Databac

Explorer les fondements du panorama : la « Vue d’Athènes en 1674 »

Publié le 29/10/2023

Extrait du document

« Raphaëlle Merle, biographie personnelle Raphaëlle Merle est doctorante en histoire de l’art de la période moderne à l’Université ParisNanterre, sous la direction du Professeur Marianne Cojannot-Le Blanc, au sein de l’école doctorale 395 - Milieux, cultures et sociétés du passé et du présent et de l’Équipe d’accueil 4414 Histoire des Arts et des Représentations (HAR).

Elle travaille sur les représentations ayant trait à l’Antiquité associées aux voyages des ressortissants d’Europe occidentale dans l’Orient méditerranéen, entre le milieu du XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle. Explorer les fondements du panorama : la « Vue d’Athènes en 1674 » L’ample tableau de 5,20 mètres sur 2,60 mètres qui représente une « Vue d’Athènes en 1674 » et qui est aujourd’hui conservé au Musée de la ville d’Athènes, a probablement été exécuté en 1676 [Fig.

1].

Commandité par Charles Olier de Nointel, alors ambassadeur de France à Constantinople, il a très vraisemblablement été peint par Jacques Carrey1.

Il est l'un des quatre tableaux destinés à commémorer le voyage entrepris par l'ambassadeur et sa suite, entre l'automne 1673 et le début de l'année 1675, dans les Échelles du Levant.

À ma connaissance, ce tableau n’a donné lieu qu’à une seule étude, réalisée par Théophile Homolle, en 18942.

L'auteur s'était attaché à analyser le tableau dans une perspective archéologique, en insistant notamment sur la précision topographique et archéologique contenue dans ce témoignage pictural.

Si la notion de panorama paraît ici anachronique pour qualifier cette œuvre, toutefois, le projet artistique associé à sa réalisation présente, me semblet-il, des caractéristiques intrinsèquement panoramiques, par son format, tout d'abord, extrêmement large, et par son cadrage.

C'est donc au « regard panoramique » - pour reprendre l'expression de Jan Blanc qui s'intéresse au panorama avant son invention formelle3 - qui se manifeste dans ce tableau que cette étude propose de s’intéresser, en tentant notamment de répondre à une double question. Quels rapports au lieu et quels rapports au temps ce regard panoramique exprime-t-il ? Nous examinerons, tout d'abord, la représentation qui est ici livrée de l'antiquité de la ville, avant d’étudier la façon dont est mis en scène le récit contemporain qui entoure la redécouverte de la cité athénienne. En dernière analyse, nous explorerons la vision topographique offerte par ce tableau, dans la perspective des investigations projetées à l’époque de Nointel. Un regard panoramique sur l'Athènes antique La ville d'Athènes est figurée en fond, au second plan du tableau, entourée par une enceinte fortifiée, organisée autour d'un point culminant, central : l'Acropole [Fig.

1].

En dehors de quelques coupoles d'églises et de quelques mosquées que Théophile Homolle s’attache à identifier4, les autres monuments situés au sein de l'enceinte urbaine semblent difficiles à discerner : ils disparaissent au sein de l'amas des toitures ocres.

En revanche, la netteté qui s'attache à la représentation des monuments antiques frappe l'oeil de l'observateur.

À gauche et en dehors de la ville fortifiée sont 1 Jacques Carrey, né le 12 janvier 1649 à Troyes et mort dans cette même ville en 1726, élève de Charles Le Brun, fut envoyé à Constantinople pour y étudier les ornements orientaux avant de rejoindre l’ambassade de Nointel.

Voir à son sujet Antoine-Henri François Corrard de Breban, « Recherches sur quelques œuvres de Jacques Carrey, peintre troyen, communiquées à la Société académique, dans sa séance du 20 novembre 1863 », Mémoires de la Société Académique de l’Aube, Paris, Dufour-Bouquot, 1864, p.

77-91 ; Irini Apostolou, « Jacques Carrey (1649-1726) et ses dessins orientaux : un artiste troyen au service de l'ambassadeur de France à la Sublime Porte », Bulletin de la Société de l'Histoire de l'Art français, Paris, Société de l'Histoire de l'Art français, 2001, p.

63-87. 2 Voir Théophile Homolle, « Vue d’Athènes en 1674 », Bulletin de correspondance hellénique, volume 18, Paris, Thorin, 1894, p.

509-528. 3 Voir Jan Blanc, « « Une idée entièrement nouvelle » ? Le regard panoramique avant le panorama », dans cat.

exp.

J’aime les panoramas.

S’approprier le monde, Genève, Musée Rath, Marseille, MuCEM, Paris, Flammarion, 2015, p.

106 - 114. 4 Voir T.

Homolle, op.

cit., p.

522-525. 1 ainsi figurés, avec une précision extrême5, les colonnes du temple de Zeus olympien et les vestiges de la Porte d'Hadrien [Fig.

1, 2 et 3].

À droite, le temple d'Héphaïstos et d'Athéna Ergané [Fig.1 et 4]. Ces choix mettent en valeur les monuments les mieux décrits et représentés par la suite de l’ambassadeur présente à Athènes à la fin de l'année 1674.

