JOUER À FROID

« §] JOUER À FROID .•.

et c'est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes.

Denis Diderot ....

Un acteur doit-il être pris par son rôle, jouer d'inspira­ tion en se prenant le temps de la représentation pour le per­ sonnage qu'il joue, ou, au contraire, doit-il jouer en restant constamment de sang-froid et se contentant d'effets calcu­ lés? Diderot (1713-1784), dans le Paradoxe sur le comé­ dien, dialogue publié après sa mort, répond avec netteté : les grands comédiens sont ceux qui jouent «de réflexion» et non ceux qui jouent «d'âme».

«C'est l'extrême sensibilité qui fait les acteurs médio­ cres; c'est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs; et c'est le manque absolu de sensi­ bilité qui prépare les acteurs sublimes.» Les signes de l'émotion que donne le grand comédien ne sont pas le fruit de l'émotion -qu'il ressent, mais le résultat d'une attitude concertée: «Les larmes du comédien descendent de son cerveau ; celles de l'homme sensible montent de son cœur: ce sont les entrailles qui troublent sans mesure la tête de l'homme sensible; c'est la tête du comédien qui porte quelquefois un trouble passager dans ses entrailles ; il pleure comme un prêtre incrédule qui prêche la Pas­ sion; comme un séducteur aux genoux d'une femme qu'il n'aime pas, mais qu'il veut tromper; comme un gueux dans la rue ou à la porte d'une église, qui vous injurie quand il désespère de vous toucher; ou, comme une courtisane qui ne sent rien, mais qui se pâme dans vos bras.». »