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Brise marine

Publié le 22/05/2020

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« C’est en 1865 que Stéphane Mallarmé rédige, dans le sillage des Fleurs du Mal de Baudelaire, un poème qui fera date : « Brise Marine ».

Publiée un an plus tard dans Le Parnasse Contemporain , cette œuvre de jeunesse traduit l’impossible quête de l’absolu qui hanta Mallarmé toute sa vie.

Nous étudierons cette problématique selon une triple perspective : après avoir expliqué que le poème se présente comme une opposition entre le monde des réalités et de la banalité quotidienne qui est celui du spleen, et l’appel de la mer qui traduit la soif de l’idéal et du voyage, nous essaierons de montrer que ce divorce entre la vie et l’art, dans la perspective symboliste, débouche sur une réflexion essentielle quant au pouvoir évocateur de la poésie. S’écoulant sur un rythme monotone, le vers initial fait entrer dans le poème plusieurs éléments biographiques traduisant bien l’existence banale et le sentiment de déchéance qui s’empare de l’âme du poète : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres ».

Cet ennui profond de la vie est tout d’abord suggéré par le présent gnomique , en forme de sentence à valeur générale, employé dans le premier hémistiche.

L'énoncé se présente en effet comme un témoignage du spleen et de l’insignifiance des relations conjugales, réduites à une sorte d'étalement dans la durée.

À ce titre, la modalité assertive jointe à l'effacement des traces de l'instance d'énonciation renforce l'impression du lecteur d'être en présence d'une condamnation sans appel de la routine qui s'installe dans la relation de couple.

La douleur et le doute métaphysique sont en outre rendus particulièrement poignants par la tonalité élégiaque de l'interjection "hélas".

Nous pourrions d'ailleurs noter combien la symétrie constante, entre les deux hémistiches qui composent le premier vers, en renforce plus encore le pessimisme.

À cet égard, l'impression d'avoir "lu tous les livres", par son aspect hyperbolique, joue de l'exagération des données objectives : Mallarmé a en effet dix-neuf ans quand paraît en février 1861 la deuxième édition des Fleurs du mal , ouvrage dont il subira à ce point l'emprise que tout autre livre lui paraîtra dénué d'intérêt.

On peut donc déceler ici une très nette allusion à cette crise existentielle.

De plus, le groupe verbal "j'ai lu", par sa valeur d'accompli du passé, confère à l'énoncé la dimension d'une formule défini tive, sans appel.

Cette lassitude extrême de l'existence, renforcée au vers 11 par l'addition d'une majuscule au substantif "Ennui", exprime encore plus par ce procédé de la personnification, le refus de tout lien social. C'est en effet par une triple négation structurée autour de l'adverbe "rien" que s'exprime dans la suite du texte l'arrachement du poète au néant et au vide par l'acte de la décision de partir : "Rien, ni les vieux jardins...

ne retiendra ce cœur...

ni la clarté déserte de ma lampe...

Et ni la jeune femme allaitant son enfant." Faut-il voir dans la métaphore in absentia des "vieux jardins" une allusion à la tragédie personnelle de Mallarmé due à la perte prématurée de sa mère en 1847, de sa sœur dix ans plus tard, puis de son père ? Sans doute peut-on affirmer que le comparé implicite est ici le cimetière, sous-entendu par l'image des "vieux jardins" qui connoterait l'inéluctable réalité de la mort.

De façon plus générale, l'expression symboliserait aussi tout ce qui, dans sa vie passée, pourrait retenir l'auteur, à commencer par les lieux familiers et les possessions matérielles qui l'entravent dans sa quête de l'idéal.

Comment ne pas être également surpris par le réalisme poignant de la deuxième image, qui ravive l'angoisse de la page blanche saisissant l'écrivain lors de son travail nocturne chez lui, dans la stérilité poétique et la solitude : la blancheur se réduit à la texture du papier sur lequel aucun mot ne vient s'écrire et qui reflète "la clarté déserte de [la] lampe".

Par le biais de l' oxymore , le cliché romantique associé à la clarté lunaire est détourné de toute forme d'idéalisation comme en témoigne l'emploi inhabituel de l'épithète "déserte", chargée de connotations négatives : en opposition au "cœur qui dans la mer se trempe", c'est au contraire l'aridité, la sécheresse, l'impuissance à créer qui prédominent.

On pourrait aussi évoquer dans ce refus du présent la condamnation implicite de la vie petite bourgeoise , guindée, étriquée même, que menait Mallarmé. Cette condamnation est d'ailleurs amplifiée par l'allusion à sa femme Marie au vers huit qui rejette tout autant l'idéal que le corps maternels dont l'auteur semble affirmer le caractère contingent.

À ce titre, l'emploi du déterminant défini et du substantif (" la jeune femme"), l'un et l'autre à valeur générique, accentue plus encore par sa neutralité et son aspect généralisant, la crise affective que nous notions précédemment à propos du premier vers.