Les ruines du temple de Zeus olympien et les vestiges de la Porte d'Hadrien font, en particulier, l’objet de deux relevés de la part du dessinateur qui accompagne Nointel [Fig.

5 et 6] : le premier de ces dessins permet notamment de situer les deux monuments dans un contexte paysager et urbain élargi [Fig.

5], tandis que le second permet d’en apprécier de près les caractéristiques architecturales [Fig.

6].

Par ailleurs, dans la « Relation des antiquités d’Athènes »6, vraisemblablement composée, à la demande de Nointel, par le consul Jean Giraud7, l’auteur note la présence des restes d’un « antique et superbe palais » et de ses nombreuses colonnes qu’il reconnaît comme les ruines du palais d’Hadrien – il s’agit, en réalité, du temple de Zeus olympien –, à l’emplacement duquel il relève quelques inscriptions en grec ancien.

Dans cette même relation, Giraud livre également une description attentive des colonnes et des figures de marbre du temple d’Héphaïstos et d’Athéna Ergané, qu’il reconnaît comme « temple de Thésée ».

Ce temple retient également l’attention de Cornelio Magni, compagnon de voyage de Nointel, qui en offre une description et une illustration [Fig.

7] dans sa relation8. Mais les vestiges antiques qui culminent dans la hiérarchie visuelle instaurée par le tableau sont sans nul doute ceux de l'Acropole et, en premier lieu, le Parthénon, que les voyageurs connaissant à travers le témoignage de Pausanias9.

Objet de toutes les attentions, ils figurent en place centrale et en surplomb [Fig.

1 et 8].

Du reste, la lumière accentue cette mise en valeur en les détachant du reste de la ville.

L'accent lumineux porte tout particulièrement sur la façade ouest du Parthénon - éclairée par le soleil de la fin de journée.

Là encore, cette place privilégiée, dans le tableau, fait écho aux descriptions et aux représentations des voyageurs de la suite de l’ambassadeur.

Tout d’abord, deux dessins - très vraisemblablement effectués au cours de l’ambassade de Nointel - présentent des vues d’Athènes avec une perspective en tout point semblable à celle de la « Vue d’Athènes en 1674 » [Fig. 9 et 10].

Le premier [Fig.

9] est un croquis qui accompagne la « Relation des antiquités d’Athènes » 10 déjà évoquée.

Les seuls monuments représentés, de façon schématique, sont les mêmes que ceux qu’il est possible d’identifier dans le tableau : on distingue ainsi, en bas de l’Acropole, sur la gauche du dessin, les vestiges du temple de Zeus olympien et de la Porte d’Hadrien, et, sur la droite, les vestiges du Temple d’Héphaïstos et d’Athéna Ergané, puis les murs de la forteresse qui entoure l’Acropole, et, enfin, une représentation simplifiée du Parthénon, en position centrale.

La « Relation des antiquités d’Athènes » confirme, du reste, cet intérêt privilégié porté à l’Acropole et, en particulier, au Parthénon.

L’auteur s’attarde ainsi sur le « Chasteau (…) fabriqué dez le temps de Cecrops, premier roy d’Athènes », avec, tout d’abord, une description précise du Parthénon, « temple dédié à la déesse Minerve », dont les sculptures sont mentionnées comme étant l’œuvre de « Fidias » et dont le toit lui apparaît couvert de marbre : « Le temple est tout de marbre mesme le toict la plus part couvert aussy de pierres minces de marbre »11.

Il mentionne, à son sujet, sa fonction 5 Théophile Homolle évoque à ce sujet une « exactitude pour ainsi dire photographique » : Ibid., p.

517. Bibliothèque nationale de France, Supplément grec 301, fol.

209 - 210. 7 Voir Maxime Collignon, « Documents du XVIIe siècle relatifs aux antiquités d’Athènes », extrait des Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, Paris, Imprimerie nationale, janvier-février 1897, p.

56-71 ; Maxime Collignon, « Le Consul Jean Giraud et sa relation de l’Attique au XVIIe siècle », Mémoires de l’Institut national de France, Académie des Inscriptions et belles-lettres, tome trente-neuf, Imprimerie nationale, Paris, 1914, p.

373-425. 8 Voir Cornelio Magni, Relazione della città d'Athene: colle provincie dell' Attica, Focia, Beozia, e Negroponte, ne' tempi, che furono queste passeggiate da Cornelio Magni Parmegiano l'anno 1674 e dallo stesso publicata l'Anno 1688, Parme, Galeazzo Rosati, 1688. 9 Au IIe siècle, dans le vingt-quatrième chapitre du premier livre de sa Description de la Grèce, Pausanias le Périégète livre une description sommaire du Parthénon. 10 Bibliothèque nationale de France, Supplément grec 301, fol.

208. 11 Cette description associée au toit du Parthénon rejoint la représentation qui en est proposée dans la « Vue d’Athènes en 1674 ». 6 2 contemporaine de mosquée, avant de s’intéresser aux Propylées, « restes d’un fort beau.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles