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ROUSSEAU (Jean-Jacques)

ROUSSEAU (Jean-Jacques). Rousseau (1712-1778) est né à Genève le 28 juin 1712. Orphelin de mère dès sa naissance, placé de bonne heure chez un pasteur nommé Lambercier, il eut une enfance et une adolescence sans éducation suivie, sans formation cohérente, au cours de laquelle les épisodes de vagabondage furent nombreux. Il aimait lire et rêver. Il ne s'adapta à aucun des apprentissages auxquels il fut soumis et garda un certain ressentiment à l'égard de ses maîtres. Il crut trouver sa voie dans la musique. La protection de Mme de Warens lui valut, aux Charmettes, près de Chambéry, des années heureuses au cours desquelles il se cultiva. Puis se succédèrent, dans sa vie, des périodes de confort et d'honneur, (en 1743, il était secrétaire d'ambassade à Venise) et d'autres de misère. Ami de Diderot, collaborateur de l'Encyclopédie dès 1745, il acquit une réputation parmi les philosophes de l'époque, mais auprès d'eux, orgueilleux et maladroit, il ne sut pas s'imposer. Il se maria avec une servante d'auberge, Thérèse Levasseur, dont il eut cinq enfants que, faute de moyens d'existence, il abandonna aux Enfants trouvés, (ce qu'on appellerait, aujourd'hui, l'administration des Affaires sociales). Puis vint la gloire. Il reçut le prix de l'académie de Dijon pour le Discours sur les sciences et les arts en 1750 ; écrivit un opéra, le Devin de village, qui lui aurait permis d'être présenté au roi s'il n'avait pas refusé cet honneur. Vint ensuite pour lui une période de grande production littéraire, avec le Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes (1755), Emile, le Contrat social, la Nouvelle Héloïse. Sa vie fut toujours instable. Il séjourna tantôt à l'Ermitage, chez Mme d'Epinay, tantôt à Montmorency chez le maréchal de Luxembourg, mais il se brouilla vite avec ses protecteurs et ses amis, et ses écrits ne furent pas toujours acceptés sans réticence. On le retrouve en Suisse, puis en Angleterre, chez le philosophe Hume avec lequel il se fâcha aussi. Les ennemis ne lui manquèrent pas. Il en grossissait le nombre et l'influence par un sentiment pathologique de persécution. Il est mort, le 2 juillet 1778, à Ermenonville, chez le marquis de Girardin qui lui avait offert l'hospitalité. L'œuvre de Rousseau est importante. Dans le Discours sur les sciences et les arts, il soutient que l'homme est heureux, sorti des mains de la nature, et a été corrompu par la civilisation qui l'a gâté moralement et a ruiné son bonheur primitif. Ces thèses étaient catégoriquement opposées à celles que professait l'Encyclopédie. Mais, brillamment défendues et récompensées d'un prix, elles eurent un retentissement. Dans un second discours, sur l'Origine de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau fait valoir les mérites d'une vie primitive et sauvage, d'une existence rustique et patriarcale. Il proteste contre l'inégalité, le despotisme, le droit de propriété et proclame la supériorité de l'état de nature sur l'état civilisé. Il s'est opposé à d'Alembert, auteur de l'article « Genève » de l'Encyclopédie, dans une Lettre sur les spectacles où il dénonce le théâtre comme l'expression la plus corruptrice de la civilisation contemporaine. Admirateur de Voltaire, il en vient aussi à se brouiller avec lui au sujet de la Providence (Lettre sur la Providence). Voltaire se montra ultérieurement hostile à certaines thèses de Rousseau (la religion naturelle, dans l'Emile, notamment). De nouveaux désaccords surgirent. Rousseau reprochait à Voltaire son irréligion et ce dernier, en représailles, poursuivait son adversaire d'une haine sans pitié. La Nouvelle Héloïse, en 1761, exalte la passion, en montre le caractère irréversible, et surtout, d'une façon on ne peut plus paradoxale, son accord effectif avec la vertu. Le sentiment de la nature, admirablement exprimé, s'ajoutant à l'insolite d'un amour interdit qui habite des cœurs nobles, assura à ce roman un succès prodigieux. En 1762 parut l'Emile, traité d'éducation. On y trouve développé le naturalisme propre à Rousseau, de nombreuses idées reprises par la pédagogie moderne : des recommandations concernant l'observation directe, les leçons de choses, l'art de stimuler la curiosité et d'instruire en amusant, de rendre l'élève actif, de le faire raisonner sur ce qu'il a constaté. On y trouve aussi des prophéties révolutionnaires, des attaques dirigées contre l'héritage, un éloge du travail professionnel, et toute une théorie de la « religion naturelle » exposée dans la profession de foi du vicaire savoyard. Le Contrat social (1762) emprunte à Locke et aux protestants français, qui contestaient le droit divin, l'idée d'un pacte social à la base de la société. Ses thèmes fondamentaux sont ceux du peuple souverain, de la volonté générale et du droit à l'insurrection, qui ont fortement inspiré la Révolution de 1789. Les Confessions, parues tardivement (la première partie en 1782) sont un essai d'autobiographie et d’introspection, parfois admirable par ses qualités d'analyse, parfois impudique et fortement marqué par l'orgueil et le souci de justification. Les Rêveries d'un promeneur solitaire (parues en 1782) nous montrent un Rousseau détendu et mélancolique, conscient de ses échecs, rasséréné par l'amour de la nature. Il s'en dégage une philosophie du bonheur lié à la bonté originelle de l'homme, accompagnée de protestations d'innocence et d'un délire de persécution qui a assombri les dernières années de cet auteur.

