PLATON
PLATON. En 399 av. J.-C., Socrate est condamné à boire la ciguë. L'Apologie de Socrate nous le montre face au tribunal que formaient cinq cents citoyens d'Athènes. Platon, né en 428, avait alors près de trente ans ; il était hors d'Athènes lors du procès et de la mort de celui qu'il tenait pour son maître depuis sept ans. La mort de Socrate, Athénien pauvre, marqua profondément Platon, grand aristocrate (il descend des anciens rois d'Athènes ; sa mère est une petite nièce de Solon ; son cousin Critias fut un des trente tyrans). La fin du Ve siècle voit l'effondrement d'Athènes devant Sparte (404) ; le IVe siècle sera l'ère des rois de Macédoine (Philippe, puis Alexandre). Platon est mêlé aux crises politiques ; ainsi, il s'installe plusieurs fois à Syracuse, espérant convertir à la philosophie le tyran Denys ; mais celui-ci l'emprisonne, le menace de mort. Avant cela, Platon avait voyagé en Égypte, à Cyrène. En 387, Platon fonde la première université philosophique (l'Académie) ; on y viendra de toute la Grèce, puis de tous les pays voisins. Après ses voyages malheureux à Syracuse (367 ; 361), Platon reste à Athènes jusqu'à sa mort (348) : il a alors quatre-vingts ans, et c'est le temps où Philippe de Macédoine est en train de vaincre définitivement Athènes. L'existence de Platon se déroule juste après le célèbre «Siècle de Périclès» ; ce dernier, pendant les trente ans de son pouvoir politique (de 460 à 429), fit d'Athènes une cité puissante militairement et resplendissante par sa civilisation et ses créations artistiques (Acropole). Au temps de Platon, Athènes reste la ville lumière du classicisme, mais ses ennemis l'ont subjuguée. Les rhéteurs, les sophistes vendent à prix d'or leurs leçons aux jeunes héritiers des grandes fortunes. En face, Socrate est pauvre ; il dialogue avec les artisans — mais aussi avec la jeunesse, et on l'accuse de corrompre celle-ci. Platon n'a pas simplement traversé ces temps troublés. Son génie, d'une puissance extraordinaire, s'exprime dans les œuvres immortelles que sont les dialogues, où il met souvent en scène un Socrate de plus en plus éloigné du personnage qui avait vécu, un Socrate qui fait découvrir les vérités platoniciennes, car il ne s'agit pas d'introduire des pensées dans l'âme, mais d'aider celle-ci à «accoucher». Accoucher de la vérité. Vérité qui est à la fois spéculative, pédagogique et politique. Car toutes les Idées vraies se tiennent, forment un système harmonieux, accessible à la dialectique. L'œuvre philosophique consiste à changer de vie, à se convertir, pour passer du chaos des opinions aveugles à la lumière des Idées. Ces Idées dérivent d'un principe absolu, divin, l'idée du Bien. Il faut entrer dans ce monde intelligible pour pouvoir fonder la «belle cité» (République) qui porte à la perfection et l'Athènes de Périclès, et la rude vigueur Spartiate. La belle cité sera une Harmonie politique, à laquelle correspond l'Harmonie de l'âme, la Mesure, la Beauté. Ce monde intelligible est immortel, ainsi que l'âme, qui lui est apparentée.
[caption id="attachment_1155" align="alignleft" width="199"] Platon[/caption]
Aristoclès, dit Platon à cause de sa large carrure, est le plus célèbre des philosophes grecs. Né à Athènes d'une famille aristocratique, le « divin Platon » - selon l'expression de ses commentateurs - est d'abord l’élève des sophistes et de Cratyle, disciple d'Héraclite avant de s'attacher à Socrate dès l'âge de vingt ans. Profondément marqué par l'injuste condamnation et la mort de son maître, Platon comprend que les États sont mal gouvernés et que, pour restaurer l'ordre et la justice, il convient de demander à la philosophie les fondements de la politique. Il entreprend alors un voyage en Égypte et en Grande Grèce (sud de l'Italie actuelle), où il rencontre les pythagoriciens. Il va en Sicile près de Denys l'Ancien, tyran de Syracuse, dans l'espoir de faire de cette cité un État gouverné par la philosophie. Expérience malheureuse, au terme de laquelle il revient à Athènes pour y fonder son école dans les jardins d'Académos (d'où le nom d'Académie). Après de nouvelles tentatives infructueuses à Syracuse auprès de Denys le Jeune, il passe à Athènes les dernières années de sa vie, entouré de ses disciples. Créateur du dialogue, véritable drame philosophique, Platon y incarne souvent sa pensée dans le personnage de Socrate, si bien qu'il est assez difficile de distinguer la doctrine du disciple de celle de son maître, qui n'a rien écrit. La rédaction de ses vingt-huit dialogues s'étale sur une quarantaine d'années : des premiers, dits « socratiques », aux dialogues de la maturité et de la vieillesse, la figure de Socrate s'idéalise tandis que se précise la théorie des « Idées » et que des problèmes plus concrets sont abordés dans les derniers textes.
♦ La métaphysique platonicienne de l'être distingue deux mondes : le monde sensible, celui de la multiplicité où se succèdent générations et corruptions ; situé entre l'être et le non-être, il est source d'illusions (allégorie de la Caverne) et sa réalité est d'emprunt car il ne trouve le principe de son existence que dans le monde véritable des Idées intelligibles, archétypes dont les objets sensibles ne sont que d'imparfaites copies. Les choses n'existent que par imitation et participation, et leur existence est le résultat de l’opération effectuée par un démiurge, ouvrier divin qui a donné une forme à la matière, elle-même incréée et éternelle (Timée]. Le monde intelligible est composé d'idées mathématiques (Cercle, Triangle) et d’idées « anhypothétiques » (Prudence, Justice, Beauté...) qui constituent entre elles un ordre harmonieux, un univers architectonique et hiérarchique grâce au principe unificateur de l’idée suprême, « source de l'être et de l'essence des autres Idées », qui est celle du Bien.
♦ Comment dépasser le monde des apparences et accéder à la connaissance des Idées ? Dans le Phèdre, Platon explique la chute de l’âme humaine qui, après avoir vécu dans le monde d'« en haut », est tombée dans celui du sensible en s'unissant à un corps. Cependant, à la vue des choses sensibles, l'âme est capable de rentrer en elle-même pour retrouver, à la manière d'un souvenir oublié, l'essence intelligible contemplée lors de son existence antérieure : c'est la théorie de la réminiscence, particulièrement illustrée dans le Ménon par l'interrogation d'un jeune esclave qui, guidé par les questions et remarques de Socrate, parvient à « retrouver » en lui une loi de géométrie qu'il n'a pourtant jamais « apprise ». L'art du dialogue et de la discussion, ou dialectique, permet ainsi à l'âme de s'élever des objets multiples et changeants au monde intelligible des Idées. Par cette dialectique ascendante, la pensée accède à la science en partant de l'opinion qui est la connaissance vulgaire, faite d'imagination et de croyance et mélange de vérité et d'erreur. Les mathématiques, science pythagoricienne des nombres et des figures, sont une propédeutique, car lorsqu'on les étudie « pour connaître et non point pour faire du négoce », elles peuvent « ouvrir l'âme [...] à la contemplation de la vérité », le degré supérieur du savoir, au terme de l'ascension dialectique, étant la connaissance intuitive des choses intelligibles.
