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analyse lineaire charogne de baudelaire

Publié le 05/10/2022

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« Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle Explication linéaire nº2 Une Charogne 30 1 5 10 15 20 Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d’été si doux : Au détour d’un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux, Les jambes en l’air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d’exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu’ensemble elle avait joint. Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s’épanouir ; — La puanteur était si forte que sur l’herbe Vous crûtes vous évanouir ; — Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D’où sortaient de noirs bataillons De larves qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons. Tout cela descendait, montait comme une vague, Où s’élançait en pétillant ; On eut dit que le corps, enflé d’un souffle vague, Vivait en se multipliant. 25 35 40 Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve, Une ébauche lente à venir, Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève Seulement par le souvenir. Derrière les rochers une chienne inquiète Nous regardait d’un œil fâché, Épiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu’elle avait lâché. — Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, À cette horrible infection, Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion ! Oui, telle vous serez, ô la reine des grâces, Après les derniers sacrements, Quand vous irez sous l’herbe et les floraisons grasses Moisir parmi les ossements. 45 Alors, ô ma beauté, dites à la vermine Qui vous mangera de baisers Que j’ai gardé la forme et l’essence divine De mes amours décomposés ! Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Spleen et idéal », XXIX, 1861. Et ce monde rendait une étrange musique Comme l’eau courante et le vent, Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van. INTRODUCTION • XXIXe poème du recueil Les Fleurs du Mal, issu de la section « Spleen et Idéal », « Une Charogne » est composé de douze quatrains alternant alexandrins et octosyllabes en rimes croisées. • « Une Charogne » concentre tous les paradoxes chers à Baudelaire, puisque c’est à la fois un poème d’amour qui tend à s’élever vers l’idéal, la beauté et en même temps il y décrit un cadavre en décomposition et plonge vers le mal et le laid. • Piste de lecture/problématique : Comment le poète transforme-t-il l’immonde en objet poétique ? o Mouvement 1 : strophes 1 à 4 : Une macabre découverte o Mouvement 2 : strophes 5 à 9 : Le travail de la décomposition o Mouvement 1 : strophes 10 à 12 : Une prophétie cruelle Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle MOUVEMENT 1 Une macabre découverte Le titre est provocateur, peu poétique et fait appel à des notions désagréables jusque dans les sonorités.

Cette charogne est désignée avec un article indéfini : « une ». Strophe 1 • Dès le 1er v.

Le poète s'adresse à une personne à travers l'apostrophe et l'emploi de la 2e p.

du pluriel de l’impératif présent.

Cette personne désignée par « mon âme » lui est proche.

Il l’invite à se souvenir d’ « un objet », qui, s’il n’est pas clairement mentionné, n’en est pas moins désigné par un article défini.

Le poète et la femme aimée s’en souviennent, le « nous » les unit dans ce souvenir. • Dans ce cadre bucolique « beau matin d'été si doux », « sentier », (plus loin on retrouve « le soleil rayonnait » v.

9), apparaît l’objet mentionné au 1er vers : c’est une « charogne infâme ».

Le terme « lit », polysémique (lit de la rivière ou de la chambre) contribue à personnifier le cadavre • Ce cadre idyllique contraste ainsi avec le souvenir évoqué ; on retrouve aussi ce contraste dans les rimes qui sont rapprochées avec des mots de sens contraire et contradictoire : « mon âme/ infâme » et « doux/ cailloux ». • Le beau et le laid fusionne ainsi dès la première strophe. Strophe 2 • Cette personnification se poursuit avec la comparaison « comme une femme ».

Cette personnification a une connotation sexuelle évidente accentuée par la position du cadavre « les jambes en l’air », « brûlante », « lubrique », « ouvrait » • La métaphore « ouvrait son ventre » est une autre référence crue et provocante à la sexualité. • Le terme « exhalaisons » rappelle le parfum de la femme mais ici, il prend une dimension négative accentuée par la rime avec « poison » • Baudelaire établit un lien entre la femme aimée et le cadavre décomposéé.

