Phédon: , La Bruyère (Caractères)
Publié le 25/06/2023
Extrait du document
«
« les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage
maigre » (Accroche)
C’est en ses termes peu flatteurs que le narrateur décrit
Phédon, un être misérable… dont on comprendra vite que
l’aspect physique est à l’image de son portrait moral.
Le point
de vue dévalorisant posé sur cet homme serait donc a priori
péjoratif mais il se nuance par celui – plus global – de la
société, toujours prompte à marginaliser et mettre de côté
celles et ceux -comme Phédon justement - ne répondant pas
suffisamment aux codes exigés du paraître.
Publié pour la
première fois en 1688 par Jean de La Bruyère, Les Caractères
est une œuvre atypique, reflétant dans des portraits tout à la
fois féroces et sans concession, un miroir déformant des
vices d’une société se complaisant trop souvent au jeu factice
et un peu vain de la comédie sociale.
Le portrait qui nous
intéresse dans cette étude est celui de Phédon, un être a
priori ridicule… condamné à se conformer pathétiquement
aux regards des autres… indifférents aux gesticulations du
bonhomme tant ce dernier n’aurait pas les codes, l’argent -et
peut-être même l’intelligence – pour bien paraître en société.
[Contextualisation]
Pour une meilleure fluidité dans mon
explication, je découperai le texte en 3 axes :
1) De « Phédon a les yeux creux » jusqu’à « de petits
services », nous pourrons voir un portrait pathétique
faisant de Phédon une victime et un incompris d’une
société qui juge et qui exclut.
2) De « Il est complaisant, flatteur » jusqu’à « se couler sans
être aperçu » nous verrons plutôt un portrait misérable de
ce même personnage que la pauvreté a rendu ridicule.
3) De « Si on le prie de s’asseoir » jusqu’à la fin, nous
verrons toute l’ambiguïté de ce personnage que le
moraliste pousse à son comble pour mieux nous faire
réfléchir sur le regard que nous portons sur ces êtres
comme Phédon… un personnage qui a aussi été poussé
au ridicule, qu’il soit réel ou supposé, par les riches et
puissants de cette société, toujours prompte à
marginaliser.
[Découpage]
Dès les premières lignes, l’impression qui semble se dégager
du texte est ce portrait pathétique faisant de Phédon une
victime et un incompris d’une société qui juge et qui exclut.
(Impressions)
Sur quels critères puis-je affirmer cela ?
Il me semble que les énumérations en « il », le champ
lexical de la laideur… sans oublier quelques antithèses
participent à confirmer cette sensation.
(Procédés)
Les énumérations en « il », donnent effectivement un double
sentiment :
a) Celui « d’exclure » le personnage, comme s’il était
toujours en dehors du cercle à l’intérieur duquel, nous le
verrons, il aimerait tant participer.
b) Celui de réduire Phédon à une liste d’actions, de faits et
de gestes, comme si ce dernier se limitait à ses actes.
Serait-ce déjà là une manière à peine voilée de critiquer
cette société qui ne juge que sur le paraître ? Nous
aurons l’occasion d’y revenir…
Ces « il », je peux les voir dans des formules comme : (ex).
Les énumérations de la 1ère phrase (« les yeux creux, le teint échauffé,
le corps sec et le visage maigre »), quant à elles, concourent également à
rabaisser ce personnage avec toutes ses multiples disgrâces
physiques.
Quant aux antithèses (« avoir de l’esprit »
combiné à « stupide », le terme « oublie », combiné au
verbe « sait »), elles contribuent définitivement, selon moi, à
faire de Phédon un personnage tiraillé, jamais en phase entre
ce qu’il pense et ce qu’il dit, ce qu’il est et ce qu’il veut bien
montrer dans son paraître…
« Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre ; il dort peu, et d’un sommeil
fort léger ; il est abstrait, rêveur, et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide : il oublie de dire ce qu’il sait, ou
de parler d’événements qui lui sont connus ; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, il croit peser à ceux à
qui il parle, il conte brièvement, mais froidement ; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire.
Il applaudit,
il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ; il court, il vole pour leur rendre de petits
services.
»
(Exemples)
Pourquoi de tels effets ?
A mon avis, le narrateur crée tous ces contrastes pour ne
pas faire de Phédon une simple caricature mais un
personnage tout en nuances dans lequel chaque lecteur
pourra plus ou moins se retrouver.
Ces contrastes
antithétiques, je les retrouve également dans des
formulations comme : « et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, […] il
conte brièvement, mais froidement ; »
Phédon ne serait donc pas un être univoque mais bel et
bien un personnage complexe dont on ne saurait trop dire,
pour le moment, s’il est touchant par sa gaucherie ou tout
simplement pitoyable dans son incapacité à s’intégrer avec
les autres…
(Argumentation)
Dans le deuxième axe, il me semble que le narrateur se plait
à brosser un portrait misérable de ce même personnage que
la pauvreté a rendu ridicule.
Le champ lexical des défauts se fait effectivement de plus en
plus explicite (« complaisant, flatteur, empressé ; […] menteur ; il est
superstitieux, scrupuleux ») … un champ lexical d’autant plus fort
qu’il semble être lié à un autre : celui de la négation, que je
peux retrouver dans les termes suivants :
« n’ose les lever sur ceux qui passent.
Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir
[…].
Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place […] pour n’être point vu ; […] il n’y a point de rues ni
de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort »
Ces énumérations de négation mettent en valeur selon moi le
côté effacé du personnage, incapable de s’insérer et, comme
on l’a dit, de trouver sa place.
Elles montrent surtout la difficulté de cet être à s’intégrer
tant l’infériorité qu’il affiche vis-à-vis des autres l’amène à
devenir transparent, voire invisible, dans le regard de son
entourage… Cette invisibilité, je peux la voir dans des termes
comme :
« n’ose les lever sur ceux qui passent […] il se met derrière celui qui parle, […] il se retire si on le regarde.
Il
n’occupe point de lieu, il ne tient point de place ; […] pour n’être point vu ; il se replie et se renferme dans son
manteau ; […] se couler sans être aperçu »
Cette transparence, là encore, pourrait être vue par le lecteur
de différentes façons dans son approche des registres : estelle pathétique et pitoyable ou bien drôle et mordante dans le
comique et la satire ? Ou encore les deux ?....
»
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