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NIETZSCHE (Friedrich)

NIETZSCHE (Friedrich). Né à Röcken, en Saxe, Nietzsche (1844-1900), fils d'un pasteur luthérien, reçut une éducation austère. Il fit des études de philosophie et se trouva professeur à l'université de Bâle dès 1869. En 1878, la maladie l'obligea à abandonner sa chaire, et il mena, désormais, une vie errante, solitaire et douloureuse, au cours de laquelle il écrivit beaucoup. Il sombra dans la démence en 1889 et mourut onze ans plus tard, à Weimar. — Il semble que toute la pensée de Nietzsche se soit développée en opposition aux influences premières qui avaient marqué sa jeunesse. Pour Schopenhauer, le vouloir-vivre était une source de souffrance : Nietzsche exaltera la « volonté de puissance » et l'amor fati (l'amour du destin). À la vision tragique de Wagner, il opposera une ivresse joyeuse et le culte du dieu grec Dionysos. Au rationalisme et à la logique de Hegel, il opposera une philosophie anticonceptualiste et pragmatiste. Adversaire de la métaphysique, Nietzsche voit dans le phénomène « la réalité agissante et vivante ». Les propriétés du réel sont, pour lui, « le changement, le devenir, la pluralité, l'opposition, la contradiction, le combat ». La connaissance n'est pas la contemplation désintéressée d'une prétendue réalité objective. Elle doit être appelée un « pragmatisme vital ». Nietzsche a critiqué les valeurs de l’homme de son temps : le christianisme, la science, le rationalisme, le devoir, la démocratie, le socialisme qui sont autant de symptômes de décadence. Il faut à l’homme une « culture noble » axée sur le respect de la hiérarchie, qui réhabilitera le mal et les « passions dangereuses ». Volupté, désir de domination, égoïsme, voilà les vertus nouvelles. La démocratie est un régime détestable qui favorise les médiocres. Il ne faut redouter ni la violence, ni la guerre. Ce qui définit l’homme, en effet, c’est la « volonté de puissance ». L’homme est « quelque chose qui doit être surmonté ». Le surhomme appartient nécessairement à cette caste des intellectuels qui, « étant les plus forts, trouvent leur bonheur là où d’autres périraient : dans le labyrinthe, dans la dureté envers soi-même et les autres, dans la tentation : leur joie, c'est de se vaincre eux-mêmes ». Il ne faut pas conclure trop vite que Nietzsche est partisan d’une force brutale et destructrice. Pour lui, la surabondance de force doit s’accompagner d’une « purification du goût ». Le surhomme ne s'abandonnera pas au dévergondage des instincts. Il fera de lui-même une œuvre d’art. Pour promouvoir les hommes forts, la nouvelle culture devra les convaincre qu’ils n'ont devant eux « rien que la terre » et proclamer la mort de Dieu. Nietzsche a nié Dieu avec des accents d’une véhémence lyrique : « Comment avons-nous pu vider la mer ? » (le Gai Savoir.) « Nous sommes les assassins de Dieu ! Dieu est mort et c’est nous qui l’avons tué ! » (Zarathoustra). À la place de la vie éternelle, le héros de Nietzsche, Zarathoustra, accepte le mythe du retour éternel du même cycle d’événements. Cette perspective, que Schopenhauer regardait avec effroi, est acceptée par Zarathoustra dans un tout autre esprit. Il consent joyeusement à vivre et à revivre une existence que rien ne justifie. C'est le oui que le surhomme oppose au non.

Principales œuvres de Nietzsche : 1872 : Origines de la tragédie ; 1873-1876 : Considérations intempestives ; 1878 : Humain, trop humain ; 1880-1881 : Aurore ; 1881-1882 : le Gai Savoir ; 1886 : Zarathoustra ; Par-delà le bien et le mal ; 1887 : la Généalogie de la morale ; le Crépuscule des idoles ; le Cas Wagner ; 1889 : l'Antéchrist, Ecce Homo.