♦ L'homme - qui appartient à deux mondes - doit s'affranchir du corps et vivre selon la vie de l'esprit, dont la nature est d'être immortelle comme le suggère la théorie de la réminiscence et tendent à le prouver les arguments du Phédon. Pour ce faire, l'homme a pour vocation de vivre d'une manière aussi parfaite que possible. Or la connaissance du bien évite de faire le mal - car « nul n'est méchant volontairement » - et la vertu, qui entraîne le bonheur véritable, consiste fondamentalement à faire régner la justice, c'est-à-dire l'harmonie dans l'âme quand la sensibilité se subordonne au cœur, lui-même soumis à la sagesse de la raison. Sur le plan collectif, le but de l'Etat est de gouverner une cité elle-même hiérarchisée de telle sorte qu'il conduise les citoyens à la vertu. Le communisme platonicien inspirera de nombreuses doctrines sociales et politiques depuis, notamment, les utopies de Thomas More et de Campanella jusqu'aux modernes doctrines socialistes qui subissent plus ou moins son influence. Plus généralement, Platon a exercé une action profonde sur l'ensemble de la pensée occidentale aussi bien dans le domaine de la théologie (juive, musulmane et chrétienne) que dans celui de la philosophie rationaliste dont il offre le premier grand modèle.
♦ Le Banquet
Ce dialogue, composé vers 384 avant J.-C., montre que l'accès à la vérité peut se faire par d'autres voies que la seule intelligence : il existe aussi une sorte de réminiscence du « cœur », qui permet de passer de la beauté sensible à la beauté parfaite de l'idée intelligible. Le poète Agathon donne chez lui un banquet pour fêter son premier succès théâtral. Les convives - dont Socrate - boivent, et chacun d'eux est invité à prononcer un discours en l'honneur du dieu Amour - notamment Aristophane qui développe le mythe de l'androgyne initial. À partir de l'éloge de la beauté, Socrate, quant à lui, va essayer de cerner la nature de l'amour en évitant la rhétorique pour s'en tenir à la vérité. Rapportant les paroles de Diotime, prêtresse de Mantinée, il affirme que l'amour est un « démon », intermédiaire entre les hommes et les dieux ; fils de Pauvreté - car désir de ce qui manque - et de Richesse - car « brave, résolu, ardent... plein de ressources » -, il cherche à posséder le bien et la félicité par des voies diverses, qui vont de la génération charnelle à l’activité la plus haute de l'esprit. Or la dialectique ascendante nous élève de l'amour des beaux corps à celui des belles âmes puis finalement à celui de la science. Désir d'immortalité et aspiration au Beau en soi, l'amour terrestre conduit à l'amour céleste. Tel est d'ailleurs le sens de l'amour dit « platonique », amour véritable selon la démarche du Banquet. L'importance de ce dialogue - l'un des plus beaux - ne s’est pas démentie au cours des siècles à travers l’histoire de la philosophie : on en trouve, par exemple, un écho dans la doctrine chrétienne de saint Augustin si, comme le pense cet auteur, tout amour signifie secrètement amour de Dieu.
♦ Phédon, ou De l'âme
L'entretien se déroule dans la cellule où Socrate attend la mort. Comme il affirme qu'un vrai philosophe ne saurait craindre la mort, il est invité par les assistants à démontrer l'immortalité de l'âme. Quatre arguments sont développés. Le premier s'appuie sur l'existence des contraires : dans le devenir permanent des choses, il semble qu'on ne puisse en connaître une (par exemple, le sommeil) qu’en prenant appui sur l'opposée (la veille) ; puisque « mourir » indique le passage de la vie à la mort, il est logique de penser que « renaître » signale inversement le passage de la mort à la vie. Si l'âme renaît, c'est que la métempsycose est une réalité. Le second argument tire parti de la connaissance des idées définie comme « souvenir ». Dans le monde sensible, nous pouvons être en présence d'objets beaux, mais non de la Beauté ; c'est pourtant à travers les premiers que nous appréhendons celle-ci, dont l'évocation renvoie nécessairement à un moment de vie extra terrestre au cours duquel notre âme a pu se trouver en contact direct avec sa pureté. Troisième argument : tout ce qui existe peut être classé en deux catégories ; d’un côté ce qui est composé (donc, décomposable) appartient à la matière ; de l'autre ce qui est simple (donc indécomposable) participe de l'intelligible. Telle est l'âme. Comme Cébès fait remarquer que Socrate a bien établi que l'âme peut passer d'un corps à un autre, mais non qu'elle est à proprement parler immortelle, Socrate lui répond par un long développement sur la théorie des Idées, au terme duquel il apparaît que l'âme est incompatible avec la mort parce qu'elle fait partie des éléments qui ne peuvent changer de nature. La fin du dialogue est consacrée à une longue évocation de l'au-delà et du destin qu'y peuvent connaître les âmes : les plus parfaites s'élèvent vers un monde supérieur, les coupables stagnent dans les régions souterraines. Les dernières paroles de Socrate sont pour rappeler qu’il doit un coq à Asclépios - indiquant symboliquement par là qu'il convient de remercier le dieu de l'avoir libéré de la maladie de la vie.
