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Analyse linéaire de Paul Claudel La Pluie

Publié le 02/11/2023

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« « La pluie » Claudel, 1897 Notre texte est un poème en prose écrit par Paul Claudel, intitulé « La pluie » et publié dans son recueil Connaissance de L’Est.

Il a écrit ce poème alors qu’il était reclus en Chine, dans un isolement total mélangé d’amertume et de bonheur, il fait alors ce qu’on appelle un « exil de l’âme », il profite de cet exil pour faire une retraite spirituelle et religieuse.

Ce poème s’imprègne de cet état d’esprit, et Claudel semble s’inspirer du psaume dans la prose poétique, pour parler de la pluie : élément météorologique, cosmogonique qui renferme de nombreuses significations et symboliques telles que la naissance du monde comme métaphore de la naissance de l’écriture. Ainsi, le poème est d'abord présenté comme la description de l’espace du poète, puis comme le manifeste d'un acte de création.

C’est le spectacle allégorique d’une création du monde, analogue à la création poétique.

La prose poétique vient alors nourrir la rêverie de Claudel, reclus chez lui, et observant à travers le prisme de la vitre, les intempéries qui alimentent son imaginaire.

Il mobilise alors ses sens dans un but de prolifération de l’écriture, le cheminement est le suivant : c’est d’abord la vue, l’ouïe, puis la pensée, la méditation et enfin l’acte du don du poème.

Notre poète accouche de chaque phrase, comme le ciel accouche de la pluie, illustré par une cadence mineure qui mime cet accouchement. Nous pouvons repérer trois mouvements dans ce poème.

Le premier s’étend des lignes 1 à 5 et présente une hypotypose, qui correspond à l’installation d’un cadre spatial rassurant et intérieur, propice à l’écriture .

Le deuxième mouvement de la ligne 6 à 13 nous donne à lire une description foisonnante de la pluie sous toutes ses formes, qui donne à voir une allégorie du déluge dans un cadre temporel flou et onirique.

Enfin, la ligne 14 à 18, marquent une rupture avec le reste du poème dans un cadre temporel marquant la fin du jour, qui correspond à la fin de la pluie mais qui marque aussi un cadre spatial différent, avec l’ouverture des fenêtres comme ouverture sur le monde grâce à l’écriture poétique. Nous verrons comment le poète nous offre une double lecture de la création du monde et du déluge, métaphore de la création poétique révélant un érotisme diffus, résultant de cette tension naissance/desctruction Le titre : La pluie est un terme général, qui renferme plusieurs interprétations, plusieurs symboliques. Elle est la source de la vie, c’est un cadeau des cieux, un cadeau de Dieu dans la Bible, elle est également la manne du peuple, elle nourrit la terre.

La pluie apparait comme nourricière lorsqu’elle est abondante.

Elle peut être fine comme la bruine, ou encore destructrice lorsqu’elle se présente sous une forme plus épaisse et profonde et être la cause du déluge. Elle représente à la fois le calme, mais aussi la tempête.

La pluie est au centre de notre poème, elle est la manifestation matérielle de cette tension antinomique entre naissance et destruction. Mouvement I « Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie" : • Cette période comprend plusieurs segments de rythmes binaires, le rythme de la phrase se manifeste également à travers l’anaphore des "deux fenêtres » qui se trouve autour de Claudel « les deux fenêtres en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche et les deux fenêtres qui sont à ma droite », c’est comme si nous nous balancions d’un pied sur l’autre, comme un balancement de tête sur une musique entrainante.

On peut observer une certaine cohérence entre les mouvements de l’écriture et le décor, on écrit de gauche à droite, la main semble suivre les mouvements physiques du poète dont la tête se balance de gauche à droite pour observer les fenêtres.

Son ouïe suit le même mouvement : « j’entends d’une oreille et de l’autre » : c’est toujours un mouvement binaire très musical qui se retrouve dans le décor, dans les mouvements, et dans les sens.

Le rythme lourd du balancement de tête est analogue à cette pluie qui tombe immensément : le macrocosme et le microcosme sont en tension. L’ordre de la phrase est par ailleurs bouleversé en cadence mineure à la manière de Baudelaire dans « À une passante » : « la rue assourdissante autour de moi hurlait », l’acmée sur « je vois, j’entends » insiste sur le « je » du poète qui se définit comme un je sensuel, un je sensible.

