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Paranoïa

Publié le 06/12/2021

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Paranoïa n.f. (angl. Paranoia). Organisation psychotique de la per­sonnalité liée à l'absence dans le sujet de la fonction paternelle symbolique.

Cette «forclusion du Nom-du-Père« ôte tout sens à ce qui relève de la signifi­cation phallique, dont la rencontre plonge le sujet dans le désarroi, le livrant au retour dans le réel, sous forme d'hallucinations, de ce qui fait défaut au niveau symbolique. Le délire va suppléer à la métaphore paternelle défaillante, en construisant une «méta­phore délirante «, destinée à donner sens et cohésion à ce qui en est dépourvu.

L'usage du terme paranoïa, très ancien en psychiatrie, a évolué d'une extension très large, au point d'englo­ber, dans la psychiatrie allemande du xix' siècle, l'ensemble des délires, à un emploi plus précis, limité, essentielle­ment sous l'influence d'E. Kraepelin (1899), aux psychoses dans lesquelles s'installe un système délirant durable et inébranlable, qui laisse intactes les facultés intellectuelles, la volonté et l'action. Il correspond aux concepts de monomanie et de délire chronique systéma­tisé des auteurs anciens et se distingue donc de la schizophrénie, ou démence précoce.


S. Freud, à la suite de Kraepelin, adopte cette grande distinction et englobe dans la paranoïa, outre le délire de persécution, l'érotomanie, le délire de jalousie et le délire des gran­deurs. Il s'oppose ainsi à Bleuler, qui fait entrer la paranoïa dans le groupe des schizophrénies, retrouvant à l'ori­gine des deux maladies mentales le même trouble fondamental, la disso­ciation. C'est cette dernière concep­tion qui prévaut actuellement dans l'école psychiatrique américaine d'ins­piration psychanalytique.

Freud, cependant, pour d'autres rai­sons, en particulier parce que la systé­matisation du délire ne suffit pas à ses yeux à définir la paranoïa, n'hésite pas à rattacher à ce groupe certaines formes, dites «paranoïdes «, de la démence pré­coce. Ainsi, dans le titre même de son observation du cas Schreber, il fait équivaloir paranoïa et démence para­noïde (dernentia paranoides).

Mais l'apport essentiel de la psycha­nalyse à propos de la paranoïa ne concerne pas ces problèmes de classi­fication nosographique. Il tendrait même à les effacer pour s'attacher plu­tôt à mettre en évidence les méca­nismes psychiques qui sont enjeu dans cette psychose et la part indéniable de la psychogenèse dans son étiologie.


LE CAS SCHREBER

Freud établit en 1911 l'observation d'un cas de paranoïa à partir des Mémoires d'un névropathe (1903) du pré­sident Schreber, éminent juriste qui avait écrit et publié lui-même l'histoire de sa maladie. Celle-ci avait commen­cé, après sa nomination à la présidence de la cour d'appel, progressivement sous la forme d'un «délire hallucina­toire« multiforme pour culminer ensuite dans un délire paranoïaque sys­tématisé, à partir duquel, selon l'un de ses médecins, «sa personnalité s'était réédifiée« et il avait pu se montrer «à la hauteur des tâches de la vie, à part quelques troubles isolés «.

Dans ce délire, Schreber se croyait appelé à faire le salut du monde, cela sous une incitation divine qui se trans­mettait à lui par le langage des nerfs et dans une langue particulière, appelée langue fondamentale (allem. Grund-sprache). Pour cela, il lui faudrait être changé en femme.

L'hypothèse de départ de Freud était qu'il pouvait aborder ces manifesta­tions psychiques à la lumière des connaissances que la psychanalyse avait acquises des psychonévroses, parce qu'elles découlaient des mêmes processus généraux de la vie psy­chique.