♦ République, ou De la justice
Dialogue en dix livres, écrit sur plusieurs années (entre 389 et 369), c'est le principal ouvrage de philosophie politique de Platon. Socrate commence par évoquer la définition de la justice donnée par le poète Simonide : « dire la vérité et donner à chacun son dû » ; c’est pour en contester la pertinence, car on serait amené à nuire à ses ennemis, donc à les rendre plus méchants et encore plus injustes. Il écarte également la définition du sophiste Thrasymaque, pour lequel le « juste » est ce qui profite au plus fort. On en vient alors à examiner la nature de l’État juste - « l’homme en plus grand ». Fondé sur la communauté des biens et des femmes (les unions ne sont pas livrées aux caprices individuels, mais dictées par des considérations eugéniques), soumis à une saine pauvreté et donc ennemi du luxe, cet État idéal verra régner en son sein une harmonie qui sera l'expression d'un ordre hiérarchique et d'une séparation rigoureuse entre ses trois classes sociales constitutives - philosophes dirigeants, soldats, artisans -à l'image de l'équilibre qui doit régner entre les trois parties de l'âme individuelle. On notera que la classe inférieure échappe au collectivisme dans la mesure où elle n’en comprendrait pas la justification. À la tête de l’État, il convient de placer les meilleurs, d'où la nécessité d'une longue éducation qui leur permette d'accéder à la connaissance philosophique du Bien, qui répand la lumière du vrai à la manière du soleil illuminant les choses (allégorie de la Caverne). L'injustice altère plus ou moins toutes les autres formes d'Etat : la timocratie (violence et ambition), l’oligarchie (soif de richesses), la démocratie (appétits sans frein et dictature de la foule) et enfin la tyrannie, le tyran étant lui-même esclave de ses passions et donc soumis à l'injustice. La sanction de la justice se situe dans la vie future, ainsi que le décrit le mythe d'Er : après avoir subi le châtiment ou éprouvé la joie qu'elles méritent, les âmes se réincarnent, ayant perdu le souvenir de leur vie passée.
Liste des autres dialogues (dans la chronologie proposée par Robin et Moreau) : Hippias majeur ; Hippias mineur ; Ion; Protagoras ; Apologie de Socrate ; Criton ; Alcibiade ; Charmidès ; Lâchés ; Lysis ; Euthyphron ; Gorgias, Ménexène ; Ménon ; Euthydème ; Cratyle ; Phèdre ; Théétète ; Parménide ; Le Sophiste ; Le Politique ; Critias ; Philèbe ; Les Lois.
PLATON (de son vrai nom Aristoclès, dit Platon, qui signifie « aux larges épaules »), philosophe grec (Athènes 428 - id. 348-347 av. J.-C.). D'origine aristocratique, il est l'élève de Cratyle, disciple d'Héraclite, avant d'être marqué par l'extraordinaire figure de Socrate. La condamnation de Socrate (399) l'éloigne de la vie politique «athénienne. Il voyage en Sicile, fait quelques expériences politiques malheureuses, puis revient à Athènes où il fonde l'Académie (387). L'œuvre de Platon se compose de 28 Dialogues, dont deux ont les proportions de véritables traités (la République et les Lois), et de lettres, dont la septième et la huitième racontent l'aventure politique de Platon en Sicile. Faute de pouvoir les dater exactement, on les classe en trois groupes, correspondant à trois étapes de sa pensée : 1° les dialogues de jeunesse (Apologie de Socrate, Criton, Gorgias), qui correspondent à la période socratique. La méthode d'interrogation, ou « maïeutique », montre à l'interlocuteur qu'il est capable de tirer de lui-même la connaissance du vrai. Elle vise en général à mettre l'interlocuteur en contradiction avec lui-même et à démontrer aux poètes, politiciens, etc., qu'ils ne connaissent pas l'essence de la poésie, de la politique. C'est l'« ironie socratique ». Cette méthode, plus critique que constructive, définit la période des dialogues « aporétiques » (qui posent un problème, détruisent les opinions fausses, mais n'aboutissent pas finalement à une solution positive); 2° les dialogues de maturité, qui fournissent l'apport original de Platon par rapport à la méthode socratique, la théorie des « idées » (Phédon, le Banquet, la République). Toute connaissance du vrai ne fait que reproduire un ensemble d'idées, qui sont les modèles intelligibles de tout rapport intellectuel : par exemple, quand je dis que Socrate est plus grand que Phédon et plus petit que Théétète, je vois que l'idée de « grandeur », appliquée aux objets du monde, n'est qu'une idée relative. D'où vient, demande Platon, en elle-même l'idée de la grandeur? Elle ne peut avoir d'existence dans le monde sensible, mais dans un monde que Platon nomme le « monde intelligible ». La doctrine de Platon se présente alors comme un idéalisme objectif; 3° les derniers dialogues, où Platon découvre les insuffisances de la première théorie des idées et tente d'y remédier : le problème central de cette troisième période n'est plus celui du fondement de notre connaissance (deuxième période), mais celui du rapport ou de la « participation » des idées au monde sensible. Ces derniers dialogues (le Sophiste, Parménide, le Politique, Philèbe, Timée) sont les plus difficiles, les plus abstraits et aussi les plus profonds. — Par sa théorie rationaliste de la connaissance et par sa théorie morale du salut, Platon est considéré comme le père de toute la philosophie occidentale.
Platon, philosophe (Athènes 428-347 av. J.-C.). Il était le fils d’Ariston et de Périctioné. Son vrai nom était Aristoclès, mais la largeur de ses épaules l'avait fait surnommer Platon. Il reçut une éducation des plus soignées et s’exerça d’abord à la tragédie et à la poésie. À vingt ans, il s’attacha à Socrate, brûla ses écrits et s’adonna à l’étude de la philosophie avec passion. Il resta auprès de Socrate jusqu’à la mort de ce dernier (399), puis il se rendit à Mégare, où il étudia sous Euclide le dialecticien, voyagea en Égypte (v. 396), en Sicile (v. 390), où il vécut à la cour de Denys de Syracuse, et peut-être en Asie Mineure et en Crète. Il visita aussi l’Italie du Sud, où il connut le pythagorisme avec Archytas de Tarente. Il eut des démêlés avec Denys de Syracuse, qui l’aurait fait vendre comme esclave, et il fut racheté par Dion, mais cette tradition est sujette à caution. De retour à Athènes v. 387, il commença à enseigner la philosophie dans les jardins de l’Académie. Appelé par Dion, il revint en Sicile en 367, mais, Dion ayant été exilé par Denys le jeune, il rentra à Athènes (365), puis retourna une nouvelle fois auprès de Denys dans l’espoir de faire rappeler Dion (361). Il rentra déçu, pour ne plus quitter sa patrie. Il légua sa fortune et la direction de l’Académie à son neveu et disciple Speusippe.
Il étudia les mathématiques et la philosophie avec Ammonios, qui enseignait à Delphes. Il voyagea ensuite en Grèce et en Egypte puis il s’installa à Rome à l’époque de Domitien et y ouvrit une école. L’empereur Trajan, qui l’admirait, lui conféra la charge de consul et lui donna ensuite le gouvernement de l’Illyrie. Après la mort de cet empereur (117), Plutarque se retira dans sa ville natale où il termina ses jours. Il a laissé un nombre considérable de traités de caractère moral, et un précieux ouvrage sur Isis et Osiris dans lequel il a accumulé toute la tradition concernant ce mythe égyptien. Néanmoins, son œuvre capitale et qui a assuré sa célébrité en histoire est sa série de Vies parallèles où il nous a conservé de très précieux renseignements sur quelques-uns des hommes politiques les plus célèbres de la Grèce et de Rome.
