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la justice (cours)

Publié le 22/03/2024

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« La justice Dans la Bible, le Premier Livre des Rois met en scène un différend qui oppose deux femmes ayant chacune mis au monde un enfant, mais l’un était mort étouffé.

Elles se disputèrent alors l’enfant survivant.

Pour régler ce désaccord, le roi Salomon réclama une épée et ordonna : « Partagez l’enfant vivant en deux et donnez une moitié à la première et l’autre moitié à la seconde ».

L’une des femmes déclara qu’elle préférait renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir.

De ce fait, Salomon reconnut la véritable mère de l’enfant.

Il lui donna le nourrisson et sauva ainsi la vie de l’enfant.

Le jugement de Salomon donne le sentiment d’une justice authentique car il combine la vertu d’un juge tempéré, une manière souple d’appliquer la loi et un idéal de justice visant à rendre à chacun ce qui lui est dû. Mais cette harmonie est-elle envisageable dans les faits ? Dans les États modernes, un tel jugement serait impossible car le droit encadre strictement les prérogatives de l’institution judiciaire.

A quelles conditions le principe de justice, l’institution qui l’incarne et les juges qui le représentent peuvent-ils alors parvenir à interagir sans se contredire ? I/ Qu’est-ce que la justice ? 1) Une institution garante du droit Dans une société, la justice est l’institution (le pouvoir judiciaire) chargée de faire respecter les droits, c’est-à-dire l’ensemble des lois qui règlent les rapports des hommes entre eux. Cette institution fonctionne à l’aide d’administrations et de personnes (tribunaux, magistrats, avocats, etc.) assurant la bonne application de la législation en vigueur.

Celle-ci suppose l’égalité des individus devant la loi, mais aussi la possibilité de faire preuve d’une certaine équité, c’est-à-dire d’une faculté d’ajuster la loi dans les cas qu’elle n’a pas initialement prévus. 2) Une norme du droit et un idéal philosophique La justice n’est pas seulement l’institution garante du droit.

Elle est aussi une norme morale et politique qui définit ce qui doit être.

C’est en vertu de cette norme que les règles considérées comme les plus « justes » entrent dans le droit. Or, l’établissement de cette norme, de cette valeur soulève le problème philosophique d’une justice idéale.

En effet, pour que l’institution judiciaire ne soit pas qu’un pouvoir arbitraire, elle doit se fonder sur un principe universel, valable pour tous et indépendant des intérêts particuliers.

Ce principe soulève donc la question des liens entre le légal (la conformité aux lois d’une institution) et le légitime (la conformité à une justice supérieure à toute institution) qui, idéalement, devraient coïncider, mais sont loin d’être harmonieux dans la réalité. 1 II/ Peut-on enfreindre la loi au nom de la justice ? Il n’est pas rare qu’une loi soulève une indignation collective et un sentiment d’injustice. Certains sont alors tentés de l’enfreindre.

Pourtant, il est permis de questionner la pertinence de ce passage à l’acte.

N’est-il pas pire que le mal qu’il prétend combattre ? Et au nom de quelle définition de la justice cette infraction pourrait-elle être considérée comme légitime ? 1) Une thèse de Thomas d’Aquin (théologien et philosophe italien du 13 e siècle) « Nous avons dit, à propos de l’étude des lois, que les actes humains soumis aux lois portent sur des situations singulières qui peuvent varier à l’infini.

Il est donc impossible d’instituer une loi qui ne serait jamais dans aucun cas en défaut.

Pour établir une loi, les législateurs considèrent les conditions générales ; mais l’observance de cette loi serait dans certaines situations contraire à la justice et au bien commun que la loi entend sauvegarder.

Par exemple, la loi déclare qu’il faut rendre un dépôt, ce qui est juste dans la généralité des cas particuliers, mais peut devenir dangereux dans des cas particuliers, tel le fou qui réclame l’épée qu’il a déposée, ou l’individu qui réclame son dépôt pour trahir sa patrie.

En pareilles circonstances et d’autres semblables, il serait mal d’obéir à la loi, et le bien consiste à transgresser la lettre de la loi pour rester fidèle à l’esprit de justice et à l’exigence du bien commun.

» 1269 Thomas d’Aquin, Somme théologique, Thomas d’Aquin met en valeur une tension propre à tout système juridique.