Né à Genève d'un père horloger, Rousseau mène jusqu'à sa mort une vie vagabonde. Ayant quitté très tôt sa famille, il pratique d'abord divers métiers ; à vingt ans, il rencontre Mme de Warens qui devient sa bienfaitrice : chez elle, il lit, s'initie au latin et à la musique. Il s'installe à Paris en 1741 et y connaît Diderot. En 1750, son Discours sur les sciences et les arts lui apporte une notoriété de scandale, et ses écrits ultérieurs, où il continue à attaquer la société de son temps, lui vaudront de nombreux ennemis (certains Encyclopédistes, Voltaire) et l'hostilité des pouvoirs établis. En 1756, il séjourne dans une propriété de Mme d'Épinay près de la forêt de Montmorency et y travaille dans le calme. Mais dès la publication en 1762 de l'Émile, l'hostilité de ses ennemis se réveille et il doit s'enfuir, d'abord en Suisse, puis en Angleterre chez Hume avec lequel d'ailleurs il se brouille rapidement. Revenu à Paris, il y compose ses dernières œuvres, notamment autobiographiques (Les Confessions) et meurt à Ermenonville.

♦ L'expérience de ses différents échecs fortifie Rousseau - jusqu'à la paranoïa dans ses dernières années - dans sa conviction que la société de son époque est mauvaise. D'où sa volonté de découvrir l’origine du malheur contemporain et, pour cela, l'élaboration d'une histoire de l’homme qui - indépendamment de la recherche de documents attestant l'existence concrète d'un état premier de l'humanité - va insister sur la bonté antérieure de cette dernière. Mais on simplifie sa pensée en répétant que pour lui « l'homme est né bon et la société le corrompt » : il y a en fait trois étapes, qui permettent de distinguer « l'originaire de l'artificiel ». Il n'en reste pas moins vrai que c'est bien parce que la société du xviiie siècle lui paraît mauvaise pour l'homme en général (puisqu'elle l'est à son égard) que Rousseau se montrera méfiant envers tout ce qui la caractérise : au règne de la raison, il préférera les voies du cœur et du sentiment, trouvant dans ces derniers le moyen de corriger les excès toujours à craindre de la sèche logique ; aux apparences mondaines, il opposera la vérité intérieure des êtres - à commencer par la sienne, peu soucieuse de plaire mais simultanément avide de reconnaissance et de succès. D'où les scandales qu'il multiplie au cours de sa trajectoire, et le caractère très singulier de sa philosophie, où l'unique critère de vérité se trouve fondamentalement dans ses propres réactions et certitudes personnelles.