PLATON. Le plus grand philosophe de l’Antiquité, et sans doute aussi de tous les temps, est né peu après la mort de Périclès, vers 427 avant l’ère chrétienne, dans une famille de l’aristocratie athénienne : son père, Ariston, passait pour descendre de Codros, le dernier roi d’Athènes; sa mère, Périctioné, descendait de Dropide, ami et parent du sage Solon, le législateur d’Athènes; elle était cousine germaine de Critias, qui fut un des trente tyrans, et sœur de Charmide, qui fut un des commissaires du Pirée. Cette noble origine, ces relations paraissaient devoir destiner Platon à la politique. Par ailleurs il s’était initié aux arts, et il allait participer aux concours de tragédie quand, à vingt ans, après avoir été initié à la philosophie par Cratyle, un héraclitéen, il devint disciple de Socrate. Celui-ci lui montra l’ignorance des gens qui se prétendaient compétents, et la valeur essentielle de l’action morale; il lui enseigna que la vertu est la connaissance et le vice ignorance; et que la politique exige une préparation comme toute autre activité. Platon ne devait plus se séparer de lui jusqu’au procès et a la mort du maître, huit ans plus tard (399). A ce moment, écœuré par les crimes commis par les différents partis qui s’étaient succédé au pouvoir, il rejoignit à Mégare un autre élève de Socrate, Euclide. Par la suite il entreprit un grand voyage au cours duquel il visita l’antique Égypte, Cyrène, où il rencontra entre autres le mathématicien Théodore, l’Italie du Sud, où il se lia avec Archytas de Tarente, homme politique et savant pythagoricien, enfin syracuse, où il devint l’ami de Dion, beau-frère de Denys l’Ancien. Le tyran, outré que Platon ait osé lui faire la leçon, chargea l’ambassadeur de Sparte de le vendre comme esclave à Égine; mais il eut la chance d’y être reconnu par un de ses amis de Cyrène, Annicéris, qui le racheta et le libéra. Rentré à Athènes vers 387, à quarante ans environ, il y fonda son école, l’Académie, ainsi nommée du nom du jardin où il l’installa. C’est le premier Institut d’enseignement supérieur que nous connaissions. On y poursuivait des recherches scientifiques; l'enseignement des sciences exactes y préparait à l’étude de la philosophie considérée en elle-même; et dans ses applications à la politique; il s’y forma des philosophes — comme Aristote, qui y passa vingt ans — et de nombreux hommes d’État. Plus ou moins transformée dans son esprit, mais toujours fidèle au souvenir de son fondateur, l’école devait subsister pendant neuf siècles, jusqu’au règne de Justinien. Malgré le succès qu’elle connut, Platon n’hésita point vingt ans plus tard, quand mourut Denys l’Ancien, vers 367, à retourner à Syracuse, où l’appelait Dion, dans l’espoir de faire de Denys le Jeune un réformateur capable de réaliser son rêve d’une politique fondée sur la philosophie; mais le tyran exila Dion, et, flattant Platon sans l’écouter, le retint plus longtemps qu’il n’aurait voulu. Platon y revint pourtant une troisième fois, en 361, à soixante-dix ans, mais sans plus de succès; Archytas dut même envoyer de Tarente un vaisseau de guerre pour libérer le philosophe. Platon vécut assez pour voir Denys renversé par Dion en 357, et Dion assassiné par un de ses compagnons en 354. Il mourut octogénaire, vers 347, alors qu’il travaillait à son dernier livre, les Lois — les lois de la Syracuse idéale. Platon désigna pour lui succéder à la tête de l’Académie son neveu Speusippe, fils de sa sœur Potonè. Aristote, déçu, partit pour l’Asie, avant de revenir, plus tard, à Athènes et d’y fonder au Lycée une école rivale de l’Académie. Disciple de Socrate, qui n’avait rien écrit, s’en tenant à l’action qu’il exerçait par ses paroles, Platon préférait de beaucoup la conversation dialoguée, où les questions du maître orientent les réactions des interlocuteurs, à la rédaction d’œuvres écrites, que le lecteur risque d’interpréter à contresens, sans que l’auteur puisse redresser ses erreurs; et il savait combien il vaut mieux trouver la vérité par soi-même, avec l’aide d’un bon guide, que la recevoir toute faite, passivement. Aristote fait allusion à plusieurs reprises aux « doctrines non écrites » de son maître. Pourtant Platon a beaucoup écrit; et, chose rare pour un auteur antique, son œuvre nous est parvenue tout entière — et même enrichie de quelques apocryphes ! Mais sauf dans ses tout derniers ouvrages, le Timée et les Lois, où il nous livre ses conceptions cosmologiques, physiques, biologiques, juridiques, théologiques (dans une certaine mesure tout au moins), il ne nous a pas donné d’exposé systématique de sa doctrine. Toutes ses œuvres sont des dialogues qui se proposent souvent de faire revivre l'enseignement de Socrate, tel que Platon le comprend et le prolonge. A plusieurs reprises, on les voit se terminer par un aveu d’ignorance : il s’agit avant tout pour Platon de « former » son lecteur, de le « purger » de ses préjugés contradictoires pour l’élever ensuite progressivement du sensible à l’intelligible, en n’hésitant pas à faire les « détours » nécessaires, de manière à le rendre capable de fonder son action sur des principes stables et valides, en accord avec la nature profonde du réel. De telles préoccupations commandent la structure des dialogues. La collection de ceux qui sont considérés comme authentiques en comprend une trentaine, vingt-huit exactement, d’inégale longueur. Plusieurs des plus importants et des plus longs, République, Politique, Lois, sont consacres au problème de la cité. Au cours du dernier siècle, les érudits se sont efforcés de grouper ces œuvres dans l’ordre chronologique. On attribue généralement à la période de jeunesse des œuvres où l’on voit Socrate montrer à ses interlocuteurs leur incapacité à définir les notions les plus essentielles en morale, telles que la vertu et les vertus, par exemple Charmide, Lâchés, Lysis, Protagoras, ou à un rhapsode son incapacité à bien juger de la poésie, — v. Ion. On place ensuite les œuvres relatives au procès et à la détention de Socrate : Apologie de Socrate, Criton . On rattache à la période de maturité le Gorgias, critique d’une rhétorique qui ne se fonde pas sur la préoccupation de la justice, le Ménon, qui examine si la vertu peut s’enseigner, et quelle est la nature de l’opinion vraie; le Cratyle, qui traite des origines du langage; le Banquet, sur le Beau et l’Amour, le Phédon, sur l’immortalité de l’âme et la mort de Socrate, la République (de la justice et de l’organisation de l’Etat idéal). Viennent ensuite, introduits par le Phèdre, qui traite de la vraie rhétorique, un groupe de dialogues métaphysiques : Théétète, Parménide, Sophiste, qui s’achève par le Politique, et que devait prolonger, d’après les indications mêmes de Platon, un dialogue sur le Philosophe qui n’a pas été écrit. Les dialogues de vieillesse comprennent le Philèbe (du plaisir et de la méthode), le Timée (cosmologie et anthropologie), un dialogue inachevé (sur l’Athènes préhistorique) : le Critias et les Lois. Mais chacune de ces œuvres aborde en outre bien des questions; elles gardent la variété