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Etre libre, est-ce n'obéir qu'a soi-meme ?

Publié le 28/09/2022

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« Introduction Préjugé fort commun, être libre, c'est ne rien devoir à quiconque, n'obéir qu'à soi-même et ne dépendre de personne.

« Libre comme l'air », donc sans attache ni contrainte dans un imaginaire monde sauvage où l'animalité apparaît comme un modèle de vie idéal.

Toutes ces images du monde du vivant ou de celui des choses inanimées s'associent dans une même idée : être libre, c'est ne connaître aucune limite, aucune contrainte… Mais est-ce là être vraiment libre ? Être libre, est-ce n'obéir à personne ? Libertas est un mot du vocabulaire des paysans latins : on y trouve liber, le nom de la chair vive de l'arbre, celle qui sous l'écorce le fait croître spontanément d'un mouvement naturel, et à quoi l'expérience des agriculteurs associe l'idée que cette croissance doit être guidée.

Littéralement, libertas signifie « contrainte », celle de la taille qui permet à l'arbre de devenir meilleur.

Ainsi, dans son sens originel, la liberté est-elle d'abord cette contrainte, positive certes car avantageuse – l'arbre va fructifier abondamment –, mais qui est quand même une contrainte.

Alors, être libre, est-ce être contraint ? Ou est-ce n'obéir à personne ? Remarquons d'abord que l'expérience des paysans s'inscrit dans le temps de l'horticulture, temps qui par définition est celui des soins que l'on donne pour obtenir une amélioration, semblable au temps humain de l'éducation.

L'arbre et l'enfant ont besoin d'un tuteur.

Mais le tuteur de l'arbre n'existe que comme contrainte inerte, simplement attaché et rigide, alors que le tuteur humain est vivant ; il a conscience des buts qu'il se donne et doit distinguer la rigueur du rigorisme, voire de la rigidité, en d'autres termes se demander quel type d'éducation peut être source de liberté ? I.

Apprendre à être libre, à n'obéir qu'à soi-même Dans un premier sens, celui de l'éducation de l'enfant, c'est au Rousseau de l'Émile que nous allons poser la question.

Le but du tuteur est d'aider l'enfant à atteindre par lui-même la conscience morale, présente en lui dès sa naissance, ou plutôt par sa naissance en tant qu'être humain et que les négligences d'une éducation conformiste habituellement déforment, étouffent.

Pour cela, Rousseau préconise de laisser à l'enfant le libre usage de ses forces et de ne l'aider que dans les strictes limites de ses besoins.

Ce qui, en plus de l'innéité de la conscience morale (« instinct divin ! »), présuppose aussi une aptitude naturelle à se servir de sa liberté avec « bonté ».

C'est ce même postulat que l'on retrouve chez A.

S.

Neil lorsqu'il décrit dans Libres Enfants de Summerhill le projet pédagogique autour duquel s'organise son école : l'éducation n'est pas acquisition des savoirs, mais développement de la connaissance de soi par l'expression des désirs.

Maïeutique de la liberté qui vise l'épanouissement personnel, elle veut épargner à l'enfant les conditionnements sociaux normatifs et répressifs. Ainsi Émile, devenu adulte, aura-t-il appris à n'écouter en lui que la voix de sa conscience, laquelle ne lui dictera que le bien.

Au sens littéral (puisque le sens étymologique d'obéir est « écouter »), il n'obéira qu'à lui-même.

Être libre, c'est n'obéir qu'à soi-même.

Nous retrouvons ici l'idée grecque de l'autonomie qui, associée à l'autarcie, représente la forme concrète de l'indépendance (Platon) et qui, lorsqu'elle se développe chez l'individu au niveau du jugement, le rend capable de prévoir et de choisir.

Cette double capacité donne au sujet la libre disposition de lui-même : « Je suis libre, écrit Épictète, et ami de Dieu, afin de lui obéir volontairement et de bon gré : et il me faut ne m'incliner devant personne ni ne céder à aucun événement.

» Et de quel Dieu s'agit-il ? De la « Loi naturelle », « la raison souveraine et innée qui nous commande ce que nous avons à faire […], la véritable loi… conforme à l'ordre, qui est diffuse et la même chez tous les hommes.

» (Cicéron, Des lois).

L'obéissance à soi-même est donc bien à la fois condition d'affranchissement et réalisation de notre être. Mais Épictète était esclave et rien n'empêcha son maître de lui casser la jambe pour éprouver à quoi cette liberté pouvait résister.

Banni par l'empereur, il dut quitter Rome, affranchi et boiteux… Hegel note que l'idéal stoïcien de liberté est sublime autant qu'inutile : incapable de changer en quoi que ce soit la condition réelle de l'esclave.

Et l'on peut s'interroger en effet sur les conséquences pratiques d'une telle définition.

N'y a-t-il pas un risque que cette autonomie se transforme en repli sur soi ? L'indépendance considérée comme ultime critère de liberté risque effectivement de se pervertir en devenant cet individualisme que Tocqueville décrit ainsi : « Un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même.

» (De la démocratie en Amérique).

Revenons sur ce qui a été analysé : pour que la liberté existe, il faut que je n'obéisse à personne d'autre qu'à moi-même.

Mais il n'est pas question pour autant que je suive le caprice de mes intérêts immédiats et égoïstes.

La liberté suppose que je n'obéisse qu'à la loi que ma raison me représente (Kant le démontre amplement) et que je me fixe alors à moi-même.

Mais comment concevoir que tous puissent ensemble n'obéir qu'à une loi que chacun se fixe ? Comment associer le principe de liberté à la vie en société et à l'exigence d'égalité ? II.

Le contrat social : n'obéir qu'à la loi qu'on se donne Rousseau montre que le pacte par lequel le peuple se constitue est une première étape : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons chaque membre comme partie indivisible du tout.

» Mais que signifie cette mise en commun des personnes et des puissances ? Il s'agit pour l'individu de muer : d'accepter d'aliéner (d'abandonner) ses droits individuels, sa liberté naturelle à la volonté générale, donc d'accepter de disparaître en tant qu'individu pour naître comme citoyen.

La liberté civile est désormais l'obéissance à la volonté générale : j'accepte désormais de voir ma liberté comme ce que garantit la loi commune, c'est-à-dire.... »

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