La loi est établie par des êtres humains (les « législateurs ») qui ne peuvent pas prévoir l’ensemble des situations dans lesquelles elle est appelée à être appliquée.

Ils ont fait la loi en fonction des « conditions générales », c’est-à-dire des situations les plus habituelles, alors que les situations varient « à l’infini ». Cette tension est une source de difficultés dans l’application de la loi.

En effet, certaines circonstances spécifiques et imprévisibles sont contraires aux situations prévues à l’origine par les législateurs (« tel le fou qui réclame l’épée qu’il a déposée »).

Dans ce cas, l’application de la loi aurait l’effet inverse de celui pour lequel elle a été mise en place et risquerait de nuire au bien- être collectif, au « bien commun ». Lorsqu’un tel cas se présente, il faut selon Thomas d’Aquin considérer que les conséquences d’une application mécanique de la loi contredisent l’esprit de justice dans lequel elle a été pensée au départ.

Il est donc raisonnable et nécessaire de contourner ou d’ajuster la loi (d’en « transgresser la lettre ») de façon à préserver l’idéal qu’elle vise à servir c’est-à-dire l’idéal de justice et la sauvegarde des intérêts de tous. 2 Dans la mesure où la justice est l’institution chargée de faire respecter la loi, il semble pourtant difficile d’envisager que l’on puisse enfreindre la seconde au nom de la première, les deux étant censées être liées. Mais quelle autre solution reste-t-il lorsque le contenu d’une loi ou les conséquences de son application entrent en conflit avec l’idéal de justice auquel cette loi est censée répondre ? Faut-il se contenter de la discuter, ou est-il moralement légitime et politiquement nécessaire d’aller jusqu’à lui désobéir ? 2) La légitimité du sentiment d’injustice en question Le sentiment d’injustice est souvent revendiqué comme un motif suffisant pour justifier la transgression d’une loi.

Pourtant, l’idéal d’une justice meilleure peut-il se fonder sur le ressenti subjectif de l’injustice, ressenti variable d’un individu à un autre ? Comment la cohésion sociale pourrait-elle être maintenue si chacun prétend décider de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas au nom de sa morale personnelle ? Il faut donc peser les termes de la question.

Tout être humain a certes le droit moral de réfléchir à sa propre conception de la justice, mais il serait dangereux qu’il puisse l’imposer sur la base de sa seule impression, car le droit se dissoudrait alors dans un rapport de force. Pourtant, il est difficile de nier qu’il existe des circonstances dans lesquelles la loi entre en conflit avec la justice qu’elle est censée incarner.

Tout d’abord, même les lois les mieux faites peuvent rencontrer des situations qui rendent leur application problématique.

En effet, la loi est conçue par des hommes qui, par définition, ne peuvent posséder une connaissance universelle.

Ils façonnent donc les lois en fonction de la majorité des cas, et des conditions les plus générales.

Mais comme le rappelle Thomas d’Aquin, chaque situation restant unique, il existera toujours des circonstances particulières dans lesquelles une loi ne peut être appliquée sans contredire « l’esprit de justice ». Devant ce conflit entre la loi et l’esprit de justice, il devient légitime d’envisager des ajustements de la législation.

Cela n’exige pas d’enfreindre l’ensemble du système légal, mais simplement de contourner ou d’adapter certains de ses éléments pour préserver sa cohérence et son accord au principe de justice.

C’est ce qu’Aristote nomme l’équité dans l’Éthique à Nicomaque, à savoir un « correctif du juste légal ». 3) L’existence de lois injustes et les conditions d’une désobéissance raisonnable Mais en dehors de cet écart ponctuel entre la loi et la justice, il existe aussi des législations qui bafouent le respect le plus élémentaire de la dignité humaine.

Si l’on prend l’exemple des lois ségrégationnistes aux États-Unis (abrogées en 1964) ou celles de Nuremberg dans l’Allemagne nazie (à partir de 1935), nous n’avons plus affaire à une mise en défaut circonstancielle du système juridique, mais à la négation pure et simple d’une justice à vocation universelle.

Dans cette situation, le droit positif (l’ensemble des lois réelles, établies dans une société) devient contradictoire avec le concept de droit naturel, qui.... »

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