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LL1- L'avis de l'auteur, Manon Lescaut

Publié le 29/02/2024

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« Manon Lescaut Lecture linéaire n°1 « Avis de l’auteur » Un préambule au roman Le roman libertin connait une longue carrière au XVIIIème.

Et si au début du siècle il est encore hésitant, plus roman galant et cynique que purement libertin, comme avec Duclos (Les Confessions du comte de*** …) et Crébillon (Les Egarements du cœur et de l’esprit, Le Sopha…), il saura ensuite développer la rouerie avec art dans la seconde moitié du siècle.

La littérature romanesque de la fin du XVIIIe siècle mettra ainsi le problème moral au cœur de l’écrit, de La Nouvelle Héloïse écrite par Rousseau en 1761, aux écrits les plus immoraux de Sade, en passant par les lettres subversives de Laclos dans ses Liaisons dangereuses.

Antoine François Prévost, dit d’Exiles (1697-1763), et plus connu sous son titre ecclésiastique d’abbé Prévost va s’illustrer dans cette mouvance libertine.

Ce romancier, peu commun, n'a finalement d'abbé que le nom, et puise en partie dans sa vie d'errances et d'exils pour bâtir le destin tourmenté de ses personnages.

En plein siècle des Lumières, il annonce déjà le courant de la sensibilité romantique à venir, en accordant aux passions une place importante dans son œuvre (plusieurs fois condamné à l'exil en Angleterre notamment pour ses écrits, à la fois officier et prêtre, auteur de romans jugés licencieux : Manon Lescaut notamment, sera condamné au feu par le Parlement de Paris...). L'Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, paru en 1731, est ainsi le septième tome des volumes d'un roman plus vaste, Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde (la mémoire collective retiendra d'ailleurs plutôt un troisième titre plus court, Manon Lescaut, mettant l'accent sur ce personnage féminin fascinant).

Le roman sera jugé scandaleux à deux reprises (1733 et 1735), et sera alors saisi et condamné à être brûlé. L’auteur publie de ce fait en 1753 une nouvelle édition, revue et corrigée.

Les qualités humaines du récit finiront toutefois par séduire le public et entraîneront sa célébrité. Si dans ce tome de ses Mémoires, Renoncour semble ainsi ouvrir une parenthèse pour laisser place au récit des aventures de Des Grieux, dans cet « Avis de l’auteur », situé avant le début du roman lui-même, il prend encore la parole pour, à la manière presque d’un prologue antique, nous donner un écrit programmatique, annonçant tout à la fois la destinée sombre de son héros et les enjeux de son roman.

Renoncour sera en effet le destinataire du récit de Des Grieux, qui prendra alors le relais en tant que narrateur, mais ici cet enchâssement narratif n’est pas annoncé comme tel et le lecteur peut encore croire que l’homme de qualité nous relatera cette histoire de son propre point de vue.

Ainsi, il nous propose ici une esquisse de son héros, et expose également les grandes lignes du roman à venir.

Il va nous annoncer notamment que son personnage, loin des habitudes, n'est en rien un modèle à suivre, mais sera au contraire soumis à des égarements moraux nombreux. PROBLEMATIQUE Nous nous demanderons comment l’auteur, par la voix de Renoncour, nous annonce un récit plaisant, au service d’un projet de moraliste à la fois ambigu et original. ANNONCE DU PLAN I/ (L.1 à 9) Des Grieux, un héros ambigu II/ (L.9 à 12) « Instruire en amusant » III/ (L.13 à 21) La morale en question I/ (L.1 à 9) Des Grieux, un héros ambigu * « Si le public a trouvé quelque chose d’agréable et d’intéressant dans l’histoire de ma vie, j’ose lui promettre qu’il ne sera pas moins satisfait de cette addition.