♦ Après la dénonciation des symptômes du mal social, qui s'effectue notamment dans les deux Discours, le Contrat social et l'Émile suggéreront conjointement des remèdes. Puisque la société s'est éloignée de la nature, il ne saurait être question d’y faire retour (c'est pourtant ce que feint de comprendre Voltaire...), mais c'est par une fuite en avant, dénaturation complète de l’homme, que l'on pourra recomposer artificiellement (ce qui signifie aussi à un niveau supérieur, et donc dialectiquement) les qualités perdues. Conscient de l'insuffisance de l'individualisme pur, Rousseau va chercher une solution politique : association qui garantisse la sécurité et - contraignant chacun à renoncer à son intérêt personnel en l'obligeant à s'unir à tous - lui permette de n'obéir qu'à lui-même et de rester « aussi libre qu'auparavant » - bien que ce soit d'une liberté nouvelle.

♦ Violemment attaqué de son vivant en raison de son antirationalisme et de son apparente hostilité au « progrès », mais aussi profondément admiré par Kant, Rousseau apparaît comme un philosophe majeur et trop longtemps sous-estimé. Sa vision anthropologique anticipe sur celles de Hegel et de Marx, l'ethnologie contemporaine le salue comme un précurseur, et Du contrat social demeure un élément incontournable de la réflexion politique.

♦ Discours sur l'origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755).

L'histoire de l'humanité que propose ce texte n'est pas à proprement parler « scientifique » : il s'agit plutôt pour Rousseau d'une histoire vraisemblable, c'est-à-dire capable d'expliquer comment le malheur a surgi et s'est généralisé. Elle offre trois moments principaux. Le premier (l'homme de la nature) concerne un animal présociable, vivant seul, sans pensée ni langage, exclusivement animé par l’amour de soi (sorte d'instinct de conservation) et trouvant à satisfaire immédiatement ses quelques besoins dans les productions naturelles. Privé de toute communication avec autrui, un tel être n'aurait pu évoluer (même opérée par hasard, « l'invention périt avec l'inventeur ») s'il n'était pourvu - par Dieu, et c'est ce qui le distingue du pur animal - de perfectibilité : capacité à changer en fonction des circonstances. C'est précisément en raison de modifications de son environnement (climat, végétation : Rousseau esquisse à ce propos une explication matérialiste) que vont se former les premières sociétés, par la nécessité où se trouvent les hommes de s'unir pour survivre. L'homme naturel (second moment) acquiert alors toutes ses qualités - sentiments (le premier est la pitié), langage, pensée - et vit en harmonie avec autrui, fondant la famille et des rapports sociaux équilibrés dans la mesure où le travail justifie initialement la possession du sol. Mais ce véritable âge d'or, moment de transparence complète entre des individus qui n'ont rien à dissimuler, n’a pu durer car une inégalité strictement physique existe aussi entre les hommes, qui va entraîner la dégénérescence des relations et la perversion généralisée des qualités humaines. Ainsi, c'est parce que les hommes n'ont pas contrôlé les effets négatifs de la nature elle-même qu'on aboutit à la troisième période, celle de « l'homme social » et de la société du paraître, moment d’une aliénation entièrement négative où le langage devient mensonge (il peut s'institutionnaliser comme tel, d'où la haine de Rousseau pour le théâtre), la pensée, possibilité de comparer et donc de jalouser, le raisonnement, capacité à justifier n'importe quoi ; la propriété illégitime remplace la juste possession, l'amour-propre se substitue à l'amour de soi enrichi de la pitié, l'inégalité devient « de convention » et les riches oppriment les pauvres. Le pouvoir tyrannique n'est que la sanction politique de cette décadence. En dépit des critiques de Marx qui voit dans le naturalisme de Rousseau une fiction idéologique d'origine bourgeoise, le Discours constitue une étape capitale dans le développement de l'anthropologie moderne. C'est ainsi que Engels y discerne le début d'une histoire dialectique (au sens hégélien) : à l'égalité initiale succède, dans la société civile, l'inégalité qui sera elle-même surmontée, d'abord par l'état d’égalité où se trouveront les hommes tenus en esclavage par le despote, et ensuite par l'égalité supérieure du Contrat social enfin réalisé. À notre époque, Lévi-Strauss, considérant le Discours comme le « premier traité d'ethnologie générale », salue en Rousseau le premier auteur qui ait posé le problème des rapports entre nature et culture.

