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Bérénice - Acte II, scène 4

Publié le 01/04/2024

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« Bérénice, Acte II, scène 4 « Mon amour m’entraînait et je venais peut-être / Pour me chercher moi-même et pour me reconnaître / Qu’ai-je trouvé ? Je vois la mort peinte en vos yeux ! » peut-on lire à travers le personnage de Titus dans Bérénice de Jean Racine.

Il n’y a en effet pas de raisons, hormis celles du cœur, pour faire exister un tel amour entre Titus et Bérénice.

Visant une « tristesse majestueuse » à travers une « simplicité d’action », Racine parvient à rendre compte au lecteur du dilemme auquel est confronté Titus, l’un des protagonistes de la pièce. Doit-il renoncer à la femme qu’il désire au nom de principes politiques, ou doit-il au contraire confirmer ses inclinations pour son amante au détriment de son image publique ? La scène 4 de l’acte II reflète bien cette opposition de forces entre cœur et raison, amour et politique.

En effet, Titus se confronte « malgré lui » à Bérénice dans le but de lui faire part de sa décision : la renvoyer malgré elle de Rome, dès les premiers jours de son empire.

Il se retrouve cependant dans l’incapacité de lui avouer, plongeant ainsi la scène dans une ironie tragique. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la manière dont ce passage parvient à mettre en œuvre un dialogue argumentatif entre deux entités distinctes.

Ce dialogue repose en son essence dans le non-dit, une incommunicabilité sensible qui s’exprime tout au long de la pièce en une tonalité élégiaque, symbolisant l’opposition entre cœur et raison.

Nous pouvons alors mettre en relief la composition de ce passage : une première séquence débutant au vers 595 jusqu’au vers 600 montre l’indécision de Titus qui peine à s’affirmer dans les répliques, face à une Bérénice qui tente de le « sauver » de son malheur.

Une deuxième partie peut correspondre à la tirade de Bérénice allant du vers 601 à 615, exposant une opposition concrète entre passé et présent, l’individu et le collectif, le choix et l’obligation.

Enfin une dernière partie du vers 616 à 624 fait part du non-dit qui ne disparaît et devient au contraire pesant, à travers l’indécision de Titus. « Madame… » (v.

595) est mis en exergue par l’aposiopèse qui place l’appellation « madame » dans un certain isolement par rapport au reste de l’alexandrin.

L’aposiopèse marque de même bien évidemment un non-dit qui symbolise l’indécision de Titus face à ce qu’il doit faire : doit-il écouter son cœur ou la raison populaire ? Alors que le dialogue tournait essentiellement autour de Bérénice qui tentait de connaître les pensées de son amant, (« Bérénice : Mon cœur ne prétend point, Seigneur, vous démentir, / Et je vous en croirai sur un simple soupir), le soupir tant attendu finit par être exprimé à travers l’aposiopèse, ce qui donne un certain effet de syllepse au « simple soupir » : tandis que Bérénice souhaite un soupir amoureux, Titus ne lui octroie qu’un soupir indécis, honteux, fataliste.

Ne représentant que trois syllabe au sein de cet alexandrin, l’effet d’attente supposé par l’aposiopèse se retrouve tout de suite désamorcé par l’enchaine rapide qui suppose la diction d’un alexandrin, de telle sorte que son discours se retrouve accablé par la domination « spatiale » des répliques de Bérénice.

A cette réplique désespérée succèdent celles d’une Bérénice inquisitrice, en témoignent les nombreuses phrases tournées à l’interrogative (« Ne m’offriez-vous plus qu’un visage interdit ? / Toujours la mort d’un père occupe votre esprit ? ») mais également dans des instances énonciatrices, à l’instar de la proposition nominale « Seigneur.

» (v.

595) A travers ce segment, Bérénice rend compte à Titus de son rang noble comme condition de son honnêteté, en lien avec le modèle de l’honnête homme propagé dans toute la littérature classique et précieuse du XVIIe siècle, de même qu’il répond d’une certaine solennité vis-àvis du suzerain.

Cette solennité se retrouve également à travers le rythme du vers 595, saccadé (2 - 2/2/2/4), pourvue d’une cadence majeure dévoilant une Bérénice cherchant ses mots au sein d’un discours performatif.