et la spontanéité d’une conversation qui fait alterner les scènes les plus vivantes avec les analyses les plus rigoureuses, les plus minutieuses, les plus arides parfois, comme avec les allégories et les mythes imagés chargés de suggérer l’inexprimable. Pour bien comprendre la doctrine de Platon il faut se représenter la crise morale et politique que traversait Athènes au temps de la terrible guerre du Péloponnèse, et dans la période qui suivit. Crise morale : toutes les idées sur lesquelles avaient vécu les cités grecques étaient ébranlées par la critique des sophistes, dont le relativisme — s’il avait le mérite de mettre en cause les préjugés favorables à l’esclavage, par exemple — ouvrait par ailleurs la voie à un amoralisme sans scrupule. Il fallait rendre prestige et valeur à la notion de juste, où l’on ne voyait plus que l’intérêt du plus fort, à la notion de loi, sans laquelle il n’est pas d’esprit civique. Il fallait leur donner ce que nous appellerions un fondement métaphysique, atteindre des principes stables, au-delà de ce flux universel des choses qui passent, sur lequel Aristote nous dit que l’héraclitéen Cratyle avait attiré l’attention du jeune Platon avant même qu’il eût rencontré Socrate. Crise politique aussi : méditant sur les révolutions grecques, Platon y voyait une chute sans fin de formes meilleures en formes pires; il a tracé en termes inoubliables le tableau de ce déclin dans la République, aux livres VIII et IX, montrant comment se succèdent ce qu’il appelle aristocratie, timocratie ou régime militaire, oligarchie, démocratie, tyrannie enfin, le régime le plus arbitraire de tous. Il fallait remonter la pente, établir les plans de cette cité idéale qu’il n’a jamais renoncé à réaliser. Ici encore il fallait instituer un ordre fondé dans l’absolu. Or Platon avait éprouvé, en voyant vivre et mourir Socrate, la grandeur des valeurs morales qui commandaient ses actions, et le sens de la vertu qui consistait, selon lui, dans la connaissance du bien, ainsi que l’intérêt que présentait la définition des vertus et l’étude de leurs rapports. D’autre part, au contact de Théodore de Cyrène et surtout d’Archytas de Tarente, il avait compris que les essences mathématiques sont indépendantes des figures qui les matérialisent, et que leur étude nous initie à un ordre de connaissances supérieur au domaine du sensible, qu’il s’agisse de l’arithmétique, de la géométrie, de l’acoustique ou de l’astronomie (voir République, livre VII); aussi nous dit-on qu’il interdisait l’entrée de son école à quiconque était dépourvu de culture mathématique, et plusieurs de ses élèves — notamment Théétete — y élaborèrent une partie importante de la géométrie dans l’espace, notamment la théorie des solides réguliers, que l’on appelle encore parfois les solides platoniciens, et dont il est question dans le Timée. Par ailleurs il estimait qu’une formation mathématique était aussi nécessaire au politique qu’au philosophe. D’autre part encore on voit dans le Banquet comment les valeurs esthétiques apportent également la révélation d’essences idéales à celui qui sait dégager de la jouissance des belles choses l’intuition de la beauté (« dialectique de l’amour »). Et enfin la structure des êtres vivants ou des objets fabriqués par nos techniques donne aussi l’exemple de ce que nous appellerions des types ou des prototypes, des formes qui imposent un ordre aux matériaux qui les composent; notion qu’Aristote devait reprendre et qui, sous son second aspect, lui paraît peu platonicienne, contrairement au témoignage de Platon lui-même. Ces valeurs, ces essences, ces structures sont plus réelles aux yeux de Platon que les phénomènes sensibles, qui n’en sont que les ombres (mythe de la caverne). Elles constituent ce que Platon appelle le monde des Idées ou des Formes intelligibles, dont l’étude est le domaine de la dialectique. Alors que la géométrie se contente de rattacher — comme le fera Euclide — les théorèmes à un certain nombre d’axiomes, la dialectique doit remonter plus haut encore, et s’élever d’idée en Idée jusqu’à un fondement inconditionnel, principe de l’être et du connaître : l’idée du Bien, dont Platon compare le rôle par rapport au monde intelligible à celui du soleil dans le monde sensible (République, livre VI, fin). Comment l’homme connaît-il ces Idées ? Une réponse symbolique à cette question est donnée par la théorie, d’origine pythagoricienne, de la « réminiscence », selon laquelle acquérir un savoir, c’est se ressouvenir de ce que l’on avait contemplé dans une vie antérieure; elle est illustrée par l’exemple du jeune esclave de Ménon, qui ignore tout de la géométrie, et à qui Socrate fait pourtant découvrir de lui-même, en l’aidant seulement de ses questions, que c’est sur la diagonale que se construit le carré double d’un carré donné. Le Phèdre donne une image mythique célèbre des âmes qui, avant la naissance, parcourent la voûte du ciel, montées chacune sur un char; celles qui sont pourvues du meilleur attelage peuvent jeter un coup d’œil sur les espaces hypercélestes où résident les Idées. Qui a vu ainsi, avant de naître, l’idée du Beau, se la rappelle en présence des êtres ou des objets beaux; à ce souvenir il se trouble, et c’est ainsi que Platon explique le délire d’amour. Le lien établi de la sorte entre la notion d’idée et la notion d’Ame est approfondi dans le Phédon, dont le mythe final, comme ceux du Gorgias et du livre X de la République, expose le sort de l’âme après la mort, les récompenses et les sanctions d outre-tombe; le plus grand châtiment de l’âme injuste étant fa mauvaise qualité qu’elle a acquise par les actions mêmes qui ont pu lui procurer une fortune de mauvais aloi. Platon en arrive ainsi à soutenir ce paradoxe qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre et que, quand on l’a commise, expier est préférable à ne pas expier. Ainsi se trouvent renversées les notions courantes dans la morale populaire de son temps. Non moins radicales sont les solutions que Platon apporte à la crise politique. Il renonce à constituer un Etat meilleur avec les citoyens adultes, qu’il considère comme irrémédiablement corrompus; mais que l’on confie les jeunes à des éducateurs philosophes, et il sera possible de redresser la situation. La République trace tout un programme d’enseignement et de sélections successives, permettant de former garçons et filles, car Platon proteste contre le rang inférieur que réservait aux femmes la cite grecque. Il s’agissait de choisir les meilleurs et les meilleures pour en faire les gardiens et les gouvernants, qui, après une formation musicale et sportive, devaient être initiés successivement aux sciences exactes, à la théorie des Idées, à la notion du Bien. A trente-cinq ans seulement ils devaient entrer en fonctions, et pour quinze ans. Platon prescrit qu’ils vivent en commun, sans aucune possession personnelle; nous serions tentés de dire : comme les membres d’un ordre religieux. Suivent des prescriptions que Platon lui-même n’énonce pas sans prendre quelques précautions verbales : pour atteindre une