C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. Saint-Exupéry. Commentez.

« C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.

Saint-Exupéry.

Commentez. Terre des hommes (1939) évoque des souvenirs de Saint-Exupéry qui se rapportent à sa vie d'aviateur, mais aussi àson travail de grand reporter en Espagne et en Russie.Au cours d'un voyage en train vers l'Est, Saint-Exupéry est émerveillé par le visage d'un enfant qui semble riche detoutes les promesses.

Mais comprend vite que la misère ambiante aura raison de ces virtualités.

Et c'est en pensantà tous ces enfants broyés par le destin qu'il écrit : « C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.» Le choix de Mozart (1756-1791) s'explique assez bien.

Cet enfant prodige qui participait déjà à des tournées deconcerts à six ans a eu la chance d'être bien entouré.

Il est né dans la musique et fut suivi avec beaucoup de soinpar son père.

Cela n'enlève rien à son génie car il y avait, à son époque, beaucoup d'enfants qui savaient jouer dupiano à cinq ,ans et il n'y eut qu'un seul Mozart.

Mais il est en même temps évident que si Mozart était né dans unefamille de paysans autrichiens, il ne serait jamais devenu le divin Mozart.C'est donc en songeant à toutes ces potentialités qui peuvent rester à jamais enfouies que Saint-Exupéry regardel'enfant niché entre son père et sa mère :« Ah! quel adorable visage! II était né de ce couple une sorte de fruit doré.

était né de ces lourdes hardes cetteréussite de charme et de grâce.

Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis :voici un visage de musicien, voici Mozart enfant; voici une belle promesse de la vie.

Les petits princes des légendesn'étaient point différents de lui : protégé, entouré, cultivé, que ne saurait-il devenir! Quand il naît par mutation dansles jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s'émeuvent.

On isole la rose, on cultive la rose, on lafavorise.

Mais il n'est point de jardinier pour les hommes.

Mozart enfant sera marqué comme les autres par lamachine à emboutir.

Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie dans la puanteur des cafés-concerts.Mozart est condamné.»Et c'est dans le prolongement de ce développement que Saint-Exupéry écrit : « Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point.

Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux,ni ces bosses, ni cette laideur.

C'est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.» Ce texte de Saint-Exupéry est souvent évoqué quand on parle de l'égalité des chances.La Révolution française a inscrit en tête de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen l'égalité des droits.

Ils'agissait d'une véritable révolution si l'on songe qu'il y avait des différences de statut importantes entre lesindividus.

Les nobles s'opposaient aux roturiers un peu de la même façon que les Blancs s'opposent aux Noirs dansun système d'apartheid.La proclamation et la mise en oeuvre laborieuse d'un système évoluant vers l'égalité des droits représentaient doncune avancée importante.

Mais, avec le temps, on se rendit compte que l'égalité des droits ne suffisait pas.

Selonqu'il est né dans tel ou tel milieu, un individu n'a pas les mêmes chances de pouvoir utiliser ses aptitudes, et pas nonplus les mêmes chances d'ascension sociale. Les revendications se tournèrent donc vers la recherche d'une égalité des chances.

Il s'agit de trouver dessystèmes d'éducation, ou des programmes d'action culturelle, faisant en sorte qu'il n'y ait plus de Mozart ou deShakespeare ou d'Einstein assassiné.Cette recherche d'une égalité de chances a parfois conduit d'une façon paradoxale à une inégalité de droits.

Danscertains pays d'Afrique, à une époque récente, le total exigé des filles pour l'entrée en sixième était moindre quecelui demandé aux garçons.

Il s'agissait de compenser le handicap constitué par le fait que les filles sont astreintestrès tôt à des tâches domestiques qui empiètent sur le temps alloué au travail scolaire.Aux Etats-Unis, dans le cadre de la « progressive action », des quotas sont réservés aux minorités pour entrer dansl'administration ou dans certaines universités.

Un Blanc peut donc se voir refuser une place qui sera attribuée à unepersonne de compétence inférieure.

Cette discrimination est évidemment très contestée.Mais, en dépit de ces exemples et d'un mouvement en faveur de l'égalité des chances, il reste encore des centainesde millions d'enfants dont les possibilités sont condamnées à rester en friche.

Sans compter ceux dont le cerveauayant été altéré par la sous-alimentation verront, de ce fait, leurs potentialités irrémédiablement réduites.

Laformule de Saint-Exupéry reste toujours d'une terrible actualité.. »