Le risque climatique est l’occasion d’expérimenter une régulation par des mécanismes de marché
Le risque climatique est l’occasion d’expérimenter une régulation par des mécanismes de marché
En juin 1992, les États réunis au « sommet de la Terre » de Rio de Janeiro signaient une convention internationale sur le changement climatique. Les recherches scientifiques avaient fini par convaincre les responsables politiques de la réalité des dangers globaux liés à l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre (GES). La poursuite au même rythme des émissions de GES, notamment celles de gaz carbonique, pourrait en effet, selon un scénario moyen, entraîner un doublement de leur concentration d’ici à 2100 et une élévation de la température moyenne à la surface du globe de l’ordre de 2,2 °C. Au cours du xxe siècle, marqué par une consommation d’hydrocarbures sans précédent, cette dernière a crû d’un demi-degré.
Il est difficile de quantifier les conséquences d’un tel réchauffement, mais les risques sont désormais connus : fonte des glaciers et montée des mers, mettant en péril les zones côtières et les États insulaires, modification des écosystèmes entraînant une perte de diversité biologique, renforcement de l’instabilité climatique (inondations, cyclones), recrudescence des vagues de sécheresse, notamment dans les zones arides et semi-arides où les rendements agricoles pourraient chuter, aggravant l’insécurité alimentaire des populations les plus démunies de la planète...
Les risques sont tels que les gouvernements ont décidé d’agir pour freiner leurs émissions, exercice d’autant plus difficile qu’il s’agit parallèlement de maintenir une impérative croissance économique. Les pays riches, principaux consommateurs de ressources énergétiques, s’étaient engagés lors de la conférence de Rio, en 1992, à ramener en l’an 2000 le niveau de leurs émissions à celui de 1990. Ils n’en firent rien, ou presque, car de tels objectifs supposent une action concertée. La réduction des émissions ayant un coût, un pays ne pouvait, dans une économique mondialisée, honorer unilatéralement ses engagements sans perdre en compétitivité face à un autre pays qui n’aurait pas joué le jeu. Que faire, alors, en l’absence de gendarme mondial ? Ce fut tout l’enjeu de la réunion de Kyoto, en décembre 1997, où l’on proposa, face à l’impuissance du droit international, de recourir à des mécanismes de marché pour gérer un bien environnemental commun à l’humanité et auquel on reconnaissait désormais une valeur : l’atmosphère.
Un besoin de flexibilité
Le protocole de Kyoto engage les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) à réduire leurs émissions de 5,2 % en 2010 par rapport à leur niveau de 1990. Les États-Unis et l’Union européenne se sont engagés respectivement sur des baisses de 7 % et de 8 %. C’était de factoétablir des quotas ou des « permis d’émission » limitant la liberté absolue qui prévalait jusqu’alors. En contrepartie, les États-Unis, suivis par d’autres pays développés, ont exigé que les pays s’engageant sur un quota puissent acheter ou vendre leurs permis d’émission pour parvenir à l’objectif. En effet, les coûts d’abattement sont très variables d’un pays à l’autre, et il est plus facile d’acheter pour 50 dollars chez le voisin un droit d’émettre une tonne de carbone (que ce dernier n’aura plus le droit de rejeter dans l’atmosphère) que de dépenser 100 dollars pour éviter chez soi l’émission de cette même quantité.
À ce système de « permis d’émission négociables » (PEN) s’ajoute le «mécanisme de développement propre » (MDP). Ce dernier doit permettre à un pays du Nord d’acheter des quotas additionnels, moyennant le financement d’abattements « certifiés »équivalents dans les pays du Sud (qui n’ont pas quant à eux, au terme du protocole de Kyoto, pris des engagements quantitatifs, eu égard à leurs besoins de développement). L’enjeu de ces mécanismes de marché est de taille, puisque dans les pays du Sud et de l’Est, les coûts de réduction des émissions sont bien plus faibles que dans les pays développés : il y subsiste par exemple beaucoup de centrales thermiques au charbon, polluantes et aux technologies obsolètes, qu’il faudra remplacer, et l’on pourrait y substituer des unités plus performantes.
Le système des quotas ou le retour du refoulé
En fait, aucun compromis n’ayant été atteint au sommet de La Haye (novembre 2000), le président George W. Bush a retiré la signature de son pays du protocole de Kyoto (mars 2001), au prétexte que les grands pays du Sud n’y avaient pas de quota limitant leurs émissions. Mais en 2001, les experts ont découvert que, sans obligation, la Chine, brûlait bien moins de charbon qu’en 1996. L’accord de Marrakech (été 2001) a dès lors pu « sauver Kyoto ». Tous les pays signataires, opposés aux positions européennes (exigence de limitations à l’usage des PEN et des MDP défendue de 1997 à 2000), ont déclaré vouloir le ratifier, même sans les États-Unis. L’accord de 2001 offre le maximum de flexibilité, y compris des droits additionnels d’émettre des GES si un pays parvient à prouver qu’il a « séquestré » plus de carbone dans ses forêts ou dans ses sols.
La gestion du risque climatique par les quotas s’est peu à peu imposée après l’abandon de l’idée d’une fiscalitéénergétique (l’écotaxe), un moment portée par l’Union européenne. Curieusement, cette approche l’a emporté sous l’influence convergente d’idéologies opposées. Les écologistes préfèrent en général les quotas aux taxes, pensant que les premiers garantissent mieux le résultat final que les secondes. Les partisans du libéralisme estiment pour leur part que le quota est le préalable aux permis d’émission négociables. Quant aux industriels, ils y voient un moyen d’échapper à la fiscalitéénergétique, perçue comme l’outil d’une idéologie socialisante.
Les écologistes allaient rapidement s’apercevoir que les quotas ouvrent la voie aux instruments de marché : on ne voit pas en effet ce qui pourrait empêcher de les échanger, comme tout autre titre. Le monde industriel devait se rendre compte de son côté que les quotas, comme la fiscalité, représentent finalement une contrainte économique, et qu’ils ouvrent la voie à un important encadrement par l’État, puisque c’est à ce dernier que revient la charge de répartir le quota national entre les différents secteurs de l’économie.
Comment partager les permis de polluer ?
Les tenants du libéralisme vont également s’apercevoir que le marché ne peut répondre à la question clé de la répartition initiale des quotas entre pays. L’enjeu est encore plus important si l’on veut associer à terme les pays en développement à l’effort commun. Calculer des quotas sur la base des émissions passées est inacceptable pour les pays en développement, dont la croissance serait alors gravement compromise. Les répartir équitablement par tête, comme le proposent certains intellectuels, en particulier l’Indien Anil Agarwal, n’a aucune chance d’être accepté. Accorder, dans l’hypothèse d’une réduction globale des émissions de gaz à effet de serre, le même quota à un Indien qu’à un Américain supposerait pour ce dernier - qui rejette en moyenne vingt fois plus de gaz carbonique - de réviser drastiquement son mode de vie, même s’il dispose de la possibilité de racheter les quotas inutilisés par le premier.
En définitive, les permis d’émission négociables constituent-ils un outil immoral permettant aux riches d’acheter des droits à polluer ou une restriction de leur accès libre à un bien commun limité ? une victoire de la rationalité libérale face à l’arbitraire des administrations ou un encadrement administratif permettant de contrôler les pouvoirs industriels ? Le problème est surtout de savoir comment se construira et se régulera ce marché, et comment s’articuleront les négociations sur l’environnement et les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Nul doute que les capacités de négociation collective devront être renforcées pour peser face à de puissants intérêts nationaux.
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