L'intérêt et le plaisir que vous prenez à la lecture d'un récit dépendent-ils pour vous de sa longueur ?

« L'intérêt et le plaisir que vous prenez à la lecture d'un récit' dépendent-ils pour vous de sa longueur ? Introduction. L'art du récit, probablement issu de l'art du conteur encore vivant dans les pays du Maghreb et d'Afrique noire, faitintervenir le critère de la durée.

Comme le conteur, qui à la veillée par exemple, raccourcit ou étend son récit selonla demande du public, l'auteur peut adopter une forme brève ou longue.

Les formes brèves sont le récit (de quelquespages), la nouvelle et le conte (de longueur variable mais plus étendue que le récit).

Les formes longues sont leroman, également de longueur variable : pensons aux romans-fleuves, aux romans-sommes ou aux romans-feuilletons.

Le critère objectif de la longueur du texte a des incidences sur des notions purement subjectives, cellesdu plaisir et de l'intérêt du lecteur.

On peut ainsi se demander si « l'intérêt et le plaisir que l'on prend à la lectured'un récit dépendent de sa longueur » ?Quels sont en effet les avantages et les inconvénients respectifs des formes brèves et des formes longues ? I.

Les incidences d'un texte bref sur le mode de lecture. Le mode de lecture d'une nouvelle ou d'un recueil de nouvelles est différent de celui d'un long roman à cause descritères de temps, de spécificité structurale, de diversité et de risque de dispersion. 1.

Le temps de lecture.La nouvelle se lit vite, ce qui peut apparaître comme un avantage pour un lecteur pressé.

Chaque nouvelle durecueil constitue un tout, ce qui permet d'achever la lecture de plusieurs nouvelles, sinon du recueil, au lieud'abandonner, par lassitude ou manque de temps, la lecture d'un roman. 2.

La spécificité structurale.L'esthétique de la nouvelle exige un développement rapide des lieux, des personnages, de l'intrigue.

Elle estcomparable de ce point de vue à une pièce de théâtre : ce sont des genres qui « n'ont pas le temps ».On peut aussi comparer nouvelles et romans d'un même auteur, ce qui fait ressortir les différences d'écriture.Ex.

: — Trois Contes de Flaubert.

Comparer Un coeur simple avec Madame Bovary (deux textes réalistes,contemporains et normands) ou Hérodias avec Salammbô (deux textes orientaux et flamboyants).— Boule-de-Suif avec Une vie ou Bel-Ami de Maupassant (un épisode significatif d'une vie dans la nouvelle et labiographie complète des héros dans les deux romans). 3.

La diversité d'inspiration.Les contraintes d'écriture expliquent la grande diversité d'inspiration de ce genre à tort considéré « mineur ».

Lesdifférents modes de narration dans la nouvelle :— Une histoire brève qui s'étend dans le temps et dans l'espace, mais moins cependant que dans le roman.Ex.

: Le K de Dino Buzatti (première nouvelle du recueil), Colomba de P.

Mérimée.— Un épisode précis d'une vie.Ex.

: La Métamorphose de F.

Kafka.— Un instant, une coupe dans le réel (ce qui est presque l'opposé du roman).Ex.

: Douce Nuit de D.

Buzatti dans le recueil Le K.La composition française 4.

La diversité des nouvelles au sein d'un même recueil.Le lecteur de nouvelles, à la différence de l'amateur de roman, change de monde, de personnages, d'intrigue, voirede style, au sein d'un même recueil.Ex.

: Les Trois Contes de Flaubert qui juxtaposent Un coeur simple (l'histoire réaliste de la servante Félicité), LaLégende de Saint-Julien l'Hospitalier (médiévale et mystique) et Hérodias (l'évocation de la mort de saint Jean-Baptiste). 5.

La dispersion.Conséquence, néfaste de cette diversité, la publication de différentes nouvelles en un recueil oblige le lecteur à unelecture fragmentée.

Il doit faire un effort d'adaptation et de concentration démultiplié par rapport au lecteur deromans.

Il risque d'oublier davantage ce qu'il a lu que le lecteur de romans.C'est pourquoi les auteurs de nouvelles réintroduisent parfois un principe d'unité dans leurs recueils.Ex.

: — Enfantines de V.

Larbaud : les nouvelles traitent toutes de l'enfance.— Le K de Dino Buzatti : irruption du fantastique dans la vie quotidienne. Transition. La spécificité structurale de la nouvelle permet au lecteur pressé d'achever sa lecture, de ne pas avoir l'impressionde perdre du temps à cause de « longueurs » (descriptions, analyses, portraits).

La diversité a cependant sonrevers, la dispersion et les risques d'oubli.

L'auteur paraît parfois subir la tentation de la nouvelle longue, commeColomba par exemple qu'on peut considérer comme une nouvelle longue ou un court roman.

C'est la preuve que laplongée dans un univers romanesque peut sembler nécessaire à l'auteur et au lecteur.. »