♦ Du contrat social, ou Principes du droit politique (1762).

Rousseau s'y propose d’établir la légitimité du pouvoir politique, dont le fondement ne reposera ni sur l’autorité paternelle, ni sur la volonté divine, ni sur la force, mais sur un pacte d’association - et non de soumission comme chez Hobbes dont il contredit vigoureusement les thèses - où chacun s’engagera envers tous, renonçant à sa liberté individuelle naturelle au profit de la communauté qui lui assurera, en retour, la dignité du citoyen, c'est-à-dire l'égalité juridique et morale et la liberté civile. Cette « aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté » assure le passage de l’indépendance originelle à la liberté politique en même temps que la possibilité d’une morale véritable, exprimant la volonté générale - qui est, non pas la somme des volontés individuelles et des intérêts particuliers, mais bien l’expression de la souveraineté du peuple - par le biais d'un « législateur » qui en est l’interprète. La souveraineté demeure inaliénable et indivisible ; c'est pourquoi les pouvoirs, dans la cité, ne doivent être que l'émanation du corps social. Étudiant les différentes formes de souveraineté, Rousseau considère que le risque de tout gouvernement est de substituer la volonté particulière à la volonté générale ; or, aucune forme de gouvernement ne semble mettre à coup sûr l’État à l’abri de la corruption - pas même la démocratie qui, concevable dans les petites communautés, paraît finalement assez utopique. Fondation de la démocratie véritable selon les uns, des régimes totalitaires selon d’autres (Rousseau prévoit en effet que soient exclus les moindres « dissidents »), Du contrat social - qui fut lu avec soin par certains dirigeants de la révolution française, mais aussi par Kant, Fichte ou Hegel - ne propose pas, en fait, un modèle politique, s’attachant plus radicalement à chercher un principe de légitimité du pouvoir.

♦ Emile ou De l'éducation (1762).

Cet ouvrage est souvent présenté comme un traité de pédagogie « naturelle » alors qu’en fait, Rousseau y place l'enfant à éduquer dans des situations généralement artificielles, organisées ou contrôlées par le précepteur. L'importance historique du livre vient beaucoup plus de ce que Rousseau y affirme une spécificité de l'enfance et de sa mentalité qui n'avait pas été admise jusque-là, et dont la conséquence, notamment dans le domaine de la religion, sera l'inutilité d’une éducation prématurée (l'enfant étant incapable de la comprendre) et l'accès à Dieu par les seules voies du cœur (c'est la fameuse « Profession de foi du vicaire savoyard ») indépendamment des textes et intermédiaires consacrés - ce qui entraînera la condamnation de l'ouvrage par l'archevêque de Paris. Rousseau distingue en effet quatre grandes périodes dans l'éducation : - jusqu'à cinq ans, il s’agit avant tout d'assurer le développement physique de l'enfant ; - de cinq à douze ans, c’est le moment des expériences par rapport au monde extérieur. Le pré-adolescent est ici « un bel animal », dont la croissance physique se poursuit harmonieusement à la campagne, et que la curiosité pousse seule à ses premiers apprentissages intellectuels ; - de douze à quinze ans, cette curiosité sera satisfaite par quelques lectures (Robinson Crusoé) et beaucoup d'expériences directes. Les connaissances acquises visent, non pas à briller dans le monde, mais à former un individu sain et équilibré. Aussi doit-on ajouter, aux sciences naturelles, à la géographie et aux mathématiques, l’apprentissage d'un métier manuel ; - après quinze ans, l'éducation se prolonge sur le plan moral et religieux. L'amour de soi-même évoluera ainsi en amour des autres. L’Émile relève, comme le second Discours, d’une histoire conjecturale. Le texte doit de surcroît être mis en relation avec celui du Contrat social (paru la même année) comme le prouve la présence, en dernière partie, d'un résumé de ce dernier : l’homme, une fois correctement éduqué, sera capable de s'insérer dans une authentique société politique. L’ouvrage a véritablement révolutionné la pédagogie. C’est que Rousseau y a bien, selon la formule d'E. Fisher, « découvert, à l'orée du monde moderne, le royaume de l'enfance ». Autres œuvres philosophiques : Discours sur les sciences et les arts (1750) ; Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758) ; Discours sur l’origine des langues ; La Nouvelle Héloïse (1761) ; Dialogues (1775).

