Polycrate
Publié le 16/05/2020
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Polycrate? -522 av.
J.-C.
Le destin de Polycrate a passionné les Anciens (et notamment Hérodote, à qui nous devons l'essentiel de ce quenous savons sur lui) : l'extraordinaire fortune de cet homme parti de presque rien et devenu le plus puissant destyrans de son temps, puis abattu par un coup brutal et finissant ses jours sur la croix, leur paraissait un exempletypique de la Némésis, de la vengeance que les dieux tirent de ceux qui se laissent entraîner par la démesure et nesavent pas limiter leurs convoitises.
Comme dans les mythes de la tragédie, le héros est lui-même l'artisan de saperte, prévisible de tous sauf de lui-même qu'aveuglent l'orgueil et la déraison.
Le cadre de cette tragédie : Samos, la grande île située en bordure de l'Ionie, mais que le roi de Perse n'a pu encoreannexer.
Sa situation géographique et le dynamisme de ses habitants lui ont conféré une place exceptionnelle dansle monde du négoce.
Elle commerce avec l'Égypte et possède dans la concession de Naucratis un entrepôt spécial.Elle participe à l'exploitation du Nord grâce aux colonies qu'elle a su fonder à Samothrace et sur les rivages de laPropontide (mer de Marmara).
Le Samien Colaios, parti pour l'Égypte, est jeté par la tempête au-delà du détroit deGibraltar et revient du pays de Tartessos (région de l'actuelle Cadix) avec la somme fabuleuse de soixante talentsd'argent.
Ce commerce à l'échelle du monde méditerranéen est d'autant plus fructueux que Samos fabrique desproduits de luxe : tissus, vases de céramique et surtout bronzes.
On attribuait même à deux Samiens, Rhoicos etThéodoros, l'invention des procédés de la fonte en creux du bronze.
On comprend que les aristocrates détenteurs du sol dans cette île fertile (les Géomores, c'est-à-dire partageurs dela terre), qui s'étaient longtemps réservé le pouvoir, se soient rapidement heurtés à la coalition des nouveaux richesdu commerce et de l'industrie et d'un peuple turbulent d'artisans et de marins.
D'où dès le vıe siècle, des troublessociaux, l'accession au pouvoir d'un premier tyran, vite assassiné, suivie d'une véritable révolution démocratique.
C'est dans cette atmosphère de crise permanente que se situe la carrière de Polycrate.
Fils d'Aiacès, en qui certainsmodernes voient déjà un tyran, Polycrate s'empare du pouvoir par un stratagème en s'appuyant sur une poignée dequinze hommes ; il le partage d'abord avec ses deux frères, puis il tue l'un, exile l'autre et reste le seul maître de lacité.
Sa voie est tracée : c'est celle de tous les tyrans.
Ses mercenaires font peser la plus dure contrainte sur lesaristocrates.
Il n'hésite pas à détenir comme otages dans ses hangars à vaisseaux les femmes et les enfants descitoyens dont il se défie.
Pythagore doit s'exiler.
En revanche, Polycrate favorise le peuple et s'emploie à développerune économie déjà florissante.
Il s'intéresse à la sélection des espèces et fait venir des chèvres et des porcs debonne race, ainsi que des moutons à fine toison de Milet ou d'Athènes.
Il inaugure une politique de grands travaux, qui procurent du travail à tous et font de Samos l'une des plus bellescités du monde archaïque.
Hérodote s'enthousiasme pour ces réalisations.
La plus spectaculaire est une adductiond'eau due à l'ingénieur Eupalinos de Mégare qui perce dans une colline voisine de la ville un tunnel de 350 m, haut etlarge de 2,30 m, doublé d'un canal profond de 8 m et large de 1 m.
: ouvrage gigantesque qui n'est rendu possibleque grâce aux prisonniers de guerre faits sur les Lesbiens, lorsque ceux-ci avaient prêté assistance aux Milésienscontre Samos.
Le port est protégé par un môle de 360 m.
Polycrate achève également le temple d'Héra, commencésur les plans de Rhoicos, grandiose et somptueux édifice de style ionique.
S'il faut en croire Hérodote (3, 125) "hormis les tyrans qui régnèrent à Syracuse, aucun autre tyran grec ne mérited'être comparé à Polycrate au point de vue de la magnificence".
Il porte au doigt une émeraude gravée, œuvre deThéodoros, dont il essaye en vain de se défaire, pour apaiser les dieux envieux de son bonheur excessif, en la jetantdans la mer.
Son palais renferme un mobilier très précieux, qui sera consacré après sa mort dans le sanctuaired'Héra.
Il s'assure à prix d'or les services du plus fameux médecin du temps, Démocédès de Crotone, l'arrachant pourdeux talents annuels à Égine et à Athènes.
De très grands lyriques ajoutent à l'éclat de sa cour.
Ibycos, originaire de Rhégion (en Grande-Grèce), s'était réfugiéà Samos pour échapper à ses concitoyens qui le voulaient faire tyran.
Il compose de vastes compositions épiques,mais en y introduisant des récits amoureux.
De fait, le peu que nous avons conservé de ses vers n'évoque querossignols, fleurs rares, pampres, décor tout fait de joliesse où de beaux jeunes gens en vêtements brodés meurentd'amour parmi les roses.
Dans son Ode à Polycrate le tyran est paradoxalement loué surtout pour sa beauté.L'atmosphère n'est guère différente dans les chansons de table ou d'amour d'Anacréon natif de Téos en Ionie, luiaussi commensal de Polycrate dont le nom, nous rapporte-t-on, revenait sans cesse dans ses poèmes.
Il est lechantre de l'amour, d'un amour sensuel, parfois passionné, plus volontiers badin, spirituel et précieux, qu'il saitpeindre avec une extraordinaire délicatesse de touche, dans des vers aux mètres savants et variés.
Son seul dieuest "le charmant Éros aux couronnes verdoyantes et fleuries, le maître des dieux, le dompteur des hommes".
Cette soif de plaisirs, ce culte de la beauté, ce raffinement spécifiquement ionien ne sont qu'un des aspects de lapersonnalité chatoyante de Polycrate.
Le tyran ne consacre que ses loisirs à ces délicats poètes, au flûtisteBathyllos ou au jeune Thrace Smerdiès à l'ondoyante chevelure.
Sa vraie passion est la puissance et Hérodote peutnoter (3, 122) qu'il fut "le premier des Grecs qui songea à l'empire des mers...
et eut bon espoir de régner sur l'Ionieet sur les îles".
Fort de ses mercenaires, de ses mille archers, de ses cent pentécontores filant à bonne vitesse, iltriomphe de Milet et de Lesbos, soumet Rhénée dont il fait don à l'Apollon de Délos, s'empare "de beaucoup d'îles et.
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