le réalisme

« LE RÉALISME DE 1850 « Le canard lancé, il a fallu y croire » : voilà comment Baudelaire racontait l'histoire du réalisme .

Contre le mot de ralliement « Roman­ tisme », certains blagueurs, comme le peintre Gustave Courbet, comme le romancier Cham­ fleury, ont lancé ce« mot d'ordre, ou de passe».

Parce qu'ils se sont mis en tête d'étudier minu­ tieusement le réel, ils ont cru qu'ils allaient le saisir.

Illusion, proclame le poète des Fleurs du mal.

Illusion, répéteront après lui tous ceux qui s'acharneront à démontrer 1 'impossibilité d'un réalisme intégral, -Albert Camus, par exemple, dans L'homme révolté.

Mais Camus reconnaît que, si « en fait, 1 'art n'est jamais réaliste, il a parfois la tentation de l'être».

C'est l'histoire de cette tentation qui doit constituer l'essentiel d'un panorama de la litté­ rature française dans la seconde moitié du XIXe siècle.

D'un côté, on y trouve un réalisme de l'observation dont le roman , de Flaubert à Zola, est le domaine privilégié, mais qui marque aussi la poésie parnassienne.

De l'autre, un réalisme de la découverte qui place ailleurs qu'en notre monde matériel la vraie réalité : « La poésie, écrit Bau­ delaire, est ce qu ' il y a de plus réel, c'est ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde ».

Réalisme, alors, que le symbolisme, en sa quête du moins ...

Que Baudelaire le veuille ou non, la tentation du « réalisme d'observation » s'est exercée avec une force singulière sur les écrivains et, plus largement, sur les artistes de sa génération : Les romanciers qui avaient grandi avec le siècle, et qui avaient vingt ans en 1820 [ ...

] portent tous dans le roman une force hors pair d'imagination créatrice.

Ils ont beau utiliser leurs souvenirs, et leur milieu, leur invention n'en devient que plus libre et plus nourrie.

Leur mot d'ordre est celui de leur chef, Balzac :la concurrence à l'état civil.

Vers 1850, cette concurrence s'apaise.

Devant l'état civil, les romanciers passent de la condition de concurrents à la condition d'employés.

C'est le réalisme (1).

1.

Ces lignes sont d'Albert Thibaudet, qui a souligné fortement, - trop fortement peut-être,- la « coupure» de 1850.

Les conditions historiques On est tenté de chercher une explication réaliste du réalisme en invoquant le déterminisme his­ torique.

Le romantisme avait été l'âge de l'individu.

La révolution de 1848 a rappelé l'existence du peuple et inauguré peut-être l'âge de la masse.

Une présence qui effraie, qui inquiète.

Taine, dans la Préface des Origines de la France contem­ poraine, avouera qu'il fut bien embarrassé en 1849 pour voter.

Flaubert, dans L'éducation sentimentale, ironise, avec le bohème Hussonnet, sur le mythe du « peuple souverain » et « les héros» qui «ne sentent pas bon » : mais le héros du livre, Frédéric Moreau, les trouve« sublimes».

Le roman ne devra plus présenter une collection d 'in dividus, comme chez Balzac, ou des types populaires, comme chez Eugène Sue, mais rendre sensible une présence collective.

Le plébiscite, devenu depuis le 21 décembre 18511'instrument suprême du pouvoir du« Prince président » et bientôt de l'Empereur, est une manière de conserver des apparences démocra­ tiques à un régime qui ne l'est plus.

Si les roman­ tiques, les idéalistes, les cœurs purs sont déçus, le bourgeois (dont au même moment Henri Monnier immortalise le type avec son Joseph Prudhomme) y trouvera son compte.

Cet « être de formation récente » qui, comme l'a expliqué Taine, est le « produit des grandes monarchies bien administrées », permet à la puissance d'argent de s'installer.

Napoléon III, qui a naguère écrit un traité saint-simonien sur L'ex­ tinction du paupérisme (1844), n'agit pas en théo­ ricien une fois maître du pouvoir.

Mais, auto­ ritaire, libéral ou parlementaire, l'Empire accorde beaucoup d'attention à la vie économique et matérielle dont l'essor extraordinaire (création des banques, des grands magasins, extension du commerce, travaux d'urbanisme, développement des voies de communication, expositions) a pour résultat de résorber le chômage et de faire pro­ gresser le niveau de vie de tous les Français.. »