Rousseau : 1712-1778. «Citoyen de Genève», fier de son origine, il s'éduque seul. En 1742, il s'installe à Paris, se lie avec Diderot. Son premier Discours, où il souligne l'oppression morale et physique du monde dans lequel il a pénétré, le fait passer pour un révolutionnaire en 1749. Dans le second discours Sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes en 1753, il dénonce l'idée de propriété, la dégénérescence des Etats, le despotisme. En 1756 il se retire du monde dans un «ermitage» de la forêt de Montmorency et écrit La Nouvelle Héloïse. En 1762, il écrit ses deux œuvres philosophiques majeures : L'Émile, dans laquelle figure La Profession de foi du vicaire savoyard,et Le Contrat social.


« Je naquis infirme et malade; je coûtais la vie à ma mère, et ma naissance fût le premier de mes malheurs. » Jean-Jacques Rousseau naît le 28 juin 1712 à Genève. Son père est un horloger qui préfère jouer du violon plutôt que de remonter les montres. Placé en apprentissage chez un maître graveur qui bat ses ouvriers, Jean-Jacques s'enfuit. À la sortie de la messe, à Annecy, en 1728, il rencontre Mme de Warens. Cette jeune bourgeoise accueille les calvinistes pour les convertir au catholicisme. Jean-Jacques, séduit par sa beauté et sa gentillesse, se fait baptiser à Turin, devient valet, professeur de musique... puis s'installe aux Charmettes, « goûtant les charmes de la nature » auprès de Mme de Warens, devenue sa maîtresse. Conscient de son ignorance, il s'instruit, lit beaucoup, étudie les sciences, le latin et la musique, tout en exerçant divers métiers, y constituant ce qu'il nommera plus tard son « magasin d'idées ». Cette vie idyllique va durer jusqu'en 1740. Rousseau, qui est précepteur à Lyon (cette expérience lui sera utile pour l'Émile, essai « révolutionnaire » sur l'éducation, publié en 1762), s'aperçoit en revenant aux Charmettes que sa place est prise... Il monte à Paris, décidé à y vivre de musique, de théâtre et de philosophie. Ce maladroit au caractère rugueux et susceptible, cet inquiet perpétuel n'est pas à l'aise dans les salons. Pourtant Mme Dupin, épouse d'un riche banquier, le prend sous sa protection, lui fait rencontrer Grimm, Diderot, qui sera l'un de ses rares intimes et qui lui propose de collaborer à l'Encyclopédie, Marivaux et d'autres philosophes. En 1745, Rousseau se lie avec Thérèse Le Vasseur, servante dans l'hôtel où il réside. Inculte mais dévouée, elle ne le quittera pas (il la présentera comme sa gouvernante), elle supportera sa misanthropie, partagera ses exils et ses humiliations, et lui donnera quatre enfants qui, tous, seront abandonnés à l'hospice des Enfants trouvés. Musicien reconnu, il rédige aussi divers essais poétiques, scientifiques... Son Discours sur les sciences et les arts, où il démontre que c'est la civilisation qui corrompt l'univers, est couronné par l'académie de Dijon (1750). Rousseau devient l'homme du paradoxe et du retour à la simplicité. Son opéra, Le Devin de village (1752), est joué devant Louis XV qui, pour le récompenser, veut le pensionner. Rousseau, afin de rester libre, refuse. En 1754, il rédige son Discours sur l'origine de l'inégalité (il y dénonce la propriété comme source d'inégalité sociale), part à Genève, où il revient au protestantisme, puis s'installe au nord de Paris en forêt de Montmorency,- dans un pavillon, l'Ermitage, auprès de son amie Mme d'Épinay (avec laquelle il se brouille, pour s'être épris de sa belle-sœur). Il est alors reçu chez le maréchal de Luxembourg. Se croyant persécuté, il commence à s'éloigner de la plupart de ses amis. Il