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L’étude de Gargantua selon les règles… Rabelais, Gargantua (chapitre 21), 1534

Publié le 19/06/2023

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« EXPLICATIONS LINÉAIRES L’étude de Gargantua selon les règles… Rabelais, Gargantua (chapitre 21), 1534 Français « L’étude de Gargantua selon les règles de ses précepteurs sophistes » * 5 10 15 20 25 […] Gargantua organisait ainsi son temps de manière à ce que, quotidiennement, il se réveille entre huit et neuf heures, qu’il fasse jour ou non.

Ainsi l’avaient ordonné ses vieux professeurs, alléguant les paroles de David : « Vanum est uobis ante lucem surgere1 ». Puis il agitait les jambes, sautillait, et se vautrait au milieu du lit un bon moment, afin de mieux réjouir ses esprits animaux2.

Ensuite, il s’habillait selon la saison.

Toutefois il portait volontiers une grande et longue robe de grosse laine doublée de renard.

Après, il se peignait avec le peigne d’Almain3, c’est-à-dire au moyen des quatre doigts et du pouce.

Ses précepteurs disaient en effet que se peigner autrement, ainsi que se laver et se nettoyer, était une perte de temps. Puis il fientait, pissait, vomissait, rotait, pétait, baillait, crachait, toussait, hoquetait, éternuait, laissait couler sa morve en archidiacre et déjeunait pour faire disparaître la rosée et le mauvais air.

Il avalait de belles tripes frites, de belles carbonnades4, de beaux jambons, de belles grillades de chevreau et beaucoup de soupes de prime5. Ponocrates lui fit observer qu’il ne pouvait pas autant manger aussitôt après être sorti du lit sans avoir fait au préalable de l’exercice.

Gargantua lui répondit : – Quoi ? N’ai-je pas fait suffisamment d’exercice.

Je me suis vautré six ou sept fois dans mon lit avant de me lever.

N’est-ce pas assez ? Le Pape Alexandre6 faisait de même, en suivant les conseils de son médecin juif 7.

Et il vécut jusqu’à sa mort, en dépit des jaloux.

Mes premiers maîtres m’y ont habitué.

Ils disaient que le déjeuner procurait une bonne mémoire.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils se trouvaient à table les premiers pour boire.

Je me trouve fort bien de tout cela, et n’en dîne que mieux.

Maître Tubal, qui obtint le premier l’examen pour le grade universitaire à Paris, me disait que courir tôt n’était pas le plus important, mais qu’il fallait plutôt partir de bonne heure.

Il ajoutait qu’on n’obtient pas la santé du corps en buvant en grandes quantités, comme des canes, et qu’il faut en réalité boire dès le matin. « Unde uersus 8. Se lever au matin n’est point gage de bonheur. Boire dès le matin, voilà qui est meilleur.

» (* Traduction et notes de Gérard Milhe Poutingon) 1.

« Il est vain de se lever avant la lumière » (Psaume CXXVII, 2).

Il était traditionnel d’alléguer cette phrase plaisamment. 2.

Éléments subtils, qui, selon la physiologie du temps, se propageaient du cœur et du cerveau dans tout l’organisme pour y provoquer et y maintenir l’énergie vitale.

3.

Jeu de mots sur le nom d’un théologien du début du XVIe siècle, Jacques Almain. 4.

Grillades. 5.

Tranches de pain trempées dans du bouillon que l’on mangeait généralement à prime, c’est-à-dire à six heures du matin. 6.

Alexandre VI Borgia, pape qui régna de 1492 à 1503 à Rome.

Rabelais enquêta sur ses débordements pour le compte de son protecteur, l’évêque de Maillezais, Geoffroy d’Estissac. 7.

Bonnet de Late, venu du Comtat Venaissin à Rome, médecin et astrologue.

Rabelais a maintes fois condamné l’empirisme des médecins juifs et arabes. 8.

« D’où les vers ». EXPLICATIONS LINÉAIRES L’étude de Gargantua selon les règles… Rabelais, Gargantua (chapitre 21), 1534 Français Introduction [Auteur, mouvement, œuvres] François Rabelais est un des grands hommes français de la Renaissance et de l’humanisme, tour à tour moine, médecin, romancier, condamné par la Sorbonne pour obscénités et irrévérences religieuses dans ses écrits, mais protégé de François Ier.

Il est l’auteur de cinq récits, Pantagruel, Gargantua, Le Tiers Livre, Le Quart Livre et Le Cinquième Livre, autour de la figure de ces deux géants, à l’héroïsme comique, dont les aventures sont aussi celles de la connaissance humaniste. [Présentation de l’œuvre au programme] En 1534-35, est publié sous l’anagramme d’Alcofribas Nasier, Gargantua, condamné par la Sorbonne, qui relate les aventures burlesques du géant éponyme, père du géant Pantagruel, dont Rabelais a déjà raconté les aventures en 1532. [Présentation de l’extrait] Grandgousier se rend compte que l’instruction de son fils, qu’il a confiée à Maître Thubal Holopherne, puis à Maître Jocelin Bridé, est plus que médiocre : lorsqu’il le met face à un page de douze ans de bonne instruction, Gargantua est incapable de répondre.

