Aristote
Publié le 16/05/2020
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Aristote Platon l'appelait : le liseur, et bien qu'il eût le sens de l'humour, il était fort studieux.
De fait, de la logique à la science des moeurs, il a inventé, nommé et systématisé toutes les sciences que nous connaissons, plus une, dont nous ne savons toujours pas ce qu'elle est, et qui est lamétaphysique : c'est-à-dire qu'il a trouvé le tourment de toutes les sciences, plus celle qu'un dieu seul peut inventer pour nous.
C'est la métaphysique en effet qu'Aristote disait " science divine " en ce double sens qu'elle a le divin pour objet etque selon le vers de Simonide, dieu seul peut-être aurait ce don.
Mais, dit Héraclite , " l'homme entend dieu puérilement : comme les enfants écoutent les hommes ".
De toutes les façons, c'est un enfantillage à l'homme, d'avoir recours aux dieux : et bien qu'Aristote, contre la plus vieille sagesse grecque, n'ait jamais voulu croire que les dieux sont jaloux, lalecture de son oeuvre laisse souvent le sentiment qu'il n'a su traduire un langage divin qu'en un balbutiement barbare.
Neuf ans : tel est, selonLéon Brunschvicg , l'âge mental d'Aristote.
Aussi bien s'est-il toujours refusé à faire parler aux sciences le langage des mathématiques, qui est le langage des physiciens modernes, ces " hommes purement hommes " mais aussi ces " maîtres et possesseurs de la nature " dont parle le Discours de la Méthode .
Aristote est l'un des rares philosophes pour qui les mathématiques n'aient jamais été norme de vérité, et pour lui la science que toutes les autres supposent, et dont elles dépendent toutes, n'est pas la mathématique, mais la métaphysique.
Ainsi fait-il de la physique enmétaphysicien, et c'est pourquoi sa science de la nature est si étrangère à la nôtre.
Ce qui s'y pourrait rapprocher de la nôtre y est à l'envers, au point que le principe d'inertie, qui fonde la mécaniquemoderne, y est bien énoncé, mais pour être aussitôt dénoncé comme absurde.
Le retour en arrière que doitaccomplir l'historien de la philosophie est donc ici retournement sur soi.
Il faut véritablement revenir aux évidencesoubliées de l'enfance, pour entendre à nouveau l'étrange balbutiement de ce dieu qui s'essaie au langage deshommes, et pour ressaisir le sens de cette première des sciences dont les autres dépendent en telle sorte que, sousles mêmes noms que les nôtres, elles nous soient réellement inconnues.
Il nous faut donc partir à la recherche de la métaphysique.
Mais que cela nous soit d'abord, comme le début du Phèdre H002M1 de Platon H038 , invitation à la promenade.
Il nous faut vraiment suivre Socrate H048 et Phèdre quand ils prennent la route hors les murs : car philosopher, c'est être en route.
L'homme qui sait, dit Parménide H036 , son chemin l'emporte de ville en ville : et la déesse ouvre devant lui la vérité et l'erreur, sous la forme de deux voies.
Chez les Grecs, le lieu de la philosophie n'est pas l'espace clos d'une salle de cours, mais tous les lieux du passage deshommes, ces voies étirées en longueur qui ne sont que la trace de cheminements anciens et perpétuelle invitation à la démarche.
Le lieu de laphilosophie, c'est la rue, la route, l'allée d'un jardin, la colonnade d'un portique.
Parménide H036 est voyageur, Socrate H048 est voyou, la voie publique est la seule demeure de l'amour philosophe, et si Aristote porte pour l'histoire le titre de péripatéticien, cela ne veut rien dire d'autre,sinon qu'il philosophait en se promenant.
Il faut se défier, dit Nietzsche H034 , des pensées qui nous viennent assis : il n'est de pensée vraie, que celle où les muscles aussi trouvent leur fête.
Mais il ne suffit pas d'être en route.
Il faut aussi être sur la voie.
C'est pourquoi la philosophie est méthode : car,avoir une méthodes cela ne veut rien dire d'autre, en français, que suivre son chemin.
Or, c'est au livre A de laMétaphysique que se propose la méthode de la philosophie.
Il ne faut d'abord qu'ouvrir les yeux.
Puis viennent la mémoire et l'expérience, et un parcours des arts et des métiers.
Enfin, " pour ceux qui s'engagent dans cecheminement qui est maintenant le nôtre, il ne sera pas sans utilité " que " nous reprenions en mains ceux qui s'ensont allés considérer les êtres, et philosopher sur la vérité ".
Ainsi la démarche métaphysique part du sensible, etparcourt les métiers des hommes et l'histoire de leurs philosophies.
Quel est le sens de ce parcours ? Cette questionsans doute est la même que celle-ci : " Quel est le but que doit atteindre cette recherche et tout cecheminement ? " A cette question répond, d'une manière dès l'abord mystérieuse, la première phrase du livre IV : " Il y a une sciencequi contemple l'être par où il est être.
" Ce qui est la métaphysique, c'est donc de savoir ce qui fait que l'être soitce qu'il est, c'est-à-dire l'être.
La question fondamentale est donc celle-ci : " Qu'est-ce que l'être ? " Mais le proprede cette question est d'engager le cheminement de la métaphysique sur une voie sans issue.
C'est ce que les Grecsappelaient : aporie, mot qu'on traduit par : difficulté ou problème, mais qui réellement signifie : impasse.
QuandAristote caractérise la question fondamentale comme " ce qui autrefois, maintenant et toujours est recherché ", il lacaractérise aussitôt comme " ce à quoi jamais on n'a trouvé d'issue ".
C'est pourquoi il lui substitue celle-ci :" Qu'est-ce que l'essence ? " Est-il possible de comprendre le sens de cette substitution l'une à l'autre de deux questions, dont nous necomprenons ni l'une, ni l'autre ? La métaphysique est précisément le lieu de l'élucidation d'un sens : car tout son effort ne va qu'à nous signifierquelque chose sur quoi, à la différence des autres sciences, elle n'est pas astreinte à donner ses raisons.
Étant lascience première que les autres supposent, elle n'a en effet pas d'autres objets que ces premiers principes dontusent les sciences pour rendre raison de leurs affirmations, et que leur priorité même rend indémontrables, puisqu'iln'en est point d'autres au-delà, desquels ils puissent être déduits.
La métaphysique n'est donc point une science delaquelle on puisse attendre de démonstrations.
Ce qu'on peut en revanche exiger d'elle, c'est que ses principes aientun sens, et puissent donner sens à un discours ou à un dialogue : " Le commencement en tout cela n'est point deprétendre dire que ceci ou cela est ", " mais de signifier à soi-même et aux autres.
" Il nous faut donc être attentifaux signes que nous font les mots, et patiemment apprendre à écouter et à parler..
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