Ainsi, dans les rapports que, dans son délire, Schreber entretient avec Dieu, il retrouve, transposé, le terrain familier du «complexe paternel «. Il reconnaît en effet dans ce personnage divin le «symbole sublimé« du père de Schreber, médecin éminent, fondateur d'une école de gymnastique thérapeu­tique, avec lequel celui-ci devait entre­tenir, comme tout garçon, des rapports faits à la fois de vénération et d'insu­bordination. De même, dans la sub­division entre un Dieu supérieur et un Dieu inférieur, il retrouve les person­nages du père et du frère aîné.


NARCISSISME ET HOMOSEXUALITÉ

C'est essentiellement autour du rap­port érotique homosexuel à ces deux personnes que Freud fait tourner son interprétation. Il considère en effet comme de l'essence de la paranoïa que Schreber ait dû construire un délire de persécution pour se défendre du fan­tasme de désir homosexuel, qu'expri­merait, selon lui, la féminisation exigée par sa mission divine. Et ce fantasme, présent dans l'évolution normale du garçon, ne deviendrait cause de psy­chose que parce qu'il y aurait, dans la paranoïa, un point de fragilité qui se trouverait «quelque part aux stades de l'autoérotisme, du narcissisme et de l'homosexualité «.

Cette référence au narcissisme sera précisée en 1914 lorsqu'il distinguera plus nettement encore la libido d'objet de la libido narcissique, du côté de laquelle il situera la psychose dans son ensemble. Chez les schizophrènes comme chez les paranoïaques, il sup­pose en effet une disparition de la libido d'objet au profit de l'investisse­ment du moi et le délire aurait pour fonction secondaire de tenter de rame­ner la libido à l'objet.

Cette réflexion se trouve déjà dans les travaux de K. Abraham (1908), qui oppose, à propos de la démence pré­coce, les deux types d'investissement, de même qu'il suppose à la persécution une origine érotique, le persécuteur n'étant autre au départ que l'objet sexuel lui-même.

LE MÉCANISME PROJECTIF

Freud, en reprenant cette thèse, va lui donner un développement très impor­tant, puisqu'elle va fonder l'essentiel de sa théorie : le délire de persécution, en effet — de même d'ailleurs que les délires érotomaniaques et de jalou­sie —, serait toujours le résultat d'une projection, qui produit, à partir de l'énoncé de base homosexuel: «Moi,


un homme, j'aime un homme «, d'abord sa négation: «Je ne l'aime pas, je le hais «, puis l'inversion des per­sonnes: «Il me hait.« Par cette projec­tion, ce qui devrait être ressenti intérieurement comme de l'amour est perçu, venant de l'extérieur, comme de la haine et le sujet peut éviter ainsi le danger dans lequel le mettrait l'irrup­tion à sa conscience de ses désirs homosexuels. Danger considérable du fait de la fixation de ces malades au stade du narcissisme, ce qui ferait de la menace de castration une menace vitale de destruction du moi. Le délire apparaît donc comme un moyen pour le paranoïaque d'assurer la cohésion de son moi en même temps qu'il rebâtit l'univers.

DÉVELOPPEMENTS DE LA THÉORIE
FREUDIENNE

De ces deux points essentiels dans la théorie freudienne de la paranoïa, régression au narcissisme et évitement par la projection des fantasmes homo­sexuels, le premier connut son déve­loppement le plus important à partir de Melanie Klein, pour qui toute psy­chose était un état de fixation ou de régression à un stade primaire infantile, dans lequel un moi précoce était capable, dès la naissance, d'éprouver de l'angoisse, d'employer des méca­nismes de défense et d'établir des rela­tions d'objet, mais avec un objet primaire, le sein, lui-même clivé entre un sein idéal et un sein persécuteur. Ce moi encore inorganisé et labile détour­nerait l'angoisse, suscitée en lui par le conflit entre les pulsions de vie et les pulsions de mort, d'une part au moyen de la projection et de l'autre par l'agres­sivité. On voit donc que, dès l'origine, tout être humain est psychotique, et en particulier paranoïaque. Cette position primitive est d'ailleurs dénommée paranoïde-schizoïde.

