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Michel Deguy

Né à Paris en 1930, agrégé de philosophie, Michel Deguy enseigne à la Faculté de Vincennes.  Son premier recueil, les Meutrières, parut en 1959. Deguy, qui collabore à la N.R.F.,à Critique, aux Cahiers du Chemin , fonda en 1964 la Revue de Poésie qu ’il anima pendant plusieurs années. En 1977, il créé la revue Po&sie, dont le comité comprend Alain Duault, Robert Davreu et Jacques Roubaud. Comment cerner une œuvre qui est parcours et percée, écoute et ouverture, figures sans cesse se recomposant, mouvement et célébration, qui dit, invente, précède la modernité et qui, en même temps, met à nu ses racines, fait retour sur une histoire, celle de la poésie ? Les titres de Deguy, à eux seuls déjà, suffiraient à dire cette complexité, permettent de repérer, mais non d’unifier ces mouvements. Fragment du cadastre, Poèmes de la presqu’île : parcours, jalonnement, appropriation d’un lieu, habitation d’un espace : « Je suis venu pour rassembler J Le port où meurt la houle des sillons / La jetée des rives de Loire / Et la lisière humaine de la mer. » Les Meutrières, Biefs, ces mots, ces titres disent l’ouverture et le guet, le passage et la percée, l’acuité du regard et la violence libérable ou libérée : la flèche possible ou la coulée des eaux. Ouï-dire indique l’écoute : du monde, du verbe, du savoir, du poème ou de la révélation : « Vous serez étonnés d’entendre la liberté de Paul / Corinthiens II ; II, 19-33 ; 12,1-9 / L ’ouïe éduquée depuis naissance au rythme / Entend « ce nom auquel silencieusement je crois » / L’iambe monte et descend dans la maison. » Figurations — où se suivent poèmes et essais, comme deux modes d’approche de la langue, de la figuration poétiques, par pratique et analyse — souligne que le travail du poète n’est pas d’être réalistement figuratif, comme on le dit d’un peintre (pourtant «la peinture n’est jamais réaliste puisqu’elle peint le Nu »), mais de donner figure par le verbe, par la métaphore et par tout l’arsenal des tropes à ce qu’il a pu voir, entendre, éprouver, rêver, imaginer, concevoir. Ainsi, à propos de Mallarmé : « Et le propre de telle « vision poétique » n 'est pas de voir des choses extra-ordinaires, mais de revoir les choses mêmes qu ’il y avait en vue « avant » comme à distance d’elles-mêmes d’un léger écart qui ne les sépare de soi que de leur identité — passage du même au même par le nom. Ou si l’on parle de transfiguration, cela ne peut s’entendre que comme passage à la figuration, comme si le trans-(port) donnait figure : choses transfigurées égalent : choses figurées; accédant à leurs figures, c’est-à-dire paraissant en tant que les figures qu ’elles sont. » Déjà auparavant, Actes, essai strictement contemporain de Ouï-dire, suivait ces mouvements, interrogeait ces pratiques par quoi le poème prend telle configuration (de mots, d’images) et, comme des « actes notariés » consignait à la fois ces processus et les formes qui en sont l’aboutissement : «J’assigne à l’art poétique le propos de témoigner comment résonnent et consonnent un certain nombre de pensées en un dessin dont le notaire explicitement contemporain de son geste d’écrire, facilitera le déroulement pour sa propre édification et celle du lecteur. » Récemment dans Tombeau de Du Bellay, le questionnement d’un poète du xvie siècle (non n’importe lequel mais le premier à avoir fait du poème le double lieu d’invention et de mise en question de la poésie), s’épanouissait au terme en poèmes où les ruptures du langage, les violences faites à la langue sont finalement enrichissement, revitalisation, défense de la poésie. Ce livre est à la fois célébration d’un poète, ressourcement dans une tradition, traversée de tout l’acquis poétique et explosion vers autre chose, avancée d’une autre poésie qui vise à être, à figurer la poésie d’aujourd’hui : « la maison de langue croule sur la tête, au ralenti, dans la tête, il se bat avec elle contre elle, fuit par carnage, sans dehors, par fenêtre brisée ressaut e en elle, c’était micro-décisions de fuite éperdue comme léviter voitures sur ventouses de vasière, s’en remettant à des cadences surchauffées... » Ces parcours et ces ouvertures, ces sorties et ces reprises, ces questions et ces retours aux sources, ce travail incessant de la langue par quoi la poésie se métamorphose — et demeure par cela même poésie — se fondent finalement en une démarche cohérente. Depuis l’origine, celle-ci est exploration d’un double espace ou d’un espace dédoublé. Espace du monde, d’abord : le poète inlassablement l’arpente, le découvre, le déchiffre, en répertorie les signes, en reconstruit les figures. Il sait, il dit, donne à voir ou à entendre le champ, la fleur, la mer, le visage aimé et les fait résonner de tout leur sens par le pouvoir des mots. Ceux-ci sont essentiels, car, Tombeau de Du Bellay nous l’apprend, il ne s’est « jamais agi de rendre le monde poétique, mais de rendre le monde au poétique ». Espace de la culture ensuite (ou simultanément) : des livres, de l’écriture des poètes (Dante, Hölderlin, Du Bellay), Deguy fait sa nourriture, son terreau, le lieu de ressource-ment et de questionnement, le répertoire premier des figures à partir de quoi tout écart, toute rupture sont féconds, toute exploration est possible. Mais qu’il dise la limite des terres en Bretagne, le « grand jardin de l’attente / Où croît la rose des vents», «Les murs chaulés rose ou jaune / Pareils à des miroirs déjà traversés... », « Les oies les toits de pierre la clairière / Les oies la pierre lithique la rivière... » ou qu’il cherche dans le poème et la langue, par interrogation et creusement, le noyau secret du poème : « Et le poème cherche un plus profond poème / Un autre sous celui-ci... » Deguy, toujours, fait de la poésie la matière même du poème, rend le monde et le savoir au poétique. ► Bibliographie

Poèmes et essais poétiques : les Meurtrières, Pierre-Jean Oswald, 1959 ; Fragments du cadastre, coll. le Chemin, Gallimard, 1960 ; Poèmes de la presqu'île, coll. le Chemin, Gallimard, 1961 ; Biefs, Gallimard, 1964 ; Ouï-dire, Gallimard, 1966; Actes, coll. le Chemin, Gallimard, 1966 ; Figurations, coll. le Chemin, 1969 ; Tombeau de Du Bellay, coll. le Chemin, Gallimard, 1973; Poèmes, 1960-1970 (préface d'Henri Meschonnic) coll. Poésie, Gallimard, 1973 ; Interdictions de séjour, éditions de l'Énergumène, 1975 ; Reliefs, éditions l'Atelier, 1976. Essais : le Monde de Thomas Mann, Plon, 1962. A consulter : Pascal Guignard : Michel Deguy, coll. Poètes d'aujourd'hui, Seghers.

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