Le Soulier de satin ou le pire n'est pas toujours sûr de Paul CLAUDEL, 1930-1943
Cette oeuvre dramatique en quatre journées, écrite de 1919 à 1924, publiée en 1930, a été remaniée et raccourcie pour la scène en 1943, année de la première représentation. C'est à la version scénique, plus accessible, que nous renvoyons ici. Le Soulier de satin est considéré comme l'oeuvre maîtresse de Claudel qui en a fait la somme de ses réflexions sur l'amour humain, l'amour divin, les devoirs terrestres du chrétien, le sacrifice et le dépouillement, au fil d'une action touffue dont la scène [...] est le monde et plus spécialement l'Espagne à la fin du xvf siècle, à moins que ce ne soit le commencement du xvif siècle. C'est un drame d'amour à quatre personnages, dont le pivot est Dona Prouhèze, épouse de Don Pélage, capitaine général des Présides d'Espagne. Elle est aimée de Don Camille, un demi-Maure, officier dans l'armée espagnole, dont elle repousse les avances (première journée, scène 3), et amoureuse du jeune Don Rodrigue de Manacor, mais elle se refusera toujours à lui par fidélité à la parole donnée devant Dieu. Tentée de s'enfuir pour rejoindre Rodrigue, elle dépose une de ses chaussures, un soulier de satin, entre les mains de la Vierge qui protège la maison de son mari : Quand j'essaierai de m'élancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux (scène 5). Dans le château où Prouhèze a retrouvé Rodrigue blessé dans un duel, Pélage vient opposer aux tentations du plaisir les impératifs du devoir : il faut servir l'Espagne, tandis que lui-même veillera sur les places du nord du Maroc, elle se rendra à Mogador, dans le Sud, pour surveiller Don Camille qui n'est pas sûr (deuxième journée, scène 3). Elle obéit. On apprend que Rodrigue a de même accepté du roi la vice-royauté des Indes occidentales à condition que Prouhèze soit rappelée en Espagne. Le roi lui a imposé pour épreuve d'aller à Mogador porter cette proposition (scène 5). Rodrigue se lance à la poursuite de Prouhèze, décidé à jouir du corps (de cette femme) et à s'en débarrasser. Mais Prouhèze fait tirer le canon sur sa caravelle et refuse de le suivre : Partez. Je reste (scène 9). Cependant, une scène allégorique, où apparaît l'Ombre Double de Prouhèze et de Rodrigue, suggère qu'ils se sont rencontrés et ont échangé un baiser (scène 10). Pendant leur sommeil, les deux héros méditent leur irrémédiable séparation ; Prouhèze : Jamais! c'est là du moins lui et moi une chose que nous pouvons partager... Si je ne puis être son paradis, du moins je puis être sa croix! (scène 11). Dans la seconde partie (dix ans plus tard), se poursuit cette ascension vers Dieu par l'amour et la souffrance dont une conversation de Prouhèze et de son ange gardien précise le sens (scène 4). Après la mort de Pélage, Prouhèze a épousé Camille qui, depuis, s'est fait musulman sous le nom d'Ochiali. Elle a appelé Rodrigue à son secours par une lettre qui court le monde depuis dix ans. Quand Rodrigue arrive enfin devant Mogador, elle refuse encore de le suivre, bien qu'Ochiali l'y ait autorisée si elle obtenait le retrait de la flotte de Rodrigue. Prouhèze confie à Rodrigue sa fille Sept-Épées, qu'elle a eue de Don Camille, et annonce qu'elle rentrera à Mogador pour sauter avec la citadelle, n'ayant été pour Rodrigue qu'une croix : une croix seulement? Mais n'est-ce rien que cette croix que nous partageons avec Dieu! Dans l'épilogue, encore dix ans plus tard, Rodrigue reparaît, complètement déchu. Il a même perdu une jambe et doit être vendu comme esclave. Mais il est détaché de tout et se sent libre. Personne ne voulant de lui, une soeur quêteuse l'accepte pour écosser les fèves dans son couvent. De nombreux personnages secondaires contribuent à la diversification des thèmes et au foisonnement poétique de la pièce qui est conçue pour être jouée de façon continue avec accompagnement musical et changements de décor à vue.