« Je vois » : il se définit comme un peintre, « j’entends » ( il a d’ailleurs écrit « Cent phrases pour Évantails » ) et comme un musicien.

Le poème en prose est une combinaison d’un axe poétique et descriptif, c’est pour ça qu’on a « je vois et j’entends ». • Paul Claudel semble dresser une hypotypose de ce qu’il voit, et une chanson de ce qu’il entend, qu’il retranscrit par l’écriture, tout est art et sensibilité.

Le sommet « je vois, j’entends » chute sur la clausule de l’apodose « la pluie » qui mime en réalité la pluie qui tombe immensément, cette chute initiale de la pluie qui tombe du ciel, la pluie qui est d’ailleurs le titre de notre poème.

La pluie, agent fécondateur de la terre, est symbole des influences célestes reçues par la terre.

Les rites pour déclencher la pluie sont innombrables.

Mais ce qui descend du ciel en terre, c'est aussi la fertilité de l'esprit, la lumière, les influences célestes. • Dans l'union sacrée ciel-terre, la pluie est le sperme fécondant. La pluie, fille des nuées et de l'orage, réunit les symboles du feu (éclair) et de l'eau.

Elle a donc une double signification : fertilisation spirituelle et matérielle.

Tombant du ciel, elle exprime aussi une faveur des dieux, tout aussi spirituelle que matérielle.

D’ailleurs, en Inde, on dit que la femme féconde est la pluie.

Elle est source de toute prospérité. En ce sens, elle exprime à la fois la naissance de la Terre mais aussi celle de l’écriture. • Le cadre spatial est dressé : il est reclus, à l’intérieur mais des fenêtres lui permettent une vue sur le monde, non une ouverture puisque ces fenêtres sont fermées, sa vision est délimitée par le rectangle des fenêtres. « Je pense qu’il est un quart d’heure de l’après-midi : autour de moi, tout est lumière et eau » : Le « je » du poète n’est plus seulement un « je » qui voit et entend, mais un « je » qui pense, spirituel.

De plus, le verbe « penser » témoigne d’un rapport au temps, incertain, immatériel. C’est par le macrocosme, grâce à la nature qui l’entoure, qu’il jauge le temps.

C’est parce qu’autour de lui, tout est lumière et eau qu’il pense qu’il est un quart d’heure de l’après midi.

Le cadre temporel est dressé mais il est flou, cette incertitude se poursuit par la forme, dans un rythme binaire qui est l’expression de l’instabilité : notre poète semble noyé dans un océan d’éléments naturels, entouré par le macrocosme, en antéposant le complément circonstanciel « autour de moi » il met davantage l’accent sur « tout est lumière et eau » : sa perception est altérée, d’ailleurs, notre poète est encerclé par des fenêtres, qui sont un médium entre le monde intérieur et extérieur, mais qui est déformée par le prisme de la vitre, l’image du songe ambiguë apparait alors, celle de l’illusion.

Cette binarité stylistique se marie avec l’union binaire eau/terre qui est la manifestation d’une grande rêverie spirituelle chez Claudel de cette alliance terrestre/ céleste : « lumière et eau ».

L’eau est, d’ailleurs, propice au rêve et à l’imagination pour Bachelard, "des eaux claires, brillantes où naissent des images fugitives, jusqu’aux profondeurs obscures, où gisent mythes et fantasmes.

» « Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poëme.

» : • La cadence mineure permet de concrétiser l’apodose sur le segment « j’écris ce poème », qui nous fait penser à la première phrase, dont l’apodose s’achevait sur « la pluie ».

Nous pouvons imaginer qu’un parallélisme se construit entre la pluie et l’écriture du poème, ce qui renvoie à cette idée de pluie fécondatrice et nourricière ( la pluie comme la manne du peuple ) de la Terre et de l’écriture ( la goutte de pluie qui coule sur la terre est analogue à la goutte d’encre qui coule sur la feuille ) De plus, les nombreuses virgules donnent un effet de pauses, montantes dans la protase qui semblent mimer les contractions de plus en plus fortes de la femme lors de son accouchement. Le clausule : « J’écris ce poëme.... »

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