On peut même dire que la femme disparaît au profit de la charogne à partir de cette 2e strophe pour ne revenir qu'à la 10e. Strophe 3 • Rapprochement antithétique entre le « soleil » et la « pourriture » : la vie et la mort, le beau et le laid fusionnent (la boue et l’or). • La comparaison culinaire « cuire à point » est ironique et accentue l’écœurement ! Néanmoins, le poète rappelle qu'il s'agit d'un phénomène naturel ainsi que l'indique la personnification de la nature.

La nature reprend son dû ainsi que l'indique le v.

12, elle est unificatrice • Par cette idée, Baudelaire évoque le passage du temps, le côté éphémère de l'homme et de l'animal. • Cette description très visuelle s’apparente à une nature morte, à une vanité.

La lumière met en valeur cet objet pourrissant. Strophe 4 • La nature est encore personnifiée à travers le ciel qui donne ici un cadre pictural à la charogne (une nouvelle fois idée de la nature morte) Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle • Dans cette strophe, les oppositions sont nombreuses : o l’oxymore « carcasse superbe » évoque l'horreur dans toute sa splendeur, la pièce maîtresse de la toile qu'il érige tel un peintre o La comparaison « comme une fleur » qui rapproche un cadavre d’une fleur peut paraître étonnante ; le lien beau/laid est une nouvelle fois affirmé et n’est pas sans rappeler le titre du recueil.

Il démontre ainsi que l'on peut extraire la beauté́ du mal. o Aussi, à travers les verbes opposés « s’épanouir »/ « évanouir », le poète opère un rapprochement paronymique (= aux sons proches) : Laid et beau s’alimentent l’un l’autre : quand l’un s’éveille, l’autre s’endort. o De plus dans cette strophe se mêlent des sons opposés : d’un côté des allitérations en « r » qui marquent de la dureté, de l’autre des allitérations en « s » qui soulignent la douceur. o Oppositions et rapprochement dans une rime interne « puanteur »/ « fleur » : • La description de la charogne n’est plus seulement visuelle, ici elle devient olfactive : « puanteur », « exhalaisons » (dans la 3e strophe) Dans ce 1er mouvement rapprochement étonnant entre le laid et le beau. MOUVEMENT 2 Le travail de la décomposition Strophe 5 • Présence de la mort dans sa forme la plus concrète, la décomposition est donnée à voir : o Lexique de la vermine : « mouches », « larves » o Évocation de la pourriture : « putride », « noirs », « épais liquide » • Paradoxalement, de cette mort naît aussi la vie : «bourdonnaient », « sortaient »,« bataillons », « vivants ».

Les nombreux verbes d’action viennent souligner ce mouvement permanent qui naît de la mort : « bourdonnaient », « sortaient », « coulaient » • Cette strophe semble montrer un accouchement terrible, les mentions de « ventre », « larve » « liquide », renforcent cette idée de naissance. Strophe 6 • « Tout cela » : la vie qui naît est désignée par des pronoms indéfinis.

Cette vie est cependant très présente à travers les verbes de mouvements « descendait », « montait », « s’élançait ».

Le cadavre semble revivre sous nos yeux : registre fantastique. • La comparaison « comme une vague » souligne encore ce mouvement perpétuel qui agite ce corps. • « On eut dit que le corps, enflé d’un souffle vague, Vivait en se multipliant » : poursuite de l’image de la naissance commencée à la strophe précédente Strophe 7 • Les métaphores musicales rendent cette strophe très lyrique, en décalage avec ce qui précède : il ne s’agit plus de provoquer (lier le beau et le laid) mais de faire émerger Objet d'étude : La poésie du XIX au XXIe siècle une nouvelle forme de poésie : montrer que de la laideur surgit la beauté (= alchimie poétique). • Dans un 1er temps, cette musique est comparée à des éléments naturels : « Comme l’eau courante et le vent », puis ce sont les éléments naturels transformés par l’homme humaine qui apportent cette musicalité au cadavre : « le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van ».... »

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