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Publié le 17/05/2020
Extrait du document
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Ainsi, la première chose que la peste apporta à nos concitoyens
fut l'exil.
Et le narrateur est persuadé qu'il peut écrire ici, au nom
de tous, ce que lui-même a éprouvé alors, puisqu'il l'a éprouvé en
même temps que beaucoup de nos concitoyens.
Oui, c'était bien
le sentiment de l'exil que ce creux que nous portions
constamment en nous, cette émotion précise, le désir
déraisonnable de revenir en arrière ou au contraire de presser la
marche du temps, ces flèches brûlantes de la mémoire.
Si,
quelquefois, nous nous laissions aller à l'imagination et nous
plaisions à attendre le coup de sonnette du retour ou un pas
familier dans l'escalier, si, à ces moments-là, nous consentions à
oublier que les trains étaient immobilisés, si nous nous arrangions
alors pour rester chez nous à l'heure où, normalement, un
voyageur amené par l'express du soir pouvaient être rendu dans
notre quartier, bien entendu, ces jeux ne pouvaient durer.
Il venait
toujours un moment où nous nous apercevions clairement que les
trains n'arrivaient pas.
Nous savions alors que notre séparation
était destinée à durer et que nous devions essayer de nous
arranger avec le temps.
Dès lors, nous réintégrions en somme
notre condition de prisonniers, nous étions réduits à notre passé,
et si même quelques-uns d'entre nous avaient la tentation de vivre
dans l'avenir, ils y renonçaient rapidement, autant du moins qu'il
leur était possible, en éprouvant les blessures que finalement
l'imagination inflige à ceux qui lui font confiance.
En particulier, tous nos concitoyens se privèrent très vite, même
en public, de l'habitude qu'ils avaient pu prendre de supputer la
durée de leur séparation.
Pourquoi ? C'est que lorsque les plus
pessimistes l'avaient fixée par exemple à six mois, lorsqu'ils
avaient épuisé d'avance toute l'amertume de ces mois à venir,
hissé grand-peine leur courage au niveau de cette épreuve, tendu
leurs dernières forces pour demeurer sans faiblir à la hauteur de
cette souffrance étirée sur une si longue suite de jours, alors,
parfois, un ami de rencontre, un avis donné par un journal, un
soupçon fugitif ou une brusque clairvoyance, leur donnait l'idée
qu'après tout, il n'y avait pas de raison pour que la maladie ne
durât pas plus de six mois, et peut-être un an, ou plus encore..
»
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