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La liberté (cours de philosophie)

Bossuet écrivait dans son Traité du libre arbitre : « Plus je cherche en moi-même la raison qui me détermine, plus je sens que je n'en ai aucune autre que ma volonté... Je sens par là clairement ma liberté. » Le "sentiment vif interne" de la liberté, comme disait aussi Descartes, nous montre sans doute que nous nous décidons sans contrainte, mais il ne s’ensuit pas que nous nous décidions sans nécessité. Notre intuition de la liberté n’est en effet ni claire ni probante. Cette question a alimenté toutes les discussions métaphysiques et a profondément influé sur les théories psychologiques elles-mêmes (exemple sur la psychologie de l’attention, de la volonté, etc.) Un texte de Jules Lequier, publié par son ami Renouoier (1815-1903) (Lequier, La recherche d’une première vérité) nous décrit l’expérience irréalisable qui seule pourrait nous donner la preuve de la liberté : « Pour faire une seule fois l’expérience d’un acte libre, il faudrait, et cela de la plus stricte rigueur, premièrement s’être trouvé deux fois dans des circonstances parfaitement identiques, ce qui ne peut se concevoir qu'au moyen de l’extraordinaire hypothèse (du retour éternel) : secondement avoir agi, là même, dans les mêmes circonstances, de deux manières différentes ; troisièmement, rassembler ensuite dans un souvenir unique les deux souvenirs distincts... ». Et Lequier ajoutait ailleurs ("La feuille de Charmille") que d’abord on ne découvre pas la liberté, on la sent, on croit la sentir en soi, mais bientôt on s’aperçoit que la liberté, loin d’être un fait, est un problème, et ce problème étonne, confond la raison. (Cf. Jean Grenier, "Entretiens sur le bon usage de la liberté").
— I — Le problème de la liberté.
1 — Le problème de la liberté devant la raison. De ce que nous nous décidons sans contrainte, s’ensuit-il que nous nous décidons sans nécessité? Le problème de la liberté a été posé très tôt dans ces termes par les rationalistes, puis par les esprits scientifiques.
A — Dans les philosophies rationalistes, la liberté ne peut être qu’une libération et cette libération consiste à passer du plan de la nécessité psychologique au plan de la nécessité logique. On ne perd pas la nécessité et il n’y a donc pas de place pour la liberté ; on change seulement de niveau, on sort de soi pour s’inscrire dans une nécessité universelle et par là on devient « libre ». Une image éclairera ce point : Supposez que pour aller à la Faculté chaque matin un étudiant fasse un grand détour dans le dessein de rencontrer une certaine jeune personne qui a enflammé son imagination et son cœur. Son chemin est déterminé intégralement par une causalité psychologique, par sa passion, par ses attentes, par la logique de ses sentiments et, plus profondément, son comportement lors de la rencontre est motivé par un enchevêtrement de tendances et de réactions conditionnées, dont les racines peuvent plonger plus ou moins loin dans son inconscient. Nous conviendrons qu’il n’est pas libre dans la mesure où il ne peut résister à cet enchaînement de causes. Supposons maintenant qu’il affirme sa liberté, qu’il décide d’être « libre » ; il ne peut l’être que par rapport à ses sentiments passés, et, s’il décide de suivre ses cours, il ira à la Faculté par le plus court chemin. Or « le plus court chemin » est déterminé géométriquement en fonction du plan de la ville. Sa liberté aura consisté à troquer la nécessité psychologique contre la nécessité logique et géométrique. C’est à peu près ce que toutes les philosophies rationalistes nomment liberté. Les Stoïciens. La liberté semble particulièrement inintelligible dans le système stoïcien, où l’ordre immuable du monde, animé par la raison divine immanente, prédétermine tous les événements et tous les faits. Chrysippe, cependant, l’illustrait par l’image du cylindre qui roule : "Le cylindre roule librement si son mouvement est seulement déterminé par sa nature de cylindre et les lois de la chute des corps". Autrement dit, si le cylindre est entouré de linges ou si le plan incliné est formé d’obstacles, le cylindre ne roulera pas librement. De même l’homme sera libre lorsqu’il agira en fonction de sa nature d’homme, c’est-à-dire d'être-raisonnable, capable de comprendre et de vouloir l’ordre rationnel du cosmos. Il est esclave dans la mesure où cette nature rationnelle est obnubilée ou dominée par des forces individuelles affectives ou émotionnelles (désirs, craintes, espoirs, douleurs, sentiments, émotions, etc.). De là découle la morale de l’impassibilité, de la « conformité à la nature », l’adoration de l’ordre cosmique. Spinoza affirme catégoriquement que le sentiment interne de la liberté est une illusion, issue de notre ignorance de la structure du réel. "Si la pierre qui tombe", dit-il, « prenait conscience d’elle-même, elle croirait tomber librement. » Apprendre à connaître l’ordre mathématique et les lois rationnelles qui règnent sur l’univers, c’est reconnaître notre nature et donc progresser sur la voie de la liberté. L’être libre est celui qui est lui même, qui a pris possession de soi, c’est-à-dire d’abord celui qui n’est plus aveuglé par la passion. Car la passion le livre enchaîné et impuissant à l’objet qu’il croyait ...

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