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Un nouveau capitalisme s’affirme, mondialisé et dominé par la finance

Un nouveau capitalisme s’affirme, mondialisé et dominé par la finance Le tournant du millénaire aura été marqué par une nouvelle étape dans l’évolution historique du capitalisme. Entamée à partir des années 1980, cette transformation est la conséquence de la crise du capitalisme de type « fordiste », qui avait contribué aux Trente Glorieuses (1945-1975), et dont les principaux rouages ont été le rôle central de l’État dans la régulation de l’économie, ainsi que le partage des gains de productivité négocié entre les détenteurs du capital et les syndicats de salariés. Deux grandes forces ont contribué à cette mutation du capitalisme. D’une part, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui, obéissant à des lois particulières, bouleversent en profondeur les entreprises, la société et l’économie. D’autre part, le processus de globalisation financière [voir « La globalisation financière a profondément modifié le fonctionnement de l’économie mondiale »] qui s’est fortement accéléré à la suite de choix politiques inspirés par l’idéologie néo-libérale, donnant la primauté à la logique du marché et à celle de la rentabilité financière. Nouvelles technologies et mondialisation Les NTIC constituent l’une de ces vagues technologiques fondamentales dont Joseph A. Schumpeter a brillamment montré qu’elles ponctuent l’histoire du capitalisme. Touchant trois domaines (la téléphonie, l’audiovisuel et l’informatique), elles s’inscrivent dans une troisième révolution industrielle qui est loin d’être achevée. Alors que les précédentes étaient liées aux sources d’énergie (vapeur, puis électricité), celle-ci concerne l’information et va de pair avec la montée en puissance de l’économie de l’immatériel. L’entreprise taylorienne traditionnelle, organisée pour la production de masse selon un modèle fortement hiérarchisé, cède la place à une entreprise plus flexible, adaptée à l’évolution constante de la demande, et organisée en réseaux, grâce à la généralisation des micro-ordinateurs permettant des coordinations transverses. Les fonctions commerciales et de conception deviennent les métiers stratégiques de l’entreprise, tandis que les tâches de production tendent àêtre externalisées auprès de sous-traitants. La décision spectaculaire, annoncée en 2001, du groupe français de télécommunications Alcatel de céder la plupart de ses 120 sites de production à travers le monde à des sous-traitants s’est inscrite dans cette nouvelle logique industrielle. Une autre spécificité des NTIC est l’importance des coûts fixes, peu liés aux quantités produites, du fait du poids des dépenses de recherche-développement : une fois le logiciel conçu, il peut être vendu à un village, ou à la terre entière, le coût total n’en sera que faiblement modifié. Aussi, les entreprises productrices de NTIC bénéficient-elles de rendements fortement croissants, ce qui donne un avantage déterminant aux grandes entreprises et explique leur course à la taille. Enfin, avec la dématérialisation des produits et les NTIC, les coûts de transport sont considérablement réduits. La technologie, les capitaux, les biens et les services franchissent les frontières avec une facilité sans précédent : devenu « cyberspace », l’espace économique s’est mondialisé. La localisation et la nationalité des produits perdent de leur signification. La majeure partie du commerce international porte désormais sur des échanges effectués entre les filiales de grands groupes multinationaux organisés en réseaux. Marchés financiers et investisseurs institutionnels La montée en puissance de la finance à l’échelle internationale constitue la seconde grande force à l’origine de la mutation du capitalisme contemporain. Ce processus de globalisation financière a connu une forte accélération à la suite de décisions politiques prises au début des années 1980, notamment sous l’impulsion des gouvernements Reagan (1981-1989) et Thatcher (1979-1990), aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces décisions, destinées à enrayer la crise du capitalisme marquée par un ralentissement de la croissance et une chute des profits, ont amené un changement de cap radical par rapport à la période « fordiste » : les politiques de « rigueur salariale » ont déconnecté l’évolution des salaires des gains de productivité et ont contribué à un rétablissement spectaculaire des résultats des entreprises, les politiques de libéralisation et de privatisation ont fait reculer la régulation publique, les réformes financières ont bouleversé la logique du système financier. Les marchés financiers tendent à supplanter les financements bancaire et public. Un « capitalisme actionnarial », dans lequel la finance joue un rôle central, se met progressivement en place à l’échelle mondiale. Outre les pays anglo-saxons déjàévoqués, ce phénomène a touché tous les pays industrialisés. Frappé de plein fouet par l’irruption brutale de la finance de marché, le Japon voit son modèle productif déstabilisé et connaît une crise profonde dans les années 1990. Au même moment, les pays de l’Union européenne participent à ce mouvement de libéralisation financière avec la création du marché unique des capitaux. L’Allemagne, qui avait paru résister à ce mouvement, s’est finalement lancée dans des réformes importantes destinées à ouvrir le capital de ses entreprises aux investisseurs internationaux. C’est en France que l’évolution a cependant été la plus spectaculaire, compte tenu de la rapidité et de la profondeur des changements intervenus dans un pays historiquement marqué par le caractère très national et protégé de son capitalisme. Avec la rigueur salariale imposée par les gouvernements successifs à partir de 1983, la situation financière des entreprises s’est améliorée fortement, tandis que la demande des ménages restait déprimée et que le chômage augmentait. Les réformes financières ont fait de la place financière de Paris l’une des plus dynamiques et des plus internationalisées : 80 % des transactions y sont désormais réalisées par des opérateurs étrangers qui détiennent près du tiers de la dette de l’État français, désormais « sous la surveillance » des marchés internationaux et contraint à la plus grande orthodoxie financière. Les privatisations, à partir de 1986, ont organisé le retrait de l’État-actionnaire dont la place est désormais occupée par des investisseurs institutionnels (sociétés d’investissement, fonds de pension, compagnies d’assurance) qui obéissent, ici comme ailleurs, à des impératifs essentiellement financiers. Environ 40 % du capital des entreprises françaises cotées en Bourse sont contrôlés par des investisseurs étrangers. Le nouveau pouvoir des actionnaires Dans le nouveau capitalisme, pour asseoir leur contrôle sur les managers, les investisseurs, qui assurent la gestion d’énormes portefeuilles d’actions pour le compte de leurs mandants, imposent des règles de « gouvernement d’entreprise » concernant l’information des actionnaires (publication de résultats trimestriels), l’organisation du conseil d’administration (séparation des fonctions de président et de directeur général), la rémunération des dirigeants (stock options). L’avènement du « capitalisme actionnarial » consacre la disparition du modèle traditionnel de l’entreprise de la période « fordiste » qui considérait l’entreprise comme une communauté d’intérêts entre ses trois partenaires : les salariés, les managers et les actionnaires. Ce sont désormais ces derniers qui dominent dans les entreprises dont l’objectif ultime est plus de créer de la « valeur actionnariale », c’est-à-dire de faire monter le cours boursier de l’entreprise, que d’accroître la production et l’emploi.

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