union plus parfaite, pour faire de la cité tout entière une grande famille, il renonce en effet à leur accorder une famille privée; le gouvernement trouvera moyen d’unir les meilleurs aux meilleures, et leurs enfants seront élevés en commun dans des sortes de crèches. C’est la fameuse communauté dite des femmes et des enfants, qui comporte en réalité une réglementation des unions par l’Etat; une même génération, ou plutôt une même promotion d’adultes considérant indistinctement une même génération d’enfants comme les siens, et réciproquement étant traitée par eux en parents. Platon consacra encore à la politique deux ouvrages importants : le Politique, où il montre comment l’initiative de l’homme d’Etat digne de ce nom sera supérieure à l’immutabilité figée des lois, dans un monde abandonné à son inertie par le dieu qui le dirige; et enfin les Lois, œuvre considérable et inachevée de sa vieillesse, qui revient à la recherche d’une stabilité échappant à la décadence. Platon y tient compte davantage du fait que les hommes ne sont que des hommes et non des dieux. Certes, si les hommes étaient plus parfaits, il ne serait pas besoin de lois pour les diriger, et l’élimination de la propriété individuelle est toujours considérée par lui comme un idéal unissant les hommes dans la joie d’une vie commune. Mais l’imperfection humaine est telle qu’il faut préférer au type le meilleur de constitution un second type moins parfait, mais plus réalisable; et Platon se proposait d’en tracer un troisième, plus accessible encore, qu’il n’eut pas le temps de dessiner. Celui que proposent les Lois reste très théorique, avec sa division de la Cité en cinq mille quarante familles, réparties en quatre classes, dont les fortunes ne devaient pas différer plus que du simple au quadruple. Il sert de cadre à une étude approfondie de l’organisation économique, politique, juridique, éducative et religieuse. Ce qui a le plus attiré l’attention en ces derniers temps est le caractère autoritaire de ce régime intolérant, où un sort terrible est réservé aux incroyants. Nous ne pouvons exposer ici les théories platoniciennes de la nature, ni le contenu des grands dialogues métaphysiques de la période de vieillesse — v. l’analyse de chaque dialogue dans le Dictionnaire des Œuvres. Indiquons seulement que Platon a fait lui-même dans le Parménide la plus vive critique qu’on ait jamais présentée de sa propre théorie des Idées; et qu’on trouve, dans les dernières œuvres, de nouveaux aspects de sa conception de la dialectique, et les principes d’une classification dichotomique des espèces. On voit assez, par tout ce qui précède, la richesse d’une œuvre qui a été à travers les siècles une source permanente d’inspiration et qui, sur de nombreux points, a encore beaucoup à nous apprendre, bien que d’autres passages suscitent encore de nos jours de très vives critiques, qui montrent à quel point elle est restée vivante.
Antiquité. ♦ « Si Platon sépara du monde sensible l’un et les nombres, et s’il introduisit les Idées, c’est à cause de son intérêt pour les modes d’expression. Ses prédécesseurs, en effet, ne connaissaient pas la dialectique. » Aristote. Platon, ce Dieu nôtre... ennemi de la rhétorique et cependant le plus éloquent des écrivains. » Cicéron. ♦ « Platon, l'homme le plus sage et le plus savant de son temps, qui a parlé de telle sorte que tout ce qu ’il disait devenait grand, et qui a dit des choses qui, de quelque manière qu’elles fussent dites, ne pouvaient devenir de petites choses... Il suffirait de lui retrancher quelques mots pour en faire un chrétien. » Saint Augustin. XIVe-XVIe siècle. ♦ «Platon parle d’une pureté qui n’est pas de ce monde, ni hors du monde, qui n’est ni dans le temps ni dans l’éternité, qui n’a ni dehors ni dedans. » Maître Eckhart. ♦ « Aristote a pour lui la quantité, Platon la qualité. » Pétrarque. ♦ « J’ai traduit Platon, persuadé qu’en rendant à la lumière cette théologie, les péripatéticiens, c’est-à-dire presque tous les philosophes, comprendraient qu’on ne doit pas traiter la religion comme des contes de bonne femme. » Marsile Ficin. ♦ « La licence du temps m'excusera-t-elle de cette sacrilège audace d’estimer aussi traisnants les dialogismes de Platon mesme, estouffont par trop sa matière, et de plaindre le temps que met à ces longues interlocutions vaines et préparatoires un homme qui avait tant de meilleures choses à dire. » Montaigne. XVIIe-XVIIIe siècle. ♦ « On ne s’imagine Platon et Aristote qu’avec de grandes robes de pédants. C’étaient des gens honnêtes et, comme les autres, riant avec leurs amis; et quand ils se sont divertis à faire leurs Lois et leur Politique, ils l’ont fait en se jouant; c’était la partie la moins philosophique et la moins sérieuse de leur vie, la plus philosophique était de vivre simplement et tranquillement. » Pascal. ♦ « Un homme qui saurait tout Platon et qui ne saurait que Platon, saurait peu et mal... La réputation qu’eut Platon ne m’étonne pas : tous les philosophes étaient intelligibles; il l’était autant que les autres et s’exprimait avec plus d’éloquence. » Voltaire. ♦ « Il y a plus à profiter pour un esprit supérieur dans une page de cet auteur que dans mille volumes de critique... Parle-t-il de l’harmonie générale de l’univers, celui qui en fut l’auteur emprunterait sa langue et ses idées. » Diderot. ♦ « La véritable philosophie des amants est celle de Platon; durant le charme, ils n ’en ont jamais d ’autre. Un homme ému ne peut quitter ce philosophe; un lecteur froid ne peut le souffrir. » J.-J. Rousseau. XIXe siècle. ♦ « Au lieu, comme Socrate, de soumettre uniquement l’activité morale à la subjectivité de la raison, Platon lui subsume la réalité tout entière. Pour la première fois, la philosophie prend la forme d’une science spéculative... Au principe de toutes choses, il y a l’Universel ou Idée... [mais] Platon ne conçoit cette participation à l’Universel qu’à travers la destruction de l’individuel. C’est là le défaut de la dialectique platonicienne et aussi de la philosophie pratique. Il faudra attendre le christianisme pour que l’individu soit rétabli dans ses droits. » Hegel. ♦ « N’est-ce pas singulier que Platon dans La République veuille en faire expulser les «poètes», il les attaque ailleurs assez souvent... et pourtant il était lui-même un poète, ou un penseur avec un penchant prépondérant de poésie. Et puis cette étrangeté encore que ce stade chez lui n’est pas antérieur et qu’ainsi l’éthique — le décisif — vienne en dernier. Non hélas ! c ’est tout le contraire... C’est une réminiscence de' Socrate qui était, lui, effectivement, le moraliste et avait raison de vouloir chasser le « poète ». A la génération qui suit, celle de Platon, nous en sommes à l’étape où c’est Platon le poète qui veut supprimer « le poète » et c ’est pure fantaisie poétique chez lui que de vouloir le supprimer, tant il y a eu recul depuis Socrate. » Kierkegaard. ♦ « Ma méfiance de Platon va toujours plus au fond : je trouve qu’il a dévié de tous les instincts fondamentaux des Hellènes, je le trouve si imprégné de morale, si chrétien