Fils de pasteur, il se destine d'abord à la théologie, mais perd la foi. Il étudie à Bonn et Leipzig, s'enthousiasme pour la philologie qu'il enseigne dès l'âge de vingt-quatre ans, à Bâle. La lecture de Schopenhauer lui révèle sa vocation philosophique, et son amitié (éphémère) avec R. Wagner lui fait prendre conscience de ses véritables intérêts esthétiques. La maladie l’oblige à quitter très tôt l'enseignement (1879) et pendant dix ans, il va mener une vie errante à travers l'Europe (Suisse, Italie, midi de la France). À partir de 1889, il sombre progressivement dans la démence et meurt à Weimar en 1900.

♦ La philosophie de Nietzsche, réflexion sur les valeurs, se veut d'abord démystification des idéaux traditionnels. S'élevant contre la culture moderne qui offrirait des symptômes de décadence, Nietzsche proteste contre tous les aspects de ce qu'il nomme le « nihilisme passif », qui a ses racines dans le socratisme et le courant judéo-chrétien. C'est ainsi qu'il s'en prend à l'ïnauthenticité des sentiments moraux et religieux et à l'hypocrisie de la « morale ascétique », résultant d'une fuite devant la vie et produit du ressentiment : les faibles - qui finissent toujours par l’emporter car, étant « le plus grand nombre, ils sont aussi plus rusés » - ont imaginé de fausses valeurs (le droit, le bien, la charité, l'égalité démocratique) pour paralyser les plus forts en leur faisant honte de leur puissance et de leur santé (La Généalogie de la morale) ! De même, la religion relève de la « mentalité du troupeau » : elle est la revanche des victimes contre la libre activité des forts et provient d'une véritable « anémie de la volonté ». Tout conspire (notamment l'organisation sociale contraignante) à brimer les instincts naturels qui vont devoir s'intérioriser, se transformer en cruauté et en rancune réactive incapable d'oubli, alors que les forts, au contraire, peuvent se donner le luxe d'oublier. La critique de l'idéal ascétique se traduit également par une contestation romantique des valeurs rationnelles qui opposent à l'aventure de la vie la sécurité de la connaissance. S'appuyant sur le principe d'identité, la science procède d'une falsification du réel qui est, en fait, vie et création. Notre passion de connaissance n'est que l'aboutissement d'un instinct dévoyé, devenu machine de guerre contre les puissances de la vie. Nous sommes donc en pleine illusion (même si par ailleurs celle-ci est utile, rendant supportable une existence qui, perçue lucidement, ne le serait pas). Or notre culture s'est construite en se laissant prendre « au filet de la civilisation alexandrine » ayant pour idéal l'individu « qui met ses dons au service de la science ». Socrate en est précisément le symbole et l'ancêtre, lui qui est responsable de la « valorisation inouïe du savoir conscient » - alors que la conscience n'éclaire que les aspects les plus superficiels de la vie et en méconnaît le sens profond. Le culte du savoir socratique est à l'origine du déclin de la tragédie grecque, qui avait un sens métaphysique, étant la synthèse de deux tendances symbolisées par Dionysos et Apollon : l'idéal dionysiaque de l'ivresse et de l'excès, et l'idéal apollinien de la mesure, de l'ordre et de la contemplation. (L’Origine de la tragédie).

♦ Dionysos représente justement la volonté de puissance dont on observe l'affaiblissement dans la masse du troupeau ; elle est pourtant la pulsion fondamentale de la vie, qui veut « croître et s'étendre ». Condamnant aussi bien le refus schopenhauerien du vouloir-vivre que la morale du péché, Nietzsche fait l'éloge de l'« instinct » qui, loin d'être égoïste, représente la puissance créatrice de la vie. Rejetant la transcendance, il affirme que l'« homme » doit être surmonté dans un effort de création personnelle. D'où une transmutation des valeurs : le bien est dans l'exaltation du sentiment de puissance, le mal dans tout ce qui le contrarie. C'est, retrouvant la leçon de Gorgias, le « renversement du platonisme ». L'aristocratisme de cette pensée antisystématique, qui inspire nombre d'œuvres contemporaines en conjuguant un sens aigu de l'esthétique, une aversion pour toutes les formes de décadence et un dédain pour l'existence banalisée, n'autorise nullement à ranger Nietzsche parmi les précurseurs du national-socialisme, même si une tentative d'annexion a bien eu lieu de la part des nazis. En fait, les références à son œuvre opérées par la pensée contemporaine offrent une possibilité d'alternative à la domination du courant hégélo-marxiste sur la première moitié du XXe siècle.

