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L'idée (cours de philosophie)

Il serait long de faire le recensement de tous les emplois du mot « idée ». On dit « idée » pour signifier le sens d'une phrase ou d'un texte : si en comparant deux paraphrases de la même idée, vous les trouvez différentes, vous direz que « l'idée exprimée n'est pas la même ». Si vous cherchez ce qu'a voulu dire tel interlocuteur qui vous parle, vous cherchez quelle est « son idée» c'est à dire encore le sens pour lui de ce qu'il a exprimé. En répondant à quelqu'un « Je ne partage pas tes idées » vous employez le mot » idée » dans le sens d'opinion, d'attitude, prise de position, voire idéologie ou tout simplement « conception » d'un donné, d'un problème ou d'une situation. C'est dans le même sens que vous avez « des idées sur la politique» « des idées sur les professeurs » sur les événements,... ou sur un sujet de dissertation. Par contre quand vous dites à un partenaire qu'il « se fait des idées » vous insinuez qu'il prend pour la réalité les produits de son imagination, genre fantasme, fabulation, hallucination même. Dans le même sens, nous parlons d'« idées noires » chez un mélancolique. « Idée » peut signifier aussi « intention » et même « idéal » dans une phrase banale du genre : « Il veut être coureur automobile, c'est son idée » même si vous pensez « c'est une drôle d'idée ». Enfin, l'« Eurêka » d’Archimède, qui signifie « J'ai trouvé » après la longue recherche d'une solution, est aussi une « idée », celle qui vient de l'imagination créatrice, qui signale l'invention, qui va mettre en branle une réalisation ou une expérience. Depuis le début de ce chapitre j'expose des idées sur l'idée, c'est à dire des définitions possibles, des idées générales, et inévitablement le lecteur confronte ces idées avec l'expérience. Il trouve telle « idée » bonne si elle résume et intègre ses observations de la réalité, si elle est véritablement une catégorie valable de classement. Pour reprendre avec plus de méthode cette investigation, un retour à l'histoire philosophique (histoire des idées) est instructif. Puis nous tenterons de différencier le mot « idée » de ses mots les plus voisins (image, concept, valeur, etc.). Enfin nous tenterons de définir cette notion.

— I — Les avatars de l’« idée » à travers l’histoire de la philosophie.

1 — C'est avec Platon que l'« idée » entre dans l'histoire. Le mot vient du grec « eïdos » et signifie aussi Forme. Une « idée », selon Platon, est à la fois l'origine et le modèle de toutes les données sensibles qui se regroupent sous la même dénomination. Ainsi l'idée d'Homme est une réalité essentielle dont participent tous les individus de l'espèce humaine. Et il est vrai que les hommes existent plus ou moins comme Hommes selon qu'ils réalisent plus ou moins en eux l'Humanité essentielle. L'être pleinement homme est un être idéal, une idée, dont il faut reconnaître qu'elle a plus de réalité que tel ou tel homme que vous voyez de vos yeux (donnée sensible ou donnée des sens). puisque vous pouvez dire que « M. Untel n'est pas très humain ». De même il faut bien que vous ayez une idée de la Justice puisque vous pouvez dire que telle ou telle action particulière (donnée sensible) est « injuste », ou » plus juste qu'une autre », etc... Une évaluation de votre cheval, du genre « c'est un bon cheval » implique que vous avez une idée du cheval, c'est à dire qu'il existe, au ciel des Idées, un « cheval intelligible » pure idée, qui vous sert de modèle. Pour Platon, une idée de ce genre est : 1) un objet de connaissance, c'est à dire que la science ne peut être que science des idées (ainsi par exemple l'Anthropologie s'occupe de l'Homme en général et de la nature de l'être homme) ; 2) une réalité éternelle, hors du Temps, car seules les données du monde sensible sont périssables ; 3) une réalité plus vraie et plus consistante que toutes les données dites « réelles » du monde sensible ; 4) parfaitement et totalement intelligible, sans aucun mélange de qualités sensibles, partielles et confuses ; 5) la loi et la cause réelle de toutes les données sensibles correspondantes ; 6) la totalité de toutes les informations possibles sur ces données correspondantes, et même davantage que leur somme réelle qui ne peut viser, par l'expérience sensible, qu'à l'approximation ; 7) une valeur, un idéal, un absolu, une émanation du Bien, du Beau et du Vrai. « Il est évident », dit Platon, « que les choses ont par elles mêmes un certain être permanent qui n'est ni relatif à nous ni dépendant de nous ». On sait que cette conception a été illustrée par le mythe de la caverne et que la « théorie de la réminiscence » (nous avons connu, avant de venir sur la Terre, les Idées et nous en avons un vague souvenir) explique, selon Platon, que nous puissions juger du Beau, du Bien, du Vrai, sans en avoir d'idée claire et sans avoir jamais rencontré dans les perceptions du Monde ces perfections. On comprend mieux la mission que Platon donne au Philosophe : se détourner des illusions sensibles, accéder aux idées et à leur...

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