avant la lettre — il donna déjà l’idée du « bien » comme idée supérieure —, que je suis tenté d’employer à l’égard de tout le phénomène Platon, plutôt que toute autre épithète, celle de haute fumisterie, ou, si l’on préfère, d’idéalisme. » Nietzsche. XXe siècle. ♦ « La pensée chrétienne ne nous tient que trop... et il est bon de savoir, par lecture familière, qu’un Platon s’est élevé à la grandeur morale sans reproche, à la forte dialectique, à la grande poésie, par la seule puissance d’une Raison qui ne devait aucun respect à une foi quelconque; ici la religion a pris sans effet la forme d ’un mythe, illustrant seulement les preuves, au lieu d’accoutumer aux arguments de prédicateur, comme il arrive chez nous. » Alain. ♦ « La philosophie de Platon est avant tout un continuel retour du philosophe sur lui-même, une philosophie du philosophe où la philosophie se prend elle-même comme objet, une conscience philosophique réfléchissante, dans laquelle l’expérience philosophique apparaît sous des formes toujours nouvelles. Dans ce sens, la philosophie ne peut aucunement être conçue comme étant telle philosophie déterminée, mais bien comme l’exercice de la philosophie. Aussi vaudrait-il mieux s’abstenir de parler d’une philosophie platonicienne, voire d’un système de Platon, mais s’en tenir à une manière de philosopher propre à Platon, ou mieux encore à l’exercice de la philosophie en général, tel que Platon le comprend et l’enseigne.» B. Groethuysen. C’est une tradition que Platon aurait brûlé ses écrits poétiques et des ébauches de tragédie lorsqu’il se fut définitivement attaché à Socrate. La crise de son adolescence fut donc une crise du langage. Pendant toute sa vie ensuite, il ne fera que chercher la vérité hors de la poésie et de la rhétorique, parce qu’il les accusera de légèreté et de mensonge. La philosophie sera pour lui l’antidote de la rhétorique comme la religion vingt-deux siècles plus tard pour Racine, et de nos jours le travail pour Rimbaud. » B. Parain.
Platon (427-347 av. J.-C.) ; philosophe grec.
Aristoclès (Platon est un surnom) appartient à une famille aristocratique athénienne : par son père, il remonte à Codros, dernier roi d’Athènes ; par sa mère à Solon. Son éducation, ses relations et ses goûts l’auraient dirigé vers une carrière politique, s’il n’avait été convaincu de l’inutilité de l’action politique dans sa ville natale par le destin de son maître, Socrate, auquel il s’attache vers vingt ans. Mais P. est absent lors de la mort de celui qu’il considère comme le Sage, l’inspiré (399). Que son maître soit prêt à affronter la mort pour satisfaire son commandement divin de respect de la loi - quoique celle-ci soit manipulée - émeut le jeune homme qui s’impose, comme d’autres disciples, des obligations pour le reste de sa vie. Il quitte Athènes, s’installe à Mégare, voyage peut-être en Égypte et en Cyrénaïque, puis se rend vers 388 en Grande-Grèce et en Sicile. Au cours de ce voyage, il noue des liens avec des disciples de Pythagore (notamment avec Archytas de Tarente, mathématicien et stratège, modèle à ses yeux du philosophe-gouvernant) et avec Dion, beau-frère de Denys l’Ancien qui règne sur Syracuse et qu’il rencontre. Chassé de cette ville, P. aurait été capturé par des pirates et prisonnier (esclave ?) à Égine. Un citoyen de Cyrène qu’il connaissait paie sa rançon (ou le rachète), lui permettant ainsi de rejoindre Athènes où il achète un domaine, à six kilomètres au nord-ouest du centre de la ville, près des jardins du héros Académos (387). C’est là qu’il fonde sa propre école, la future « Académie », sous la forme d’une communauté religieuse. Au fronton, l’inscription : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre. » Organisée comme une université, avec un règlement, des logements destinés aux étudiants, des salles de cours, une bibliothèque, des séminaires spécialisés, cette école connaît rapidement un brillant succès. Là, P. réunit autour de lui un groupe d’élèves qui travaillent de manière très autonome. Parmi eux, des savants (Théaitetos d’Athènes, Eudoxe de Cnide pour les mathématiciens), des philosophes (Aristote, Xénocrate), des futurs hommes politiques (Chabrias, Pho-cion). Dans ce centre de recherches, commencent à se différencier les disciplines (logique, éthique, physique) de la philosophie. Cependant la formation approfondie que reçoivent les élèves vise avant tout à les préparer aux fonctions politiques. Selon P., seul un philosophe peut être à la hauteur des tâches politiques et éthiques. S’il refuse de passer à la mise en pratique de ses idées, il y encourage ses disciples. Après la mort de Denys Ier, lorsque Dion juge opportun de profiter du nouveau règne pour mettre en oeuvre le gouvernement des philosophes, P. accepte de venir en 367 à Syracuse comme précepteur et conseiller de Denys le Jeune. Déception : ni la personnalité du nouveau souverain, qui ne tarde pas à rompre avec Dion et à l’exiler, ni les lois propres à la politique ne se concilient avec les efforts de P., qui retourne à Athènes. Six ans plus tard, P. cède à la demande de Denys II, peut-être dans l’espoir que le souverain tiendrait sa promesse de réhabiliter Dion. Ce troisième séjour à Syracuse (361) se transforme en une sorte de mise aux arrêts dans une forteresse, dont P. ne réchappe que sur l’intervention d’Archytas de Tarente. Quant à Dion, il s’empare de Syracuse par surprise (357), y instaure une dictature mais meurt assassiné par Callippe, un de ses partisans, lui-même élève de P. Chef vénéré de son école, P. poursuit alors son enseignement à Athènes jusqu’à sa mort (v. 347) alors qu’il rédigeait les douze livres des Lois, concernant le gouvernement idéal d’une cité juste. P. indique lui-même que ce n’est qu’en parlant de manière animée et qu’après de longs efforts en commun que l’étincelle de la connaissance peut s’enflammer chez ses élèves et s’y entretenir et qu’il n’avait jamais enfermé l’essence de ses idées dans le carcan de l’écriture - nécessairement rigide (7e lettre, 341 c-d). Le corpus de l’oeuvre (environ 27 Dialogues et Apologies, des lettres à l’authenticité contestée et quelques poèmes) ne permet donc guère de saisir son système de formulation d’une doctrine, à supposer qu’elle existe, qui propose une métaphysique approfondie. Mais ce corpus contient probablement la genèse de ses principales idées. On croit reconnaître trois phases d’élaboration de ses écrits. Au-delà de leur valeur philosophique, les Dialogues sont une mine de détails sur l’histoire de la culture. Comme témoignage de la rencontre d’un homme, celle de Socrate, comme portraits d’intellectuels, comme oeuvre d’art littéraire, ils appartiennent à ce qu’il y a de plus beau dans la littérature universelle. En tant qu’institution, l’école de P. survécut presque un millénaire ; elle ne fut fermée qu’en 529 après J.-C. par Justinien. Avec le néoplatonisme de l’Antiquité tardive (Plotin) la doctrine de P. s’est rajeunie et enrichie. Le portrait de P. nous a été transmis par de nombreuses copies romaines d’un original de la fin du IVe siècle avant J.-C.