De même, l'expression de "jeune femme" signale un recul, une prise de distance avec l'imaginaire social institué de la maternité.

Au-delà de l'aspect proprement biographique, il conviendrait par exemple de remarquer combien l'allaitement, loin des clichés rattachant la mère et son enfant à des images de douceur et d'amour, s'associe au réseau lexical du vide et de l'aridité que nous remarquions à propos de la page blanche.

À la stérilité de l'inspiration correspond la stérilité de la vie de famille.

En contrepoint de ce sentiment d'échec existentiel, la métaphore du "cœur qui dans la mer se trempe" procède donc à la fois d'un appel à se libérer des vestiges du quotidien et d'une invitation à entreprendre le voyage rêvé qui est au cœur des ambitions métaphysiques du symbolisme : la manifestation de cette quête spirituelle est en effet suggérée par le symbole de "l'encrier de la mer" dont l'image presque visuelle du cœur qui s'y abreuve et s'y ressource, évoque l'absolue nécessité de fuir le monde pour aller à l'appel de l'inconnu. Alors que la symétrie du premier vers césuré 6/6 évoquait la durée pesante d'une vie monotone, l"imminence du départ est suggérée dès le deuxième vers par un alexandrin dissymétrique : le désir irrépressible de l'action et du voyage s'exprime d'abord dans le rythme heurté des premières syllabes : "Fuir ! là-bas fuir !".

L'impératif à valeur de nécessité et d'ordre, ajouté au jeu des répétitions du verbe et à la tonalité exclamative du discours, donne au voyage la forme d'une impérieuse quête initiatique.

En outre, le phrasé du texte oscille entre la répétition saccadée et haletante, et le souffle ample et régulier renforcé par l'enjambement en fin de vers : "Je sens que des oiseaux sont ivres / D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !".

Comme nous le voyons, les facteurs rythmiques sont essentiels car ils participent au sentiment de respiration et de souffle du voyage, par opposition à l'oppressant huis-clos du vers un.

Mais si voyage il y a, c'est d'abord un voyage métaphorique, comme le suggère l'adverbe de lieu "là-bas", dans lequel il ne faut pas lire un sens géographique, mais une incursion dans une sorte d'ailleurs absolu auquel aspirait Baudelaire dans "L'Invitation au voyage".

Il s'agit donc d'un voyage vers un ailleurs indéterminé.

À cet égard, la préposition "parmi" suivi du singulier "écume inconnue" au vers trois, implique l'idée d'une envolée dans l'infini : ce n'est pas un paysage maritime qui est représenté, mais un paysage pensé, façonné par le mystère de la langue, né d'une véritable fusion de l'homme et de l'univers, permettant de suggérer peu à peu, et conférant au réel force et pureté.

Par ses connotations abstraites et spirituelles, le voyage au sens mallarméen ne se réduit donc pas seulement à une fuite "vers une exotique nature" (v.

11) : il est le signe d'une connivence avec l'invisible, ainsi que l'évoque l'image des "oiseaux ivres d'être parmi l'écume inconnue et les cieux".

Emporté vers le monde des essences, le poète partage avec les oiseaux la même ivresse comme le suggère le verbe "sentir" dont la signification équivaut à recevoir une sensation qui passe par la perception primordiale de l' être-au-monde , justifié d'exister. Cette expérience de légitimation au monde grâce au voyage est amplifiée aux vers neuf et dix : "Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, / Lève l'ancre pour une exotique nature !" Ici, la valeur d'imminence du futur peut s'interpréter comme un engagement, comme si Mallarmé s'obligeait lui-même, par le seul fait de le dire, à partir.

Cette valeur modale, proche de l'impératif, est en outre renforcée par l'injonction donnée au steamer de lever l'ancre .

Il faut cependant noter combien l'impératif catégorique qu'utilise Mallarmé pour s'adresser au navire comme s'il s'agissait d'une personne, pousse la décision de partir jusqu'au point de non-retour.

Ce caractère de fatalité inéluctable du voyage s'apparente en fait à un exil, comme en témoigne au vers douze le tableau déchirant de "l'adieu suprême des mouchoirs".

Toutes les connotations positives du départ semblent brutalement s'estomper au détriment de l'amertume de ne pouvoir réellement partir.

C'est bien la résignation qui apparaît en effet dans ce distique : "Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, / Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !" Sous cet angle, que peut espérer le poète en voyageant, sinon de nouvelles désillusions ? La suite du texte ne fait que dramatiser ce sentiment d'amertume.

À l'image euphorique et pittoresque du "steamer balançant [sa] mâture" au gré de la houle, succède la vision désespérée du voyage qui se clôt sur un naufrage : "Et, peut-être, les mâts, invitant les orages / Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages".

On aura noté le changement de désignation du steamer, réduit à n'être que des "mâts".

Cette métonymie ne saurait se limiter à un simple instrument rhétorique, elle traduit en fait une quête vouée à l'échec de ne pouvoir partir réellement.. »

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