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Schiller: L'art est-il un instrument de libération ?

Schiller

Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795), 1re partie, deuxième lettre, trad. R. Leroux, © Éditions Aubier- Montaigne, 1943, pp. 71-73.

L'art est-il un instrument de libération ?

Mais ne serait-il pas possible de faire de la liberté que vous m'accordez un meilleur usage que d'attirer votre attention sur le domaine des beaux-arts ? N'est-il pas à tout le moins inopportun de songer à constituer un code pour le monde esthétique à un moment où les questions du monde moral offrent un intérêt beaucoup plus immédiat, et où l'esprit d'investigation philosophique est si instamment requis par les circonstances actuelles de se consacrer à la plus parfaite de toutes les oeuvres de l'art, à l'édification d'une vraie liberté politique ? Je n'aimerais pas vivre à une autre époque ni avoir travaillé pour un autre siècle. On est citoyen de son temps comme on est citoyen d'un État ; et si l'on trouve inconvenant, illicite même de ne pas se conformer aux mœurs et aux habitudes du milieu dans lequel on vit, pourquoi aurait-on au moins le devoir, au moment où l'on se dispose à choisir une activité, de prêter l'oreille aux besoins et aux goûts de son siècle ? Or la voix de celui-ci ne paraît nullement s'élever en faveur de l’art ; à tout le moins ne se fait-elle pas entendre en faveur de celui auquel mes recherches vont exclusivement s'appliquer. Le cours des événements a donné à l'esprit du temps une orientation qui menace de l'éloigner toujours plus de l'art idéaliste. Ce dernier a pour devoir de se détacher de la réalité et de se hausser avec une convenable audace au-dessus du besoin ; car l'art est fils de la liberté et il veut que sa règle lui soit prescrite par la nécessité inhérente aux esprits, non par les besoins de la matière. Or maintenant c'est le besoin qui règne en maître et qui courbe l'humanité déchue sous son joug tyrannique. L'utilité est la grande idole de l'époque ; elle demande que toutes les forces lui soient asservies et que tous les talents lui rendent hommage. Sur cette balance grossière le mérite spirituel de l'art est sans poids ; privé de tout encouragement, celui-ci se retire de la kermesse bruyante du siècle. L'esprit d'investigation philosophique lui-même arrache à l'imagination province après province, et les frontières de l'art se rétrécissent à mesure que la science élargit ses limites.

Avez-vous compris l’essentiel ?

1 À quelle objection Schiller s’efforce-t-il de répondre dans ce texte ? 2 L’artiste doit-il s’engager dans les débats de son temps ? 3 La science et la philosophie ont-elles la même fonction que l’art ?

  1 - À l'idée selon laquelle se préoccuper des choses de l’art n’est nullement une urgence, en un moment de l'histoire où la pensée doit s’intéresser aux questions bien plus graves posées par l'instauration de la liberté politique. 2 - Non, il ne doit pas trop s’attacher au présent et à ses enjeux trop restreints, mais au contraire s’en libérer. 3 - Non, car elles visent davantage que l'art à la satisfaction des besoins : elles sont trop dominées par les impératifs pratiques et utilitaires de l'époque.

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