♦ Ainsi parlait Zarathoustra. Les quatre parties de ce livre-charnière de la pensée de Nietzsche parurent d'abord séparément de 1883 à 1885, après avoir été rédigées très rapidement (de dix jours à moins d'un mois) à la suite de véritables illuminations. Une cinquième partie, pour laquelle Nietzsche a rédigé quatre plans différents, ne fut pas composée. Ainsi parlait Zarathoustra est sans doute l'ouvrage nietzschéen dont l'interprétation est la plus délicate, dans la mesure où il n'obéit pas aux règles habituelles de l'analyse et de la démonstration philosophiques, mais procède à la fois par affirmations et sans dogmatisme. La forme même du texte, en vers, fait d'abord obstacle : elle indique immédiatement que, pour Nietzsche, la véritable philosophie ne peut s'exprimer que par le biais de multiples métaphores, loin des concepts figés, et rappelle que, à ses yeux, les philosophes les plus autenthiques furent bien les présocratiques, dont il s'agit de retrouver, au-delà d'un simple ton, la stature de fondateurs. Si l'on a fréquemment insisté sur l'aspect destructeur du livre et sur l'éloignement qu'il implique à l'égard de la religion (le célèbre « Dieu est mort ») ou de l'État (qui est « le lieu où le lent suicide de tous s'appelle / la vie » : Nietzsche est irréductiblement anti-hégélien), il faut également noter que, comme l'a souligné Heidegger, Zarathoustra est d'abord un héraut, un annonciateur. La venue qu'il appelle est celle du surhumain, à comprendre non comme l’aboutissement d'une histoire biologique de l'homme, mais comme ce que peut devenir ce dernier lorsqu'il parvient à se libérer de ce qui le mutile. C'est-à-dire « l'esprit de pesanteur, et tout ce qu’il a créé : contrainte, loi, nécessité et conséquence et but et volonté et bien et mal », termes qui jouent à l'intérieur de la temporalité historique, contre laquelle Nietzsche choisit l’éternel retour, autre face du surhumain, autre nom de la fameuse volonté de puissance (l'allemand dit plutôt : volonté vers la puissance), qui est d'abord volonté de se déprendre de toutes les déterminations habituelles pour n'obéir qu'à un principe - « Deviens ce que tu es » - grâce auquel l'individu doit assumer ses choix, sa différence, l'indissociabilité de son corps et de sa pensée, le « gai savoir » que lui confère la liberté. Le rejet des valeurs transmises par l'ensemble de la philosophie officielle n'est ainsi que la face négative qui prépare ce que sera l’affirmation, par le surhumain enfin réalisable dans chacun, d'une vie authentiquement créatrice - car « ce qu'est le bien et le mal, personne encore ne le sait - à moins d'être un créateur ! ». Qualifié par Nietzsche lui-même de « livre le plus profond » que possède l'humanité, Ainsi parlait Zarathoustra ne construit aucun système ; son degré de provocation est tel qu'il récuse à l'avance toute interprétation restrictive, ou lecture qui tenterait d'en déduire d'autres leçons que celle suggérée par sa mince trame narrative (succession de déceptions et de tentatives nouvelles où peut se lire la métaphore du thème central de l'éternel retour) : la pensée ne doit être figée en aucune formule « définitive » et la vie de l'homme ne tient son sens que de sa mouvance créatrice. Aussi est-il sous-titré « Livre pour tous et pour personne » : la publication des trois premières parties ayant eu peu de succès, Nietzsche dut publier la quatrième à compte d'auteur et à quarante exemplaires... Depuis, son livre, par-delà toutes les falsifications dont il fut l'objet, ne cesse de défier les idéologies; il est progressivement devenu pour le XXe siècle l'antidote sarcastique à la dialectique de Hegel et a profondément marqué des lecteurs aussi différents que Thomas Mann, Georges Bataille, Henri Lefebvre ou Gilles Deleuze.