Bibliographie : J. Brun, Platon et l'Académie, 7e éd., 1983 ; M. Deschoux, Comprendre Platon. Un siècle de bibliographie platonicienne de langue française, 1880-1980, 1981 ; L. Jerphagnon, Histoire de la pensée, t.1, 1989.
Platon, célèbre philosophe grec, né à Athènes ou à Égine vers 429 avant J.-C., mort en 348, descend de Codrus par son père et de Solon par sa mère. Il s'appelle d'abord Aristoclès. Après s'être livré avec succès à la poésie, il s'attache à Socrate, quitte Athènes après la mort de son maître, visite l'Italie, l'Égypte et la Sicile, où le tyran Denys l'Ancien le fait vendre comme esclave. Racheté par Annicéris, philosophe de Cyrène, il revient à Athènes, y fonde l'Académie, cette école fameuse qui est longtemps restée une pépinière d'hommes vertueux et de profonds penseurs. Il ne cesse d'y enseigner, de 388 à 348, une doctrine philosophique élevée et une morale supérieure à son temps et à son milieu. Parmi les nombreux ouvrages que nous possédons de ce philosophe et qui sont presque tous rédigés sous la forme de Dialogues, avec Socrate comme principal interlocuteur, on peut citer : Criton ou le Devoir du citoyen Phédon ou de l'immortalité de l'âme ; Théétète ou de la Science ; Phèdre ou du Beau ; Timée ou De la Justice Phi-lèbe ou De la volupté ; Gorgias ou De la rhétorique ; Protagoras ou Les sophistes ; Apologie de Socrate, Les Lois, La République, le Banquet... Platon développe, sinon dénature la doctrine de son maître, et si le mot attribué à Socrate : « Que des choses ce jeune homme me fait dire à quoi je n'ai pas pensé ! » n'est pas vrai, il mérite de l'être. Mais... la pensée platonienne marquera toute l'histoire de la philosophie. Platon ne veut jamais s'immiscer dans la conduite des affaires publiques. Comme Socrate, son maître, il croit en l'existence d'un Dieu pur, immatériel et souverain maître du monde, à l'immortalité de l'âme qui doit se rendre, après la mort du corps dont elle est en possession, dans un monde également immatériel et invisible. Dans Phédon, le plus beau de ses Dialogues, il dit que l'âme étant immortelle, il est sage de vivre en vue d'une éternité. Dans Gorgias, il dit que le plus grand malheur qui puisse arriver à l'homme, c'est d'aller dans l'autre monde avec une âme chargée de crimes. Platon est l'un des créateurs de la philosophie spiritualiste.
Philosophe grec (427-347 avant J.-C.). • La philosophie occidentale lui doit tout, ou presque. De Socrate, son maître, il nous a transmis un mode de questionnement original ainsi que l’amour du vrai ; dans les grands textes de la maturité, il développe sa célèbre « théorie des Idées », qui constitue comme Pacte de naissance de la métaphysique ; sa conception de la cité juste, enfin, inspirera nombre de doctrines politiques. • Dans ses premiers dialogues, Platon montre comment Socrate, en quête de définitions adéquates (de la science, de la vertu, du devoir, etc.), conduit ses interlocuteurs, par un jeu subtil de questions, à évacuer l’opinion, faux-semblant de savoir, pour lui substituer un savoir véritable. • Persuadé qu’il existe, au-dessus de la justice des hommes (capable de mettre à mort le vertueux Socrate), un modèle absolu de la justice, Platon soutient l’existence d’un univers des Idées - essences idéales, immuables et immatérielles dont les choses visibles ne sont que d’imparfaites copies. • Ce sera précisément la tâche de la dialectique que d’élever l’âme de l’apprenti philosophe du monde sensible (accessible aux sens), monde des apparences multiples et changeantes, jusqu’au monde intelligible (qui n’est accessible qu’à l’intellect), monde des réalités en soi au sommet duquel trône, tel un Soleil, l’idée du Bien, terme ultime de l’ascension philosophique.» Mais pour parvenir à la contemplation des Idées, l’âme doit prendre ses distances à l’égard du corps dans lequel elle est tombée à la naissance. Prison de l’âme, le « corps-tombeau » (sôma sèma en grec) fait en effet obstacle à l’appréhension du vrai, en raison des besoins et des désirs qu’il nous inspire. Il n’y a donc pas lieu de craindre la mort, qui délivre notre âme immortelle de son enveloppe charnelle. • Si l’âme du juste est celle dans laquelle la raison règne harmonieusement sur le courage et les appétits, il faut de même qu’à l’échelle de l’État, les sages gouvernent la classe des gardiens et la classe des producteurs (artisans, paysans, commerçants). Ce qui revient à souhaiter que les philosophes deviennent rois, ou les rois philosophes. Principales œuvres : Gorgias, Ménon, Apologie de Socrate, Criton, Cratyle, Phédon, Le Banquet, La République, Phèdre, Théétète, Parménide, Le Sophiste, Le Politique, Les Lois.