Lecture linéaire n°7 « A une mendiante Rousse »(1857) Extrait des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
Publié le 23/05/2023
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«
Lecture linéaire n°7
« A une mendiante Rousse »(1857)
Extrait des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
Introduction
• Contexte historique et esthétique: 1857, IInd empire, bascule vers la modernité,
fin du romantisme, déjà critiqué par le réalisme
• Auteur : Charles Baudelaire (1821-1867), Poète épris de marginalité, qui souhaite
épouser la modernité, et lui trouver une expression artistique
• Œuvre : Les Fleurs du Mal, recueil de poèmes en
tension permanente, cultivant les paradoxes (le
titre est un oxymore), entre le spleen et l’idéal,
le laid et le beau, le lyrisme et la philosophie …
Beaucoup de poèmes adressés « A une
passante », « à celle qui est trop gaie », « à une
madone » et …
• Texte: « A une mendiante rousse » illustre ainsi
parfaitement la vision paradoxale de l'artiste sur
le monde qui l'entoure.
Paraît d’abord dans le
journal Le Présent du 15 novembre 1857, avec
deux autres de la section des « Tableaux
Parisiens » : « Paysage » et « Le Soleil ».
Poème très long (14 quatrains) qui se présente
sous la forme d’une scène vue d’une
« mendiante » (prostituée et/ou sans abri)
texte
Problématique (historique): Comment Baudelaire livre un
poème qui s’arrache à la lyrique médiévale puis romantique
pour forger un fragment de symbolisme et de modernité?
Mouvements du texte: comme assez
souvent, le poème est assez narratif.
Le
découpage sera donc peu théorique et
suivra 3 moments:
1er moment (vers 1 à 12): une scène
vue, enclenchant un éloge paradoxal
d’une beauté urbaine
2ème moment (vers 13 à 44) : Un conte
moderne et fantasmé de la mendiante
au pied nu
3ème moment (vers 45 à 56) : Un retour à
la réalité et une méditation sur la
I- Eloge paradoxal d’une beauté urbaine
Titre: « A une mendiante rousse »
Appartenance à l’écriture encomiastique et au
genre épidictique = éloge paradoxal car le poète ne
s’adresse pas à une dame, mais à une « fille »
misérable.
BAUDELAIRE N’EST PAS (DU TOUT) un POÈTE
SOCIAL (voir les poèmes « Assommons les
pauvres » ou « le miroir » dans le Spleen de Paris)
Plus digne de commentaire est
l’adjectif épithète « rousse » renforce
encore l’exclusion de la jeune fille, car
à cette époque les personnes rousses
étaient victimes de préjugés : on
associait leur chevelure au Diable, et
souvent à la prostitution.
1
« Blanche fille aux cheveux roux »
Antithèse de « Blanche » et
« roux » dans les couleurs + les
connotations axiologiques (c.a.d
morales ou esthétiques) de
l’innocence VS le mal.
« Blanche fille » = oxymore car
« fille » désigne prostituée au
XIXème siècle (difficilement
innocente, donc) Signe d’une écriture artiste, qui cherche
l’impression avant le motif par l’emploi
de l’antéposition et du vocatif (=
apostrophe) qui embraye pour une
longue phrase courant sur les 3
premières strophes dans une séquence
archi régressive, en cadence mineure,
dont le motif et le sujet grammatical, le
« corps » n’apparaît qu’au vers 6
« Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté, »
4
L’effet
d’attente évoqué prolongé par la longue
subordonnée relative, d’abord par métalepse (les
trous sont la conséquence de la pauvreté) puis par
une belle hyperbate, dont l’effet est
considérablement renforcé par le rétrécissement
métrique (heptasyllabe > tétrasyllabe).
mélange
d’esthétisme (écriture artiste) et de réalisme
(l’attente correspond à celle, empirique, des
spectacles et prestations érotiques).
Le « trou »
introduit d’ailleurs le thème du voyeurisme.
Tension
permanente du poème.
Impossible de ne pas voir, dans cette première strophe,
l’association par rimes plates de « pauvreté » avec
« beauté ».
Goût de Baudelaire pour la marginalité, qui est aussi
originalité et qui bouscule la norme
Association volontairement paradoxale pour laisser le
lecteur faire le lien, dans une esthétique de la réception,
Enfin la strophe en intégralité fait écho,
par intertextualité, au conte de Peau d’Âne
de Charles Perrault, c’est ce fragment
qu’on voit ici derrière le « trou »…
Correspondances lexicales et sémantiques (= de sens)
nombreuses, donc limpides
Interprétation à venir, en croisant avec d’autres
références aux contes merveilleux féminins, plus tardives
dans le poème
Idée à retenir d’une représentation fantasmée et
symbolique autour du rite de passage de la fille à la
🙨 2ème strophe
« Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
8 A sa douceur.
»
Manifestation
assez emphatique de l’auteur
(moi = poète), mise en relief par la légère
allitération sur la consonne explosive bi-labiale
[p] (// à une passante « moi, je »)
Mise en scène de Baudelaire à rebours
du « mage » ou du « phare » hugolien,
qui était le lien entre les hommes et
Dieu.
