Turquie (1980-1981): Le retour d'Atatürk...
Publié le 30/09/2020
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Turquie (1980-1981): Le retour d'Atatürk...
Peu importe qu'il soit mort en 1938: par-delà les années, 1980 est son année.
Souriant ou sévère, Mustafa Kemal Atatürk est partout, de pied ou en buste, sur
les places des villes et villages d'Anatolie, en quadrichromie au fronton des
édifices publics et dans les journaux encore autorisés à paraître.
Ainsi qu'elle l'a fait en 1960, en intervenant contre "l'homme du libéralisme
économique et de l'Amérique" (le Premier ministre Adnan Menderes, qu'elle a
pendu), ainsi qu'elle l'a fait en 1971, en intervenant contre les premières
révoltes sociales, les premières organisations ouvrières et les premiers
mouvements de guérilla, l'armée au pouvoir depuis le 12 septembre 1980, pour la
troisième fois en vingt ans, brandit une icône.
S'affichant résolument
kémaliste, elle légitime son retour à la direction du pays pour "remettre la
démocratie sur les rails" avant de regagner ses casernes: nul n'ignore
qu'Atatürk lui a confié la garde du régime républicain, laïc, moderne qu'il a
construit à force d'autoritarisme contre une Anatolie archaïque.
Force de l'immaturité politique, du nationalisme et d'une absence quasi totale
de tradition humaniste: beaucoup oublient la torture, généralisée avant et après
le coup d'État, sous laquelle plusieurs personnes sont mortes.
Beaucoup
regardent comme un mal nécessaire les peines de mort requises par dizaines et
les pendaisons (dont celle d'un gosse de 17 ans) exécutées dans les cours des
prisons militaires.
Beaucoup s'accommodent des kyrielles d'arrestations (30 000
de septembre à décembre 1980, selon les militaires eux-mêmes) et d'une garde à
vue de...
trois mois.
"Désormais, plus de communisme, plus de fascisme, plus de séparatisme, plus de
théocratie", dit le général Kenan Evren, nouvel homme fort du pays.
Et derrière
lui, derrière Atatürk, son "petit père" et le "petit père des Turcs", l'Anatolie
rêve d'unité nationale, de force et berce ses nostalgies de splendeurs passées.
L'Anatolie oublie le chaos des dernières années: le terrorisme responsable de
quelque 2 700 morts en 1980, la violence politique vite sortie du cadre étroit
de l'Université pour embraser le pays entier (alimentée par le long séjour au
gouvernement de l'ex-colonel Alpaslan Türkes, leader de l'extrême droite), le
jeu caricatural des politiciens et l'incapacité de dégager de vraies majorités
parlementaires.
L'Anatolie, peuplée d'au moins dix millions de Kurdes, exorcise
dans l'ordre sa peur de la division, sa peur devant le vertige islamique des
pays voisins et des intégristes locaux - fût-ce au prix d'une nouvelle
constitution qui restreindra les libertés accordées par...
l'armée en 1960 et
permettra de dégager de vraies majorités parlementaires.
Reste l'économie.
Contre un taux d'inflation de 110% en 1980, contre un chômage
touchant au moins quatre millions de personnes, contre un taux de croissance
nul, pour ne pas dire négatif, armée ou pas, Atatürk ou pas, pas d'exorcisme.
Les prix ont monté de 50 à...
900% en janvier 1980 après un train de mesures
économiques dictées par le FMI ; la dette extérieure dépasse les 20 milliards de
dollars.
L'armée, bien loin cette fois d'un kémalisme qui faisait la part belle
à l'étatisme et au secteur public, poursuit la politique économique de "grand
libéralisme" du gouvernement conservateur de M.
Demirel qu'elle a renversé..
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