Cette performativité se retrouve au sein d’un dialogisme interne aux répliques de Bérénice, opposant un Titus désigné par un « vous » soumis à une sorte de déterminisme comme le montre la réplique vers 597 : « Vous détournez les yeux et semblez vous confondre ! », comme si un non-dit par asyndète empêchait Bérénice d’évoquer les véritables causes du malaise de son amant ; à une Bérénice qui s’efface dans cet énoncé puisqu’elle demeure uniquement désignée par des pronom passifs : « sans me répondre […] Ne m’offrirez-vous plus qu’un visage interdit ? », comme si le véritable pouvoir était entre les mains de Titus.

Néanmoins, l’implication de Titus dans les premières répliques de Bérénice fait de lui en quelque sorte un personnage joué, en témoigne par exemple le modalisateur « semblez » qui place Titus dans un contexte de représentation face à une Bérénice spectatrice, mais encore la réplique « Ne m’offrirez-vous plus qu’un visage interdit » (v.598) qui met en scène un Titus pourvu d’un masque, celui du personnage tourmenté.

Cette tourmente s’exprime ainsi par la récurrence de la fricative en [r], pouvant dès lors signifier le conflit interne animant Titus, tout en étant exprimé par Bérénice : « sans me répondre, / vous détournez [..] vous confondre ! Ne m’offrirez-vous […] interdit ?...

», comme si la séparation revenait à tenir ensemble ce qui est séparé, mais également l’expression de la dentale [d] comme une répercussion d’une parole qui peine à atteindre son véritable destinataire.

De même, les premières répliques de Bérénice marquent une opposition frontale entre le « toujours » d’une peine familiale et le « rien » d’une présence amoureuse divertissante face au tragique de la condition humaine, d’un point de vue strictement pascalien.

Titus semble cependant ancré dans cette nécessité de recueillement par le vers 600 : « Plût au ciel que mon père, héla ! vécut encore ! » En effet, selon Jean Gilibert, il y a dans ces vers une responsabilité réciproque dans l’amour humain, de telle sorte que la mort ne couronne pas l’amour, mais « la séparation des amants semble rédupliquer la séparation de l’homme et de Dieu ».

Ainsi, la proposition incidente « Hélas ! » située entre « mon père » et « vécût encore » montre l’incompatibilité pour Titus d’une vie en relation avec la mort de son père, en témoigne l’imparfait intensif au vers 601 : « Que je vivais heureux ! » qui nous montre combien le présent en douloureux par la mise en sourdine de ce présent au sein de ces répliques-ci. Le vers 601 est divisé de manière égale : alors que Bérénice dominait largement ce début d’extrait, la parole semble retrouver un semblant d’égalité, de par la répartition égale de chaque côté de la césure 6//6.

Même si en terme de répliques la parole n’est pas également répartie, le partage au sein d’un même vers montre à quel point se correspondent.

La parole de Bérénice demeure cependant conséquente, face aux courtes répliques de Titus.

Alors que Titus semble soumis à certaines de ses passions comme l’obnubilation de la mort de son père, Bérénice semble plus distante et sage, en témoigne l’organisation du vers 601 : alors que la partie de l’alexandrin correspondant à Titus se fait bloc de six syllabes, celle de Bérénice est plus saccadée : « Seigneur, tous ces regrets », dévoilant ainsi un vers dont la structure est en 6 // 2/4, et dont la réflexion est poussée dans les vers suivants, comme le montre le contre-rejet au vers 602 : « Seigneur, tous ces regrets / De votre piété sont de justes effets ».

Le pointvirgule marque par la suite une rupture dans le discours argumentatif de Bérénice.

En effet, ces deux premiers vers agissent en tant que captatio benevolentiae dans le sens où Bérénice cherche à s’attirer l’attention bienveillante et les bonnes grâces de son auditeur.

Il s’agit alors par la suite d’entrer dans un état de réfutation des propos précédemment énoncés avec l’utilisation de la conjonction de coordination « Mais » marquant opposition de principe avec les répliques précédentes : face à ces regrets doivent faire face « d’autres soins à Rome, à votre gloire ».

La duplication du pouvoir à travers Rome, comme métonymie du pouvoir établi, mais aussi de la gloire, désignent ainsi d’une part la nécessité d’agir pour Rome, l’Etat et d’autre part d’agir pour son bien personnel, d’où le dilemme qui s’impose à Titus.

Bérénice préconise alors « des soins » pour le présent comme le futur.

Alors que Titus se complaignait dans la douleur du présent en optant pour se réfugier dans le passé, Bérénice l’exhorte à agir dans le présent, et donc agir sur le futur de l’Etat : en se libérant de ses soucis personnels, Titus parviendra à gouverner correctement la vie romaine.

D’où l’ironie tragique présente dans ce texte.

En effet, le lecteur/spectateur est conscient de l’aveu que doit.... »

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