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TRISTAN ET ISEUT

TRISTAN ET ISEUT Milieu Xlle-début XIIIe siècle
Thème commun et titre de plusieurs romans bretons du Moyen Âge. « Bretons» (c'est-à-dire originaires des régions celtiques: Irlande, pays de Galles, Cornouailles, et Armorique proprement dite) ; ou « français » ? De création populaire, ou savante? Les spécialistes en discutent encore. Disons que la réponse est sans doute la même qu'au problème, tout aussi insoluble, du folklore chanté. Un récit (ou un simple thème) d'origine populaire, et par suite de caractère uniquement oral, a pu être, un jour, couché sur le papier par un auteur «savant», c'est-à-dire un lettré, un poète, qui ont à coup sûr apporté beaucoup d'eux-mêmes à la légende initiale, tant dans la manière (qui est l'essentiel) que dans la matière proprement dite : épisodes et péripéties, très différents d'une version à l'autre. Par exemple (dans la version Béroul) le « tribut » de jeunes garçons et de jeunes filles exigé par le géant Morolt; cas typique de la réminiscence savante puisque empruntée à la légende grecque de Thésée. Ou encore (souvenir de l'Odyssée), dans le Tristan anonyme de 1190, l'épisode du chien, qui, seul, reconnaît le héros déguisé. Chrétien de Troyes se vante, au seuil de son Cligès, d'avoir à cette date (c'est-à-dire avant 1150-1160 environ) composé déjà: « ... Érec et Énide / Et les Commandements d’Ovide, / Le Roi Marc et Iseut la Blonde... »; d'où l'on a pu conclure (le médiéviste Gustave Cohen, en particulier) que Chrétien s'est avisé le premier de faire rentrer cette légende dans la littérature. Mais l'œuvre est perdue, et les textes qui nous restent s'échelonnent comme suit; Tristan de Béroul (environ 1165-1170); Tristan de Thomas (environ 1170-1175); Folie Tristan (deux versions anonymes; environ 1175 et 1190); Tristan en prose (anonyme; environ 1230).
L'orphelin Tristan vit chez son oncle, le roi Marc; son premier exploit de chevalier sera de fendre le crâne du géant Morolt. Blessé, il est guéri par un baume que lui a confectionné la sœur même du Morolt. Nouvelle prouesse de Tristan : il ira de par le monde, pour le compte du roi i Marc, chercher la belle dont un cheveu d’or, porté par une hirondelle; est naguère entré par une fenêtre du palais royal. Après force coups d'épée, et force coups de rame de la nef royale, il découvre la belle aux cheveux d'or: c'est Iseut. Au cours du voyage qui les ramène vers le roi, Iseut apprend que le meurtrier du Morolt est Tristan lui-même; et dès lors elle décide de le tuer à son tour. Mais le breuvage mystérieux qu'elle lui fait boire est un boire d’amour et non pas un boire de mort comme elle l'avait prévu. Or elle y a aussi trempé les lèvres; ils vont dès lors, malgré eux, s'abandonner à la plus irrépressible des passions., Dénoncés, condamnés au bûcher, ils s'enfuient dans la forêt, où Marc, qui les surprend, endormis, s'apprête à les châtier, lorsqu'il s'aperçoit qu'une épée les sépare. Tristan rendra Iseut au roi et s'éloignera, en Armorique, où, blessé au cours d'un combat, il doit de nouveau faire appel au baume magique d'Iseut. Elle arrive, mais trop tard; alors elle s'étend auprès du corps de son ami, et meurt. Nous avons passé sur les épisodes secondaires qui distinguent les différentes versions : combat contre le dragon, intervention du « chevalier couard», noces du héros avec une autre Iseut « aux blanches mains», apparitions brèves mais répétées, à la cour du roi Marc, de Tristan déguisé tour à tour en lépreux et en bouffon (ce qui sera la matière principale de la Folie Tristan). L’analyse ci-dessus ne conserve donc que, les éléments communs, partant de ce principe que l'intérêt des romans de Tristan ne réside pas dans les péripéties, différentes de l'un à l'autre, mais dans leur ton, dans leur caractère. Les deux plus célèbres, celui de Béroul et celui de Thomas, sont, par exemple, du point de vue de leur « tonalité », presque antithétiques. Béroul (jongleur normand, sans doute) est naïf, gauche parfois, mais pathétique et puissant, violent même ; tandis que Thomas (clerc anglo-normand qui semble avoir vécu dans l'entourage de la reine d'Angleterre, Aliénor d'Aquitaine) excelle dans le jeu subtil des idées métamorphosées en images : sensible, sensuel aussi, mais (trop friand de notations et d'observations concrètes pour être dupe du surnaturel qui fait le fond de cette légende) il a tendance à faire une part un peu avare aux épisodes « magiques ». Au total, l'un se révèle plus populaire, et par là à mi-chemin de la légende primitive, orale; le deuxième, plus lettré, plus artiste.
C'est d'ailleurs sous une forme nouvelle que l'histoire de Tristan et d'Iseut (la plus belle sans doute de toute la littérature médiévale) reste vivante de nos jours au niveau du lecteur « non spécialiste». On sait que le médiéviste Joseph Bédier, en 1900, imagina de fondre en un récit unique, en prose et en français moderne, les romans de Tristan. Par lui, une œuvre de notre littérature médiévale est devenue accessible au profane. L'expérience a d'ailleurs été renouvelée, avec le même succès, par le poète André Mary en 1937.




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