’interprétation, faisant ainsi que le texte de Cyrano est emprunté à Christian, selon ce que pense Roxane. Néanmoins, l’importance des formes de la première personne ainsi que les différentes indications scéniques concernant la lumière nous montrent clairement que Cyrano est le véritable émetteur de cette lettre et que Christian un émetteur factice. La révélation est possible en partie grâce à la lumière déclinante et aux réactions intercalées de Roxane. 
La mise en scène est donc ici cruciale parce qu’elle finalise l’aveu. La diminution de l’intensité lumineuse « le crépuscule commence à venir «, « l’ombre augmente «, « dans l’ombre complètement venue « ne fait que confirmer les soupçons de Roxane mis en avant par ses paroles mais aussi par ses gestes. En effet, comme nous l’avons dit, ses réactions sont intercalées à la lecture de la lettre : l’usage des points de suspension à presque toutes ses répliques montrent transcrivent la découverte progressive de Roxane mimant sa réflexion. Mais il faut ajouter à cela les déplacements sur scène. Roxane au début de la scène s’éloigne de Cyrano, une fois la lettre remise puis peu à peu se rapproche comme si cela exprimait dans le même temps le rapprochement de leurs deux cœurs – Roxane ne prononcera les mots « je vous aime « qu’à la scène suivante. Enfin l’aveu d’amour est marqué par la difficulté de Cyrano à rompre le silence dans lequel il est enfermé. De plus la joute verbale entre Roxane et Cyrano reprenant termes à termes l’aveu n’est qu’une manière de retarder la défaite de Cyrano « non, non , mon cher amour, je ne vous aimais pas «. Pour la première fois dans la pièce, Cyrano ne sort pas vainqueur d’un duel verbal. 
 
Cette scène a été longtemps attendue par le spectateur comme une nécessité : il fallait que le subterfuge soit révélé et que l’aveu d’amour de Cyrano à Roxane ait lieu. Cet aveu est travaillé, créé avec un suspens et un effet d’attente important, qui le dramatisent et qui rendent la scène tragique.
 
En effet, la scène est tragique parce qu’elle représente la mort de Cyrano. Cet aveu d’amour, loin d’atténuer la mort de Cyrano la rend encore plus sensible aux spectateurs. La lecture à voix haute dramatise la scène et crée l’étonnement de Roxane « S’arrêtant, étonnée : tout haut ? «. Cette première question marque l’interrogation de Roxane, mêlée à un sentiment d’étonnement, comme vont le prouver les nombreux points d’exclamation dans les répliques suivantes. Ces exclamations ont par ailleurs une double fonction : elles traduisent l’étonnement d’abord, puis l’insistance de Roxane et la peur de Cyrano face à quelque chose qu’il espère et redoute. Ainsi, la dramatisation engendrée par la lecture à voix haute se poursuit avec la répétition des mêmes phrases. La stichomythie créée par le jeu de questions réponses « c’était vous «, « non , avec une alternance assez marquée des phrases affirmatives et négatives met en scène la rédition de Cyrano. Cela ajoute un côté presque comique mais le spectateur sait que Cyrano est sur le point de mourir. Il l’annonce d’ailleurs dès le début de la scène dans cette « fausse « lecture de la lettre. Une progression est d’ailleurs visible dans les termes que Cyrano emploie «  Adieu Roxane je vais mourir « puis « et je meurs «. Le terme de « blessure « utilisé par Roxane génère une ironie tragique : La blessure de Roxane n’est que morale et elle ignore en prononçant ces mots que celle de Cyrano, elle, est physique et mortelle. La différence de réactions des deux personnages montre bien leur opposition : l’aveu de Cyrano constitue pour Roxane une renaissance « elle tressaille «, elle est « troublée «, alors qu’elle est synonyme de mort pour Cyrano. La nuit qui tombe sur lui métaphorise sa fin de vie ainsi que les différentes didascalies « d’une voix qui faiblit « qui traduit à la fois la fin de résistance de Cyrano dans l’aveu mais aussi sa faiblesse physique. 
Reste que l’aveu d’amour de Cyrano rencontre celui de Roxane. Dans la pièce, la relation amoureuse a toujours été à trois : le trio Christian, Roxane et Cyrano se retrouve même ici puisque, même si Christian n’est pas nommé, son esprit plane sur la scène « ce sang était le sien «. Rendant ainsi présent celui qui est absent, Cyrano présente une image de lui positive, puisqu’il respecte les morts. Roxane quant à elle, répond à l’amour de Cyrano mais de manière beaucoup directe. Elle avait déjà prononcé des mots d’amour à l’égard de Cyrano (« je vous aime « II, 6 lorsque Cyrano promet de l’aider dans sa relation avec Christian). Cette fois, le vocabulaire mélioratif de ses répliques traduisent bien mieux l’idée d’attachement, que ce premier « aveu «  traduisant bien plus le remerciement que l’amour. « Généreuse « diminue ici le caractère négatif du mot « imposture «  et d’emblée traduit les bons sentiments de Roxane. Suivent une série d’adjectifs positifs renforçant le premier « chers et fous «, « sublime silence « où l’idée de quelque chose d’extraordinaire…les reproches n’existent pas, Roxane, la précieuse a disparu derrière une femme plus humaine qui reconnaît les  valeurs et non la beauté. Le mot « âme « acquiert alors toute son importance surtout dans le cas où Cyrano va mourir. Enfin, la fin du texte laisse inexpliqué le geste de Cyrano mais le spectateur qui a vu Cyrano évoluer a compris ses motivations, il a su reconnaître l’homme d’honneur. Aussi la réponse à cette question n’est-elle pas nécessaire. La scène se termine donc sur une question ouverte à laquelle chaque lecteur-spectateur pourra répondre selon son interprétation de la pièce.
 
 
Cet extrait de Cyrano de Bergerac est sans doute la scène la plus tragique de la pièce puisqu’elle est à la fois d’un aveu d’amour et une mise en scène tragique des dernières paroles de Cyrano. Roxane ne sait pourtant pas la situation ce qui touche encore plus le lecteur et rend d’autant plus beau l’échange entre les deux protagonistes. 
La dernière scène de la pièce tire celle-ci vers la tragédie puisque Cyrano se bat contre des ennemis imaginaires, alors même qu’il est aimé. Reste quand même que l’esprit de la pièce est comique et le personnage de Cyrano marque les esprits, peut-être par sa spectaculaire mort mais surtout par son génie de la langue et ses hautes valeurs. 

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