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L'illusion (cours de philosophie)

A s'en tenir à une analyse étymologique, le concept d'illusion recouvre la notion de jeu (lud , « ludique »). A ce jeu nous sommes joués (être le jouet de...). Il dépend de nous de nous « bercer d'illusions » (mauvaise foi, naïveté). L'illusion est donc avant tout passive ; le comédien qui crée l'illusion n'éprouve que la satisfaction d'un divertissement bien monté, sauf s'il se laisse prendre à l'ambiance, et dès lors vit l'illusion qu'il crée. Pour que cette passivité de l'illusion soit possible, il faut une complicité entre le dramaturge et son public, Dieu et sa créature, le faiseur de miracles (thaumaturge) et ses dupes. C'est la structure psychologique fondamentale de l'illusion que cet accord, même inconscient, entre celui qui connaît la règle du jeu et celui qui l'ignore, la seule règle étant pour lui, de « croire ».

— I — Phénoménologie de l’illusion.

Essayons de décrire le « vécu » de l'illusion. Elle nous apparaîtra d'abord comme enveloppante ; elle est un monde dans lequel on s'installe et où l'on se sent bien, ce qui est confirmé par le fait qu'il y a danger à dénoncer l'illusion, et spécialement danger pour ceux qui la dénoncent.

1 — Le caractère « enveloppant » de l'illusion.

A — L'illusion est un monde ambiant, un « milieu de vie ». L'organisme et son milieu, sont ajustés l'un à l'autre par des « cercles fonctionnels». Tout animal prélève dans le monde qui l'entoure, des stimulations utiles. Tout être vivant essaie de transformer son entourage "pessimal" (le plus mauvais, hostile) en milieu « optimal » (le meilleur, très bien ajusté). « Un organisme ne peut exister que s'il réussit à se tailler un environnement adéquat », écrit Goldstein. L'être humain a en outre le pouvoir de croire, de sécréter ses illusions pour en former un monde ordonné, en relation structurale avec chacun des aspects de sa personnalité. L'illusion colle à nous comme un vêtement sur mesure, et l'on pourrait définir des types de la relation au réel, d'après les illusions personnelles. A chacun ses croyances et ses mythes ; ses illusions l'aident à vivre.

B — Le rêve est non seulement un modèle de l'enveloppement de l'illusion, mais encore il est lui même conçu comme illusion. On a souvent remarqué, tant le rêve est « prenant », l’indiscernabilité (théorique) du sommeil et de la veille. « Je vois si manifestement qu’il n'y a point d’indices concluants... par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil... que j’en suis tout étonné. Et mon étonnement est tel qu’il est presque capable de me persuader que je dors » (Descartes, 1re Méditation). Le rêve a une réalité qui s’impose. Deux exemples tirés de la philosophie orientale : quelle différence entre un empereur rêvant douze heures par nuit qu'il est esclave et un esclave rêvant douze heures par nuit qu’il est empereur ? Et l’autre : un philosophe chinois se demandait au réveil si c’était lui qui avait rêvé de papillons, ou les papillons de lui. Le problème de la frontière entre la réalité et l'illusion passe souvent par l'analyse du rêve, comme dans la philosophie védantique où le monde que nous voyons est un rêve cosmique, une émanation de Brahma, et toutes les manifestations de Brahma (les objets réels) sont des illusions, le voile de Màyà. Le rêve est enfin un modèle de l'illusion en ce qu'il nous est interdit sous peine de troubles psy chiques très graves, voire mortels, de cesser de rêver : l’illusion n’est elle pas la transposition du rêve dans la veille ?

C — Un troisième modèle de l’enveloppement de l’illusion nous est fourni par l'analyse psychopathologique : l’hallucination, le mirage ou la vision extatique. On croit voir ce que l'on attend, on « oublie », on néglige les réalités contrariantes. Nous ne nous « exposons » qu'aux informations qui confirment le système de nos opinions (loi de Festinger). Nos chères illusions résistent au réel. Dans l’hallucination pathologique (psychoses hallucinatoires ou psychoses délirantes) le sens de la réalité s'effondre et l’expérience n’a plus de prises sur la réalité. Le monde vécu est tout entier imaginaire, mais cet imaginaire devient une expérience sensible actuelle Non seulement l’halluciné perçoit ses images comme des objets réels (comme dans la crise de délirium alcoolique), mais il interprète tous les signes (délire d'interprétation). Dans ces cas, il est vrai, une angoisse intense accompagne l’Univers illusoire obsédant.

2 — Un exemple : le mythe de la Caverne.

Platon, dans son célèbre récit « Le mythe de la Caverne » (dans « La République », Livre 7), nous fait comprendre que toute la réalité sensible (les données de nos sens) est une vaste illusion. Les hommes sont comme des captifs enchaînés dans une caverne, le dos tourné par rapport à l’entrée et au soleil, et obligés de se contenter du jeu d’ombres, qui se passe sur le mur du fond. La vérité est ailleurs, mais il faudrait se retourner (se convertir) mais pour cela ne plus être attaché à ces sensations et savoir qu’il y a autre chose ailleurs, de plus authentique. Mais ce qu’on ne connaît pas, comment et où le chercher ? La réponse est la réminiscence. Il faut que le prisonnier se doute de quelque chose. Or, s'il se doute de quelque chose, c’est qu’il connaît déjà le monde des Idées..., qu'il l’a connu avant de commencer sa vie terrestre et qu’il en a gardé une nostalgie. Cependant la vie dans la caverne est plus agréable et confortable, à court terme, que le chemin vers le Soleil : ankylose, torsion du cou, essoufflement sur une pente abrupte et caillouteuse, aveuglement et mort éventuelle de celui qui veut se retourner et aller vers le Soleil. Platon suggère ici le sacrifice accepté « avec toute son âme », par opposition aux prestiges indéfinis de l'illusion, comparables aux mirages de Circé, et aux appels des Sirènes pour Ulysse, ces séductrices qui enchantent et qui conduisent à la mort. Il faut résister à l'appel de l'illusion, il faut se lier au mât du navire pour lutter contre l'instinct et éviter la tentation facile ou la métamorphose en pourceaux (état animal d'inconscience heureuse). L'illusion se forme en discours séducteur et tyrannique ; elle devient dangereuse.

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