» (l.1/2) :  « Si le public a trouvé quelque chose d’agréable et d’intéressant dans l’histoire de ma vie, » (l.1) : Hypothèse « si » suivie de l’adresse au « public », de la périphrase euphémisante « quelque chose », de la gradation méliorative « agréable et intéressant », et de la périphrase « histoire de ma vie » > Volonté d’une part, par cette entrée en matière, de susciter l’intérêt du lecteur en : - L’interpelant directement (par la référence au « public ») ; - Feignant de jouer les modestes (par la tournure hypothétique en « si », ainsi que la périphrase doublée d’un euphémisme, qui évoque les éventuelles qualités de ses écrits « quelque chose d’agréable et d’intéressant », mais aussi par le verbe modalisateur « trouver », qui semble suggérer que ces qualités n’iraient pas de soi) ; - En rappelant en fait indirectement, au contraire de ce qu’il feint de faire, que ses écrits précédents ont été à succès [par la gradation méliorative « agréable et intéressant » + la périphrase qui évoque leur contenu « histoire de ma vie » (voir la différence roman / histoire)]. - En mettant enfin en avant le caractère ludique et instructif de cette lecture, sachant que le ‘ plaire et instruire’ (placere et docere) du classicisme est toujours à la mode au XVIIIème siècle (comme le 1 Manon Lescaut Lecture linéaire n°1 démontrera notamment la propension à user de l’apologue, notamment par le détour du conte philosophique) : c’est ce que soulignent les termes du vocabulaire du plaisir et du savoir, liés par le corrélatif « agréable et intéressant » > D’autre part, le narrateur ne présente pas ici son écrit à venir comme un roman, genre décrié au XVIII ème siècle (même s’il redevient petit à petit à la mode), mais lui préfère le terme « histoire » : genre très en vogue, à la croisée de la nouvelle - en réaction au roman baroque, (jugé aussi invraisemblable qu’interminable) et des récits insérés dans ces mêmes romans baroques (qui visent à diversifier, assembler, voire contraster les points de vue).  « j’ose lui promettre qu’il ne sera pas moins satisfait de cette addition.

» (l.1/2) : même volonté de persuasion avec le choix de ce verbe modalisateur « j’ose », feignant la modestie, ainsi que de la litote « il ne sera pas moins satisfait » qui vise à susciter l’intérêt des lecteurs déjà conquis (rappelons que c’est le 7 ème tome des Mémoires), et de ceux qui découvriraient l’œuvre de Prévost. => Histoire dans l’histoire, ce récit est présenté à la fois comme une continuité et un renouveau. * « Il verra dans la conduite de M.

des Grieux un exemple terrible de la force des passions.

» (l.2/3): Ici, Renoncour procède à l’introduction rapide de son héros et futur narrateur (« M.

Des Grieux »), mais aussi du sujet - la passion- par l’hyperbole péjorative « terrible » ainsi que l’allégorie tout aussi hyperbolique « force des passions ».

On notera que ces procédés ont pour effet de : - mettre en haleine le lecteur : il va y avoir des intrigues intéressantes à suivre, voire des détails croustillants ! - que le terme « passions » est au pluriel : il ne s’agit donc pas seulement d’un roman d’amour (type de roman censé être destiné plutôt aux femmes…), mais d’un roman dans lequel la passion va se décliner de différentes manières (et en effet elle prendre ici des formes diverses, telles : le jeu, la violence, le meurtre, le désir, ….), ce qui vise à éveiller tout type de public, y compris masculin.

On note d’ailleurs que Renoncourt ne mentionne pas Manon ici, mais celui « Des Grieux » … En effet, l’« exemple » d’un noble (comme le souligne sa particule nobiliaire « DES Grieux » ), qui se laisse aller à la passion, sera moins sujette à la censure que le serait l’histoire d’une prostituée… Par ailleurs, ce personnage est présenté comme symbolique des effets néfastes des sentiments incontrôlés, et cette périphrase généralisante – « un exemple terrible de la force des passions » - fait ainsi de lui un personnage dont l’histoire permettra de dresser un enseignement. * « J’ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d’être heureux pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes ; […] » (l.3/4) :  La métaphore « peindre » donne l’idée d’un portrait que le narrateur va réaliser.

Des Grieux est donc bien vu ici comme LE personnage central, celui digne d’intérêt.

Par ailleurs, il n’apparait pas ici dans le statut de narrateur qu’il prendra.

Il semble n’être que le personnage du récit de Renoncour.  Cependant l’antithèse entre « peindre » et « aveugle » donne à voir un Des Grieux incapable de recul.

Le narrateur se place ici comme la voix de la raison, celui qui a une vision éclairée contrairement à un Des Grieux « aveugl(é) ».

D’ailleurs, la métaphore péjorative de l’aveugle est renforcée ici par l’adjectif antéposé « jeune » ce qui, loin d’être contradictoire, renforce au contraire, symboliquement, son incapacité à prendre du recul.  Par ailleurs, la double antithèse, entre « refuse » et « volontairement », puis entre « heureux » et « infortunes », renforcée par les hyperboles « précipiter » et « dernières » met en exergue une volonté affichée de.... »

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