Son précepteur est donc mis à la porte et Gargantua est envoyé à Paris, où il va suivre l’enseignement des professeurs de la Sorbonne.

Cette éducation ne sera pas plus satisfaisante et c’est Ponocrates qui aura ensuite pour mission d’instruire Gargantua.

Avant de mettre en pratique ses méthodes humanistes, Ponocrates observe son élève pour se rendre compte de la manière dont il se comporte et de l’ampleur des dégâts causés par les « Sorbonnagres ».

Le chapitre 21 détaille ainsi les activités matinales de Gargantua, avant que Ponocrates ne les modifie. [Lecture du texte] [Problématique] Comment Rabelais dénonce-t-il ici avec humour l’obscurantisme de l’éducation moyenâgeuse des théologiens de la Sorbonne ? [Mouvements du texte] Le texte s’articule ainsi autour de deux mouvements : le premier mouvement évoque le déroulement de la journée de Gargantua, de son lever au petit-déjeuner ; le second mouvement reproduit l’entretien entre Ponocrates et Gargantua sur l’enseignement reçu par les « Sorbonnagres ». Premier mouvement (l.

1 à 14) : la matinée, du lever au petit-déjeuner Le début de la première phrase a une valeur introductive puisqu’elle permet de présenter l’emploi du temps quotidien de Gargantua à l’imparfait d’habitude : « Gargantua organisait ainsi son temps de manière à ce que, quotidiennement ».

Le réveil se fait « entre huit et neuf heures », c’est-à-dire bien plus tard que ce ne sera le cas avec Ponocrates, qui fera se lever son élève entre quatre et cinq heures pour des journées bien plus chargées en termes d’apprentissage.

Surtout, Rabelais fait ici preuve d’humour et d’ironie pour critiquer d’emblée la paresse des théologiens de la Sorbonne.

Il trouve en effet bon de préciser que l’heure du lever est toujours la même « qu’il fasse jour ou non », et que c’est là une prescription des Sorbonnagres (« Ainsi l’avaient ordonné ses vieux professeurs »), qui se fondent soitdisant sur l’autorité de l’Ancien Testament : « alléguant les paroles de David ».

Cependant, la citation latine « Vanum est uobis ante lucem surgere » qui signifie littéralement « Il est vain de se lever avant le … EXPLICATIONS LINÉAIRES L’étude de Gargantua selon les règles… Rabelais, Gargantua (chapitre 21), 1534 Français jour » renvoie, dans le psaume 127, à l’idée qu’il est inutile de se lever tôt pour aller travailler si l’on ne croit pas en Dieu.

Chez les théologiens, la référence au texte sacré ne sert en réalité qu’à se donner un prétexte pour ne pas trop se fatiguer, en occultant les deux idées implicites de la citation (celle du travail et celle de la foi en Dieu).

En tronquant la citation (la phrase complète est « Vanum est vobis ante lucem surgere : surgite postquam sederitis qui manducatis panem doloris cum dederit dilectis suis somnum », c’est-à-dire « En vain vous levez-vous tôt, vous couchez-vous tard, et mangez-vous le pain de la douleur ; Dieu en donne autant à ses bien-aimés pendant leur sommeil.

»), les théologiens la privent de son sens, qui est que le travail de l’homme doit être sanctifié par Dieu.

Rabelais se moque donc ici d’un contresens des théologiens qui justifie leur oisiveté, en même temps qu’il met en avant, de manière indirecte, l’un des principes fondamentaux des humanistes, qui était de revenir aux textes sacrés sans passer par des traductions. Après le réveil, Gargantua ne fait rien malgré ce que pourrait laisser supposer l’énumération de verbes d’action.

Ces activités sont en effet synonymes d’oisiveté et de paresse et elles se font paradoxalement au « lit », ce qui signifie que Gargantua, après s’être réveillé, reste encore couché « un moment ». Les trois verbes à l’imparfait riment et produisent un effet comique, montrant, de manière implicite, la sottise de cette éducation.

Alors que les verbes « gambader », « sautiller » et « réjouir » sont connotés plutôt positivement, le verbe « se vautrer », lui, renvoie à une attitude vulgaire, mise en évidence ensuite par la mention des « esprits animaux ».

Le récit de l’éducation des théologiens caricature et déshumanise Gargantua. Après ces ébats grossiers arrive l’heure de se vêtir.

Il est à noter que la narration de l’éducation des théologiens se fait par étapes, et que cette succession est présentée sans aucune transition (les seuls connecteurs logiques présents disent justement la succession : « ensuite », « après »), comme si Gargantua effectuait ces différentes occupations sans réfléchir, automatiquement.

En ce qui concerne la manière de se vêtir, l’humour de Rabelais apparaît encore une fois dans la contradiction qu’il met en évidence.

En effet,.... »

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