Autres œuvres : L'Origine de la tragédie (1872) ; Humain, trop humain (1878) ; Le Voyageur et son ombre (1880) ; Aurore (1881) ; Le Gai Savoir (1882) ; Par-delà le bien et le mal (1886) ; La Généalogie de la morale (1887) ; Le Crépuscule des idoles (1889) ; La Naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie (posthume).

 

NIETZSCHE (Friedrich), philosophe allemand (Rökken, près de Lützen, 1844 - Weimar 1900). Etudiant à Bonn et à Leipzig, ami de Richard Wagner, il professa à Bâle de 1869 à 1878. Il mourut fou. L'amour enthousiaste de la vie fut le principe invariable de sa philosophie. Sa recherche d'une synthèse entre le monde dionysiaque des désirs et le monde apollinien de la sagesse (/'Origine de la tragédie, 1872), son refus de la morale chrétienne, ou « morale des esclaves » (Humain trop humain, 1878; Par-delà le bien et le mal, 1886), son « renversement des valeurs », qui substitue une morale créatrice aux théories des valeurs toutes faites, sa théorie du « surhomme » (Ainsi parlait Zarathoustra, 1885; la Généalogie de la morale, 1887; le Crépuscule des idoles, 1888) ainsi que sa théorie du « retour éternel » des choses de la vie humaine sont les thèmes principaux de sa pensée. L'effort de sa morale fut de sortir du pessimisme le plus profond, mais en reconnaissant toutes les expériences négatives, les « malheurs » que la vie peut réserver à l'homme : sa maxime fut de « faire avec le désespoir le plus profond l'espoir le plus invincible », grâce à un héroïque effort de la volonté et de l'imagination. Son lyrisme, qui implique une contemplation esthétique de la vie et de la nature, le rapproche des philosophies de la nature propres au romantisme allemand (Schelling, Schopenhauer). Sa théorie du retour éternel a influencé certaines philosophies de l'histoire, notamment la théorie des « cycles de culture » de Spengler ou de Toynbee; sa morale individualiste a marqué certaines œuvres littéraires — celle de Gide, par exemple. Quant à l'exploitation de sa philosophie par le fascisme et le national-socialisme, elle procède d'une déformation de la pensée d'un philosophe qui opposa toujours la « brute prussienne » à la civilisation française.

 


Philosophe allemand (1844-1900). • Quel destin étonnant que celui de Friedrich Wilhelm Nietzsche, qui passe les onze dernières années de sa vie muré dans la folie et dont les thèses (certes « intempestives ») seront « récupérées » par les nazis pour servir leur propagande raciste ! • Se livrant à la recherche « généalogique » des sources de la morale, Nietzsche voit dans les valeurs chrétiennes (vérité, renoncement, sacrifice, amour du prochain, etc.) les symptômes d’une culture malade et déclinante, qui annonce la mort de Dieu. • En muant la volonté de puissance -naturellement présente en tout homme - en mauvaise conscience, les âmes faibles ont réussi à faire de nous des ennemis de la vie, plus prompts à la réaction qu’à l’action. • Pour sortir de l’ère nihiliste, où plus rien n’a de sens, il convient, selon Nietzsche, de renverser les valeurs mortifères du christianisme au profit d’un amour noble et viril de la vie. C’est précisément la tâche assignée à Zarathoustra qui, dans des paraboles aux accents bibliques, enseigne l’art de démasquer les marchands d’arrière-mondes (ou d’au-delà) et appelle à la création de nouvelles valeurs. • La pensée de l’éternel retour doit également servir cette renaissance éthique, puisqu’elle suppose que j’accepte, avant d’agir, la répétition à l’infini de chacun de mes actes.


Principales œuvres : La Naissance de la tragédie (1872), Humain, trop humain (1878), Le Gai savoir (1881-1882), Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885), Par-delà le bien et le mal (1886), La Généalogie de la morale (1887), Le Crépuscule des idoles (1889).

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