Par contre, en ce qui concerne le second point, c'est-à-dire le noyau


homosexuel de la paranoïa, Melanie Klein ne le reprend pas et il pose d'ail­leurs des problèmes de fond, que les contemporains de Freud eux-mêmes ont déjà soulevés.

LA FORCLUSION DU NOM-DU-PÈRE

Mais c'est sans doute chez J. Lacan (Séminaire sur les psychoses, 1955-56) que cette question a été reprise de la manière la plus propre à l'éclairer. Revenant en effet à la lecture freu­dienne du texte de Schreber, il introduit une donnée essentielle pour compren­dre ce que Freud appelle le «complexe paternel« chez le névrosé et ce qui le distingue de ce que l'on rencontre chez le psychotique, clarifiant du coup considérablement ce que signifie la prétendue « homosexualité « du para­noïaque. Cette donnée est celle de la fonction paternelle symbolique, ou métaphore paternelle, désignée encore sous le terme de Nom-du-Père, qu'il convient de distinguer du père réel en ce qu'elle résulte de la reconnaissance par une mère non seulement de la per­sonne du père, mais surtout de sa parole, de son autorité, c'est-à-dire de la place qu'elle réserve à la fonction paternelle symbolique dans la promo­tion de la loi.

Chez le paranoïaque, cette méta­phore n'est pas opérante. Il y a chez lui — Lacan reprend là un terme plus tardif dans l'oeuvre de Freud — Verwerfung, qu'il traduit par «forclusion«, c'est-à-dire que, au lieu du Nom-du-Père, il y a un trou, qui produit chez le sujet un trou correspondant à la place de la signification phallique, ce qui pro­voque chez lui, lorsqu'il se trouve confronté à cette signification phal­lique, le désarroi le plus complet. C'est ainsi que se déclenche la psychose chez Schreber, au moment où il est appelé à occuper lui-même une fonc­tion symbolique d'autorité, situation à laquelle il ne peut que réagir par des manifestations hallucinatoires aiguës,


auxquelles peu à peu la construction de son délire viendra apporter une solu­tion, constituant, à la place de la mé­taphore paternelle défaillante, une «métaphore délirante «, destinée à donner un sens à ce qui pour lui en est totalement dépourvu.

Dans cette conception, on com­prend mieux à quoi correspond ce que Freud désigne comme homosexualité. Il s'agit plus exactement d'une position transsexuelle, c'est-à-dire d'une fémi­nisation du sujet, subordonnée non pas au désir d'un autre homme mais à la relation que sa mère entretient avec la métaphore paternelle et donc avec le phallus. Dans ce cas, qui est de forclu­sion du premier terme, l'enfant est tenu d'être ce phallus maternel, la conclu­sion étant que, « faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère, il lui reste la solution d'être la femme qui manque aux hommes« (Écrits) ou encore la femme de Dieu.

La forclusion de la métaphore pater­nelle interdit en effet d'assimiler à une position féminine dans l'homosexua­lité, ou à celle plus générale de l'oedipe inversé, cet être la femme auquel se trou­ve contraint Schreber, parce que c'est précisément la menace de castration qui, contrairement aux deux autres situations, lui fait complètement dé­faut. Le père de Schreber, dont on a vu à quel point il pouvait être une figure imposante et respectée, illustre bien en quoi un père peut être tel dans la réalité et, en même temps, du fait même qu'il se prévaut d'une position de législateur ou qu'il serve une oeuvre, être, par rap­port à ces idéaux, en posture de démé­rite ou même de fraude, c'est-à-dire «d'exclure le Nom-du-Père de sa posi­tion dans le signifiant« (Écrits).

Une autre conséquence de cette reformulation théorique est qu'elle met un terme, de manière peut-être abrupte, aux discussions sur la distinc­tion entre paranoïa et schizophrénie. La question de la paranoïa devient


celle, tout à fait générale, de la structure de la psychose.

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