travaille d'arrache-pied à son œuvre, rédigeant l’Émile où il présente ses idées sur l'éducation, complété par Le Contrat social et La 'Nouvelle Héloïse (à la fois long roman sentimental épistolaire et hymne à la nature dont s'inspireront, entre autres, Chateaubriand, Lamartine, Mme de Staël et George Sand). Les deux ouvrages paraissent en 1762. L'Émile est condamné par le Parlement, ce qui l'oblige à s'enfuir en Suisse, où il reste cinq ans. En 1766, il embarque pour l'Angleterre où le philosophe David Hume l'invite. Mais il ne tarde pas à se fâcher avec son hôte et revient en France en 1768, s'installe dans le Dauphiné (à proximité de la frontière avec la Suisse et la Savoie), où il épouse sa fidèle Thérèse et herborise avec passion, tout en poursuivant la rédaction de ses Confessions. Paris lui manque ; il y retourne en 1770, en promettant de ne plus rien publier. Il survit, lui en copiant de la musique, Thérèse en faisant des travaux de couture. Il finit de rédiger ses Rêveries du promeneur solitaire et se contente de lire des passages des Confessions (publication posthume) dans les salons ou d'improviser des conférences dans les cafés du Palais-Royal. C'est désormais un vieillard bourru mais respecté pour son œuvre et pour les persécutions dont il a été l'objet. En juin 1778, le marquis de Girardin, l'un de ses admirateurs, qui a refait dessiner son parc d'Ermenonville selon les descriptions de La Nouvelle Héloïse, l'accueille dans sa propriété. Le 2 juillet, Rousseau se plaint de violentes douleurs à la tête et tombe de sa chaise, mort. Sa mort est attribuée, selon les uns, à un poison pris dans une tasse de café, préparé par lui-même, selon les autres, à un coup de pistolet qu'il se tire à la tempe ; mais le procès-verbal du décès, dressé par cinq médecins, établit, après l'autopsie, que Rousseau est mort d'une attaque d'apoplexie. Il est inhumé sur place. Ses cendres seront transférées au Panthéon en 1794. Méconnu, moqué de son vivant, Rousseau aura une revanche posthume éclatante : son influence sur la littérature européenne sera capitale. Il inspirera notamment les romantiques. Ses idées sociales et politiques seront, elles, reprises par les républicains au XIXe siècle. « Avec Rousseau, a dit Goethe, c'est un monde nouveau qui commence. »


Rousseau (Jean-Jacques), écrivain et philosophe suisse de langue française (Genève 1712 — Ermenonville 1778). Orphelin de mère dès sa naissance, mal élevé par un père capricieux et instable, après une jeunesse aventureuse et vagabonde, au cours de laquelle il touche à tout, il connaît la gloire avec son Discours sur les sciences et les arts (1750), couronné par l'académie de Dijon, son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) et son roman pédagogique Émile ou De l'éducation (1762). Il y enseigne que si « tout est bien sortant des mains de l'auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme » ; que l'éducation doit se fonder sur les qualités naturelles de l'enfant, mais que l'on ne doit rien précipiter : la pédagogie doit être fonctionnelle et s'adapter à chaque âge de l'enfance ; qu'il est un temps pour chaque acquisition. Son œuvre philosophique Du contrat social ou Principe du droit politique (1762) exerça une influence déterminante sur la Révolution française. Précurseur de la pédagogie moderne, il fut aussi le premier à livrer des Confessions (1782-1789) qui constituent une courageuse œuvre de psychologie en pre-mière personne et un document classique exposant sa mentalité de névrosé hypersensible.

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