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La philosophie (cours de philosophie)

La philosophie, comme les civilisations dans la phrase de Valéry, sait maintenant qu’elle est mortelle. Il faut entendre par là que les systèmes philosophiques n'ont plus la pérennité qu'on leur supposait autrefois, qu'ils naissent, vieillissent et meurent, comme des organismes vivants. Cependant, il convient évidemment de nuancer cette affirmation de trois remarques :

a — Les systèmes philosophiques ne meurent pas plus que les civilisations. Ainsi Engels note qu'en général les civilisations vaincues, mais qui possèdent un plus haut niveau de développement économique, assimilent les vainqueurs (à l'exception par exemple des Chrétiens envahissant le territoire savamment Irrigué des Maures d'Espagne et détruisant cette forme avancée de technique). On peut donc dire, en suivant Hegel que les civilisations (les Peuples ou « esprits des peuples ») se perpétuent en se dialectisant les uns dans les autres par la récupération (aufhebung = suppression ou dépassement ou récupération). Ainsi l'esprit romain subsiste dans le monde roman.

b — Ce qui reste surtout vivant (et qui fait parler d'une philosophie éternelle), c’est un esprit, une ambiance, un être à... proprement philosophiques. On peut dire schématiquement que cet esprit se caractérise par le décalage (l'étonnement) et par la légèreté, qui n'exclut pas le sérieux : selon Nietzsche, le philosophe ne doit pas être lourd et pesant, « le philosophe doit être dansant » ; selon Valéry, il doit pouvoir toujours être là où il n'est pas... L'esprit philosophique se caractérise aussi par la foi sans limites et le dynamisme constant ("avec toute son âme").

c — Mais d’une autre part, la matière philosophique — et c'est une tendance de plus en plus nette dans la philosophie actuelle — non seulement se « dialectise » selon l'expression de Bachelard, mais encore se réinterprète, se relit. La psychanalyse, les modèles linguistiques, anthropologiques, économiques, proposent autant de « grilles » à travers lesquelles une relecture de toute œuvre philosophique est possible. Ce "palimpseste" (ou grattage des manuscrits à plusieurs couches d’inscriptions) est le fait d'une archéologie philosophique (M. Foucault, J. Derrida, M. Serres, G. Deleuze, et les marxistes). Il s'agit de considérer le texte comme parlant sans le vouloir consciemment (mais bien de façon inconsciente) de tout autre chose, et plus important, que ce qu'il dit à une lecture superficielle. Ainsi Serres dans Hermès I ("La Communication") relit-il un texte de Michelet, une œuvre de Molière, un conte de Perrault... en découvrant un sens inconscient toujours séduisant. C'est un peu comme dans ces anciennes images enfantines des devinettes : cherchez l'animal qui se cache... La philosophie tend à devenir mise à jour, dévoilement de tout ce que la pensée comportait de replis depuis l'origine, de « latences » ; le risque est que cette restructuration semble sans limites. Il ne faut pas non plus prendre la philosophie d'une façon trop formelle et synchronique (par tranches abstraites de temps, où tous les éléments se donnent synthétiquement, sans évolution, comme on a pu le faire pour les réalités ethnologiques), ni d'une façon trop anhistorique. Car cette façon de procéder apparaît aux philosophes plus conscients de la dimension forcément historique de la philosophie, comme un appauvrissement autant qu'une trahison. De nombreux ouvrages peuvent constituer une introduction à la philosophie : ainsi le Discours de la Méthode de Descartes, le Traité de la réforme de l'entendement de Spinoza, la « Propédeutique philosophique » ou la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, l'« Initiation à la méthode philosophique» de Karl Jaspers, l'Éloge de la philosophie de Merleau-Ponty, Sagesse et Illusions de la philosophie de Piaget... Dans ce chapitre, nous essaierons de présenter le type d'investigation philosophique, sa recherche et son vécu immédiat, de telle sorte que cela puisse aussi constituer une initiation, dont la valeur récurrente prenne tout son effet après la lecture de tous les chapitres de cet ouvrage.

— I — Étymologie et méthodologie de la philosophie.

1 — Étymologie. On sait que « philosophie » signifie « amour de la sagesse ». Ce n'est pas une raison pour développer les rapports de la philosophie et de la sagesse. Ce domaine est maintenant relégué. La sagesse nous importe peu, si elle a pu représenter quelque chose — qu'il faut d'ailleurs soigneusement réinterpréter — chez certains philosophes grecs. Il faut réinterpréter ici "sophia" comme « savoir ». Dès lors la philosophie serait l'attrait exercé par le problème du Savoir (au sens hégelien différent de la Science). Comme un savoir peut être immédiat (rapport non conceptuel de la pensée adualistique avec le monde interdéterminé, comme dans l'intuition) et saisi phénoménologiquement comme tel (ex: l'enfant dans le paysage de son enfance), la philosophie est dès l'origine une recherche concernant notre mode d'être par rapport au monde. Il faudra retenir ce point. Mais philosophie a un autre sens, inversé, et qui, on le verra, revient au même, au bout du compte. Jean Wahl définit plaisamment la philosophie comme "sagesse en amour". Cette boutade est très profonde. En effet, nous avons vu que le philosophe est avant tout un passionné qui s'avance dans la recherche avec plus de dynamisme —

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