L'ART

« QUESTIONS DE COURS L'ART Il n'est pas inutile, Ici, de savoir que l'art n'a pas toujours dési­ gné les beaux-arts, que la distinction entre l'artisan et l'artiste est assez récente.

Mais on prêtera attention à l'analyse de l'émo­ tion esthétique, ainsi qu'à celle des rapports de l'art et du vrai : ces deux problématiques s'imposent dan� d� nombreux sujets.

► artisan et artiste ■ L'art de l'artisan, c'est son métier, le savoir faire par lequel il produit des ob)ets utiles : sa technique. ■ L'art de l'artiste désigne « toute production de la beauté par les œuvres d'un être conscient» (Lalande) ou encore toute création d'œuvres qui ont un intérêt, une valeur esthétique. N.B.

Ce second sens (le sens esthétique de l'art) est aujourd'hui le plus usuel.

C'est au XVIII• siècle que l'artiste se sépare de l'artisan et que «l'art» désigne très généralement les beaux-arts.

On peut expliquer cet avènement par celui d'une production industrielle qui repose sur une technique de plus en plus consciente de ses règles par opposition aux manières artisanales de produire, où le talent et l'ingéniosité de l'ouvrier (en particulier dans le chef-d'œuvre) ne diffèrent pas essentiellement des manières artistiques de produire.

UNE SATISFACTION DES DÉSIRS DANS L'IMAGINAIRE Freud observe que l'ordre des choses ou l'ordre social rendent impossible la satisfaction réelle de nombreux désirs.

Rêveries et fantasmes procurent dans l'imaginaire un plaisir auquel il faut renoncer dans la réalité.

L'artiste est celui qui sait mettre en scène des désirs inconscients sans provoquer gêne, angoisse ou désintérêt chez les autres, mais au contraire une sorte d'émo­ tion libératrice.

Aristote nommait catharsis cet apaisement de l'âme que peut produire l'émotion esthétique.

Ainsi : La tragédie, « en suscitant pitié et crainte, o�^C une purgation [catharsis] de ces émotions».

(ARISTOTE, Poétique, VI, 1449, pp.

27-28.) UN PLAISIR DÉSINTÉRESSÉ Freud reconnaît que l'artiste nous séduit aussi par le « plaisir attaché à la beauté de la forme».

On nomme jugement de goût cette aptitude à sentir la valeur proprement esthétique d'une œuvre.

Ce �nRLaLbl ne déclare pas simplement un objet agréable, c'est-à-dire capable de satisfaire un désir qui peut varier selon les êtres, donc de procurer une jouissance sensuelle (de sorte que sur ce plan « il faut admettre le principe : à cha­ cun selon son goût»); il affirme sa beauté c'est-à-dire son pou­ voir de faire naître une satisfaction désintéressée chez n'importe quel homme.

« Quand [ un homme] donne une chose pour belle, il prétend trouver la même satisfaction en autrui; il ne juge pas seulement pour lui mais pour tous et parle alors de la beauté comme si elle était une propriété des objets.» (KANT, Criti­ que de la Faculté de Juger, 1790, § 7.) L'origine du plaisir esthétique permet de comprendre cette exi­ gence d'universalité qu'aucune science ne peut établir.

Ce plaisir est désintéressé; il naît, hors de tout désir, du libre jeu de facultés universelles; une certaine harmonie de l'imagination et de l'entendement, dans laquelle l'une et l'autre s'animent indé- finiment.

« Quand l'imagination dans sa liberté réveille l'entendement, et que celui-ci sans le secours des concepts, provoque le jeu régulier de l'imagination, alors la représentation se communique, non en tant que pensée, mais en tant que sen­ timent interne d'un état harmonieux de l'esprit» (Ibid.

§ 40.) Le génie artistique est le créateur qui produit des œuvres capa­ bles de plaire ainsi universellement, mais il ne « peut exposer scientifiquement comme il accomplit son œuvre » (§ 46); d'autre part, ses productions sont originales et exemplaires.

L'ART RÉVÈLE CE QU'EST L'ARTISTE On dit que l'artiste manifeste son imagination, exprime sa per­ sonnalité dans son œuvre.

C'est encore la thèse de Freud, le créateur est celui qui satisfait ses aspirations inconscientes par l'élaboration d'un monde Imaginaire socialement acceptable.

L'ART RÉVÈLE CE QU'EST LA RÉALITÉ VÉRITABLE ► Bergson « L'art n'est sûrement qu'une vision plus directe de la réalité.» Notre perception ordinaire du réel est utilitaire : nous percevons la réalité à travers des classifications simplificatrices, nous négli­ geons ce que, dans sa «distraction», l'artiste perçoit pour nous le révéler : cette « individualité des choses et des êtres» qui en sont la véritable réalité.

« L'art n'a d'autre objet que d'écarter les symboles P!atiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même.» (H.

BERGSON, Le Rire, 1900, ln Œuvres, PUF, pp.

462-464.) ART ET ILLUSION ► Platon 11 dénonçait l'illusionisme des artistes, qui détourne de l'intelli­ gible, du monde des Idées réellement réelles, en nous attachant à de simples apparences sensibles.

► Nietzsche « Il serait possible que la véritable nature des choses fût telle­ ment nuisible, tellement hostile aux conditions mêmes de la vie, que l'apparence fût nécessaire pour pouvoir vivre» ( Volonté de puissance 1, 2/2).

Les illusions de l'art nous protègent, nous diver­ tissent de l'abîme.

Mais l'artiste participe de la puissance inter­ prétative de la vie et ses jeux sont comme un savoir tragique du �Ln créateur du Devenir.. »