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MONTAIGNE ou Le goût de la vérité par Jean-Louis Poirier

Publié le 16/06/2020

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« Un philosophe à part entière S'il est vrai, comme dit Husserl, que la philosophie est « une tâche commune », Montaigne est sans doute le plus exemplaire des philosophes : les Essais organisent un vertigineux travail de la citation, où, sans rhétorique aucune, Montaigne intériorise une exceptionnelle activité de lecture qui, lumineusement restituée dans l'écriture d'un texte, donne naissance à l'œuvre philosophique la plus singulière et la plus attachante, la plus rigoureusement pensée, et la plus profondément enracinée dans la communauté vivante des philosophes. On ne comprendra rien à Montaigne si on ne comprend pas d'abord en quel sens essentiel ce philosophe fut un écrivain, indissociablement écrivain et philosophe. A une tradition littéraire qui n'a trouvé dans Montaigne qu'une autorité pour recouvrir un culte frivole de l'impressionnisme et de la subjectivité, il faut résolument opposer une pensée inséparable de son style : point d'ornements, mais l'identité, dans la patience de l'écriture, de l'idée et de son expression. C'est pourquoi le texte des Essais, qui se présente selon les trois couches des éditions successives (1580, 1588, 1595), est, en vérité, d'un seul tenant : le travail de reprise, d'addition ou de correction, traduit, mot à mot, le travail de sédimentation de la pensée, il réfléchit dans le style ce fait que penser n'est jamais simple, que penser c'est d'abord se demander ce qu'on pense, et qu'aucune pensée ne saurait jamais être une dernière pensée. Ironie et scepticisme Lire Montaigne d'après l'idée qu'il est philosophe, c'est donc recueillir soigneusement, d'un bout à l'autre, l'ironie de sa démarche, ne jamais la fixer, mais toujours, en revenant à Socrate, son maître, apprécier cette pente qui, si l'on n'y prend garde, discrédite toute idée, à l'affirmer trop vite, trop uniment ou trop lourdement. La difficulté de lire Montaigne, qui fait oublier parfois qu'il est philosophe, c'est qu'il n'a pas de doctrine : non seulement ses idées ne font pas système, mais aucune n'est jamais strictement affirmée. Bien plus, les citations débordent toujours sur le texte, s'y fondent, et l'on ne sait ce qui doit être imputé à l'auteur. On se méprendrait pourtant à trouver là une simple compilation érudite : l'esprit même de Montaigne est dans cette façon, active et nuancée, d'habiter les livres et les pensées. Tel est ce qu'on appellera correctement le scepticisme de Montaigne, qui explique et transfigure une érudition heureuse. Le scepticisme de l'Antiquité, illustré par Pyrrhon (ivc siècle av. J.-C.), tel que nous le connaissons par Sextus Empiricus (IIIe siècle apr. J.-C.), est cette méthode philosophique qui cherche à obtenir la tranquillité par la « suspension du jugement ». C'est en opposant les unes aux autres des représentations de même force qu'on apprend à ne plus donner son assentiment à aucune et qu'on parvient à la suspension du jugement. On peut bien dire que Montaigne est pyrrhonien, car il a lu Sextus Empiricus et en a intériorisé la leçon. L'érudition est la conséquence naturelle du scepticisme : il faut avoir lu tous les livres pour en arriver à suspendre son jugement, après avoir fait le tour de toutes les opinions. Mais le scepticisme de Montaigne n'est pas une allégeance doctrinale au pyrrhonisme antique : il le renouvelle et l'accomplit, il le déploie d'une façon incomparablement plus souple, où il devient, presque exclusivement, une activité du jugement. La tranquillité est acquise, mais ce n'est pas le calme : c'est le bonheur de découvrir, comme vérité de la suspension du jugement, l'exercice incessant du jugement. Rien n'est définitif, le jugement peut se reprendre à tout instant, et ce qui demeure, à travers l'étendue du savoir, c'est une perpétuelle capacité de réserver son assentiment, de retarder son approbation, qui est la vie de l'intelligence. Art de juger Par quoi ce scepticisme est moderne. Il n'a rien d'une indifférence. L'art de réserver son jugement, plus qu'un moyen d'apaiser l'inquiétude du vrai, devient, constamment, dans chaque phrase, dans chaque lecture, un art de juger en intériorisant, en refusant toute démission : ainsi apparaît clairement, au cœur du jugement, une puissance de nier, une puissance de douter, identique à l'intelligence, qui sera le ressort de la pensée moderne. Avant Descartes, Montaigne a mis en œuvre le doute systématique, compris l'identité de l'acte de penser et de l'acte de douter : il a, dans l'entreprise des Essais, donné toute son envergure au pyrrhonisme antique. Mais il y a plus : cette méthode est aussi recherche de la vérité et elle désigne une certitude qui lui est propre. Car ce scepticisme renoue, profondément, avec le socratisme : on ne se débarrasse d'une vérité toute faite que pour faire valoir la vérité de l'esprit dans le travail de l'interrogation. Peu de philosophes font voir un pareil attachement à la vérité, manifestent pareille obstination à la chercher : mais elle est redéfinie, et ce qui compte, plutôt que sa possession, c'est la manière de la tenir ou de la quérir. Elle est façon de penser plutôt qu'objet de pensée. Aussi cette recherche de la vérité, qui tend tous les Essais, n'est-elle parfaitement visible que dans le style ; elle ne saurait être pesante, fixe et délibérée ; elle exprime un goût pour la vérité, qui recherche en elle, avant tout une saveur et un plaisir : la vérité se caresse. Ce qu'on peut appeler l'empirisme de Montaigne n'est pas une position doctrinale concernant le sensible, mais un art de vivre et de penser qui ne sépare pas l'âme et le corps, qui perçoit, avec une acuité sans égale, le caractère vivant de l'intelligence et de la vérité, c'est-à-dire leur présence. Saisir les idées les plus abstraites dans leur rugueux, dans leur coloration la plus concrète, n'est pas talent littéraire, c'est ici puissance philosophique. .. .»

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