Albert CAMUS ~ Quand la polémique remplace le dialogue

« Albert CAMUS : Quand la polémique remplace le dialogue Quelques mots d’Albert Camus : « Le XX e siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l'insulte .

[…] Il n’y a pas de vie sans dialogue.

Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique et l’insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, et au niveau même des disciplines autrefois désintéressées, la place que tenait traditionnellement le dialogue réfléchi.

Des milliers de voix, jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversent sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices, attaques, défense, exaltations.

Mais quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s’il lui arrive de sourire et de quelle manière.

Devenu aux trois-quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi les hommes, mais dans un monde de silhouettes .

[…] Ce qui me semble le mieux caractériser cette époque, c’est la séparation, la défiance et l’hostilité envers celui qui n’est pas un autre vous.

» " Nihil novum sub sole ", donc.

C ependant, on peut déceler, à bien des égards, dans ces propos une dimension prémonitoire.

En effet, il semble que «le mécanisme de la polémique» , décrit avec tant de clairvoyance par Camus en 1948 – dans Le Témoin de la Liberté (Conférences et discours) – ait gagné en extension et en intensité au XXIème siècle avec l’émergence des réseaux sociaux et la twitterisation du débat public ; amplifié en extension car " l’aveuglement " partiel dont il parle ne concerne plus seulement quelques intellectuels germanopratins mais pèse massivement sur les populations en induisant les comportements grégaires de consommateurs gavés d’information et de " fake news " que nous sommes devenus; structurellement aggravé en intensité parce que le mécanisme polémique s’est radicalisé en pathologie du. »