LL aveu
Publié le 11/03/2022
Extrait du document
«
La princesse de Clèves de Mme de la
Fayette
Le renoncement au duc
__________________________________________________________________________________________
Texte :
- Hé ! croyez-vous le pouvoir, madame ? s'écria M.
de Nemours.
Pensez-vous que
vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore et qui est assez
heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de
résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime.
Vous l'avez fait par une vertu
austère, qui n'a presque point d'exemple ; mais cette vertu ne s'oppose plus à
vos sentiments et j'espère que vous les suivrez malgré vous.
- Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, répliqua
Mme de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raisons.
Ce que je
crois devoir à la mémoire de M.
de Clèves serait faible s'il n'était soutenu par
l'intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues
de celles de mon devoir.
Mais, quoique je me défie de moi-même, je crois que je
ne vaincrai jamais mes scrupules et je n'espère pas aussi de surmonter
l'inclination que j'ai pour vous.
Elle me rendra malheureuse et je me priverai de
votre vue, quelque violence qu'il m'en coûte.
Je vous conjure, par tout le pouvoir
que j'ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir.
Je suis dans un état
qui me fait des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre temps, et
la seule bienséance interdit tout commerce entre nous.
»
M.
de Nemours se jeta à ses pieds, et s'abandonna à tous les divers mouvements
dont il était agité.
Il lui fit voir, et par ses paroles, et par ses pleurs, la plus vive et
la plus tendre passion dont un coeur ait jamais été touché.
Celui de Mme de
Clèves n'était pas insensible et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis
par les larmes :
- Pourquoi faut-il, s'écria-t-elle, que je vous puisse accuser de la mort de M.
de
Clèves ? Que n'ai-je commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou
pourquoi ne vous ai-je pas connu devant que d'être engagée ? Pourquoi la
destinée nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible ?
- Il n'y a point d'obstacle, madame, reprit M.
de Nemours.
Vous seule vous
opposez à mon bonheur ; vous seule vous imposez une loi que la vertu et la
raison ne vous sauraient imposer.
- Il est vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste
que dans mon imagination.
Attendez ce que le temps pourra faire.
M.
de Clèves
ne fait encore que d'expirer, et cet objet funeste est trop proche pour me laisser
des vues claires et distinctes.
Ayez cependant le plaisir de vous être fait aimer
d'une personne qui n'aurait rien aimé, si elle ne vous avait jamais vu ; croyez que
les sentiments que j'ai pour vous seront éternels et qu'ils subsisteront également,
quoi que je fasse.
Adieu, lui dit-elle ; voici une conversation qui me fait honte :
rendez-en compte à M.
le Vidame ; j'y consens, et je vous en prie.
»
Elle sortit en disant ces paroles, sans que M.
de Nemours pût la retenir.
Éléments d’introduction et contexte :
La Princesse de Clèves :
- parut anonymement mais attribué à Mme de La Fayette en 1780.
»
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