Ici identification par les
qualificatifs « chétif » pour le poète et
« maladif » pour la fille.
B.
se met au
même niveau que sa « fleur du mal »
dans un poème qui a quelques racines
dans l’écriture réaliste (dans l’image
désidéalisée –au départ- de la femme et
🙨 3ème strophe
« Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
12 Tes sabots lourds.
»
Introduction d’une dimension ludique du poème, dans un
jeu avec la littérature plus ancienne.
L’adverbe
« galamment » fait entendre à la fois « galant » et
« amant », renvoyant à l’amour courtois, ce qui est
confirmé par la « reine de roman » (par excellence
Guenièvre).
Le mot renvoie aussi à un calembour poétique
« Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l’arène à la tour Magne à Nîmes »
L’alliance des « cothurnes » et des
« sabots » concentre sémantiquement
toutes les idées de cette strophe:
Le mélange paradoxal du noble et du
misérable
Le mélange de l’ancien (le mot est
archaïque) et du moderne (désignant les
lacets de la lingerie)
Diptyque holorime Attribué à Victor Hugo recul critique et ironique
-
II- Le conte fantasmé et visionnaire d’une
mendiante au pied nu
Structure
-
du second mouvement
Poème change de structure verbale et de regard
d’abord par l’emploi des subjonctifs optatifs (=
exprimant une prière) QUE + Subjonctif
puis d’un irréel du présent avec l’emploi du
conditionnel.
Le poète devient ici une sorte de « parrain » magique,
comme la fée est la marraine dans Cendrillon, en plus
« Au lieu d'un haillon
trop court,
Qu'un superbe habit de
cour
Traîne à plis bruyants et
longs
16 Sur tes talons ; »
🙨 5ème strophe
🙨 6ème strophe
« En place de bas
« des nœuds mal attachés
troués,
Dévoilent pour nos péchés
pour les yeux des roués
Tes deux beaux seins,
Sur ta jambe un
radieux
poignard d'or
24 Comme des yeux ; »
3 strophes contigües 20
- structure
hétérométrique
et cadence mineure
Reluise encor ; »
-mise relief de 3 chutes visuelles, en gradation
érotique> regard vertical, fasciné et un peu soumis (celui du voyeur)
allant des « talons » (v.16) aux « seins » (v.24), en passant par les
« jambe[s] » (v.19)
Réinvention du blason (poème en rimes plates du XVème siècle,
célébrant de façon hyperbolique et idéale une partie du corps
féminin).
Ici plusieurs parties, mais qui reprennent la figure et l’idée
de la synecdoque (évoquer un tout par une partie) permanente
Complaisance évidente pour l’état
initial de la mendiante, qui dévoile
un érotisme outrancier et
volontairement vulgaire, avec le
« haillon trop court », les « bas
troués » et les « nœuds mal
attachés », qui tous évoquent la
MAIS plume bienveillante, jouant sur une isotopie lexicale connotant la
noblesse (la « cour », le verbe « traine », l’ « or » redoublé par la rime et
la licence poétique sur « encor ».
Le système d’antithèses entre ce qui est
patent (la prostitution vulgaire) et ce qui est latent (une élégance
intérieure), et que le poète souhaite réaliser par le verbe, plaide en faveur
de la femme.
Deux
figures de styles concentrent les effets de sens:
- Le très allégorique « poignard d’or » (v.19) connote bien sûr la
noblesse, mais aussi assez clairement l’idée d’une défense fine et
Surtout la clausule poétique des « seins »
féminine (le poignard
n’est pas une épée), face aux « roués ».
La
« radieux
comme
des yeux
»(v.23-24).
représentation péjorative
affecte
les hommes,
non
la mendiante.
Comparaison extrêmement curieuse.
Mise en relief
des « yeux » par la diérèse qui précède: « radieux » et renversement complet: la poitrine féminine
acquiert la noblesse des yeux (liés par tradition
religieuse et poétique à l’âme), et surtout regarde
au lieu d’être passivement regardée:
- questionnement de l’obscène (pourquoi des seins
seraient moins nobles que des yeux?) = mise en avant
du rôle du regard dans l’art et la morale
- mise en avant subtile de la question sociale et
psychanalytique de....
»
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